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Les métiers à Montillot entre 1838 et 1938.

R. M. Koutlidis, 2021

Quelle chance nous avons aujourd’hui d’avoir accès aux premiers recensements de la population, mis en ligne sur le site des archives départementales de l’Yonne !

C’est le décret du 22 décembre 1789 qui ordonna d’établir un tableau des « citoyens actifs » par commune, puis quelques mois plus tard, le décret du 7 juillet 1790 du Comité de division à la Convention nationale organisa cette fois un dénombrement de la population entière qui semble avoir été terminé en mai 1791 ; mais l’exécution n’en fut probablement pas toujours faite par voie d’enquête de recensement et une grande partie des archives a été perdue.

La loi du 22 juillet 1791, appelée « loi sur la police municipale », prévoyait la conduite d’un recensement nominatif, méthode qui resta celle principalement employée ensuite pendant deux siècles : elle fut préparé par Lucien Bonaparte et Jean-Antoine Chaptal mais ne parait pas avoir été effectué en dehors de Paris.

Le recensement, dit de l’an II, par application du décret de la Convention nationale du 11 août 1793, recensant tous les habitants et les électeurs, fut réalisé sur l’ensemble du territoire français de l’époque, principalement en 1793-1794, c’est-à-dire l’an II. Les résultats complets par commune sont conservés aux Archives nationales.

Le recensement, dit de l’an VIII, fut prescrit par une circulaire du 16 floréal (16 mai 1800), et eut lieu en 1801. Lucien Bonaparte avait exigé des maires qu’ils fournissent un état de la population de leur commune, répartie entre hommes mariés, veufs, femmes mariées, veuves, garçons, filles et défenseurs de la patrie (vivants). Dans quelques communes, les maires firent établir une liste nominative ; dans d’autres ils utilisèrent le registre d’état-civil, resté théoriquement obligatoire ; la plupart du temps, ils se contentèrent d’évaluations approximatives, souvent au-dessous de la vérité.

Depuis 1801, un recensement général de la population fut organisé tous les cinq ans, jusqu’en 1946, sauf quelques-uns supprimés ou retardés en temps de guerre, et à l’exception de 1811 et 1826, années où furent seulement réalisés, pour la plupart des communes, des rapports statistiques utilisant les chiffres des précédents recensements. L’année exacte peut varier d’un département ou d’une commune à l’autre, surtout avant 1836.

Les archives des recensements n’ont cependant pas toujours été conservées et une circulaire du Ministère de l’Instruction publique de 1887 avait même explicitement désigné les listes nominatives comme étant des papiers inutiles pouvant être détruits. Une étude faite en 1963 sur un échantillon représentatif de 827 communes avait constaté que pour chaque recensement antérieur à 1836, les listes nominatives n’avaient été conservées aux archives départementales que pour moins de 8 % des communes, tandis qu’à partir de 1836, la proportion était de l’ordre de 50 % ou plus. Cependant des archives des recensements de l’an II (1793), l’an VIII (1800), 1806 et 1820 pour la plupart des communes sont conservées aux Archives nationales ou parfois dans d’autres dépôts d’archives.

Pour Montillot, on dispose des listes nominatives de 1836, 1851 ,1872, 1991, 1901, 1906, 1911, 1921, 1926, 1931, 1936. Le nom, le métier, l’adresse approximative y sont reportés, et parfois la nationalité. L’ensemble des personnes vivant au foyer est répertorié (femme, enfants, enfants « placés », domestiques), ce qui représente une source précieuse d’information pour les généalogistes, et les chercheurs.

Cette période de 100 ans traverse des années de grands bouleversements successifs. Après l’enthousiasme révolutionnaire 50 ans plus tôt, le début de la révolution industrielle avec la première voiture à vapeur en 1833, et les transformations de la société mise en place progressivement, la monarchie de Juillet avec Louis-Philippe installe depuis 1830 une autre forme de révolution sociale : la  création des écoles, de garçons d’abord en 1833, puis de filles à partir de 1867; le développement des voies de communication (routes, ponts, canaux) et la « révolution du rail » (la première ligne de chemin de fer (Paris-Versailles) est née en 1837) qui élargit les paysages et l’économie; les liaisons transatlantiques régulières par paquebot à vapeur ; le ballon dirigeable en 1850 ; la révolution industrielle qui va profondément métamorphoser la société à partir de 1850 (marteau piqueur, moteur à explosion, accumulateur électrique puis dynamo, puis transport de l’électricité par câble en 1885, moteur à explosion en 1889), lignes postales, télégraphe puis télégraphie sans fil en 1915, impression rotative pour les journaux, photographie (des Daguerréotypes… aux photographies en couleur en 1905) ; pour nos campagnes, la faucheuse apparait en 1834, puis en 1872 la herse et le chargeur de foin en 1873, la moissonneuse-lieuse en 1875 ; développement du béton, de la fonte et de l’acier ; radioactivité (1896) et radium (1898) grâce à Marie Curie (les rayons X sont découverts en 1894, et rapidement seront mises au point les premières radiographies osseuses) ; premier vol motorisé en 1905, et invention de l’hélicoptère ; machines à écrire (Japy), premiers postes de radio à galène en 1910 ; pneumatiques sur les camions (1917), cartes routières (1918) …

En 1930, l’hydro-électricité fournit la moitié de la production française d’électricité.

Bémol à ces transformations rapides voire fulgurantes du mode de vie, le développement de la tuberculose qui devient la première cause de mortalité en Europe en 1835, de la variole (terrible épidémie en 1835) et l’apparition de pandémies de grippe en France ; une pandémie de choléra en 1849 fait 20000 morts à Paris, et en 1854 on la retrouve dans le sud de la France, où elle sévit puis diffuse en France jusqu’en 1855 (deux autres épidémies de choléra lui succéderont : en 1863-1871 puis en 1880). La mortalité reste très importante en 1870 avec la rougeole, scarlatine, typhoïde, diphtérie, grippe, coqueluche, oreillons, paludisme, variole, tuberculose, choléra, maladies carentielles et maladies vénériennes. L’hygiène devient un sujet de santé publique et l’on multiplie les bains publics, puis en 1852 les premiers immeubles parisiens sont reliés aux égouts, rendu obligatoire à Paris en 1894.

En 1871 Pasteur découvre le principe de la « pasteurisation » pour détruire les microbes (l’asepsie ne commence qu’en 1874) puis, en 1879 il propose le principe du vaccin. Il démontre le rôle des germes dans les maladies infectieuses. En 1882, la stérilisation est généralisée pour réduire les risques opératoires, et des anesthésies locales, avec emploi de cocaïne, sont proposées. (Des anesthésies à l’éther et au chloroforme sont pratiquées depuis 1846). L’aspirine est commercialisée en 1899. Une grave épidémie de rougeole sévit de 1905 à 1910. Des vaccins sont mis au point (rage 1885, typhoïde 1896, variole 1902, coqueluche 1906, diphtérie 1924, BCG contre la tuberculose en 1924 également, fièvre jaune en 1932). Et la grippe continue de faire des ravages : après l’épidémie de 1890 qui est venue de Sibérie (366 morts le 4 janvier à Paris) celle de 1918 (grippe espagnole) fait 115000 décès en 1918. Les premiers vaccins contre la grippe sont introduits en 1937.

En 1922 commencent les premières expérimentations de l’insuline dans le traitement du diabète (encore première cause de décès dans le monde en 2020).

Alors bien sûr c’est un grand écart que cette époque nous impose puisqu’aussi elle nous enthousiasme, nous fait rêver, avec Musset, Lamartine, Stendhal, Mérimée, Dumas,  George Sand, Nerval, Victor Hugo, Flaubert, Baudelaire, Jules Vernes, Verlaine, Daudet, Zola, Anatole France, Jules Valles, Maupassant, Edmond Rostand, André Gide, Alain Fournier, Apollinaire, Proust, Paul Fort, Claudel, Eluard, Cocteau, Giono, Saint-Exupéry, Malraux, Céline,  Aragon… et Berlioz, Chopin, Gounod, Liszt, Verdi, Offenbach, Bizet, Debussy, Ravel, Fauré, … et Courbet, Renoir, Corot, Pissarro, Degas, Cézanne, Van Gogh, Toulouse Lautrec, Monet, Cézanne, les impressionnistes, les Fauves, Picasso, Modigliani, Matisse… Sans oublier Viollet le Duc (1814-1879) ; il fréquente Prosper Mérimée (nommé inspecteur général des monuments historiques) qui l’aide dans son début de carrière et lui confie alors la restauration de la basilique de Vézelay en 1840.

1840 : c’est le début de l’exode rural, avec 40000 à 50000 ruraux par an qui rejoignent les villes, souvent des cadets ou petits journaliers issus de campagnes surpeuplées. Vers le milieu du siècle les paysans, qui sont souvent propriétaires de terres morcelées et insuffisantes, exploitent comme fermiers, métayers ou manouvriers les domaines des aristocrates ou des bourgeois. Dans les années qui ont suivi, maladie de la pomme de terre, mauvaises récoltes de fourrage et céréales entrainent la multiplication des troubles et des faillites ; la disette sévit, aggravée par la sécheresse. Les grèves se multiplient ainsi que les pillages de marché. L’impôt sur le sel est rétabli. Cette crise a des effets considérables sur la population française. Pour plus de la moitié des départements, la population a diminué. Pour les 2/3 d’entre eux, l’émigration l’emporte sur l’immigration. En 1881, on dénombre plus de 1 000 000 d’étrangers installés en France, surtout Italiens, Belges, Espagnols et Allemands, avec 77 000 nationalisations. A la veille de la guerre, en 1914, 100 000 saisonniers agricoles étrangers viennent chaque année travailler en France. Les enfants, les vieillards et les femmes sont mobilisés dans les campagnes pour assurer les moissons et faire les vendanges, épaulés par les hommes, paysans mobilisés, qui bénéficient de permissions agricoles.

A la fin de l’empire, la France paysanne artisanale et rurale devient progressivement ouvrière, industrielle et urbaine (54% de ruraux en 1870) ; la production de blé et pomme de terre augmente mais la pauvreté persiste. Après 1870, la poursuite de l’exode rural qui alors affecte toutes les régions et toutes les catégories sociales (ouvriers agricoles, petits exploitants, artisans, commerçants de bourg, ouvriers d’industries dispersées en déclin, bucherons…) entraine une raréfaction de la main d’œuvre et une augmentation du coût de celle-ci, d’où l’incitation pour les exploitants à recourir aux premières machines agricoles mécaniques. La concurrence des pays neufs (blé américain, laine argentine ou australienne) accentue la crise agricole. Alors le phylloxéra qui frappe les vignobles (en 1875 en Bourgogne) et détruit définitivement les vignes, conjugué à la dépression des prix agricoles accélère les migrations définitives de ruraux (166000 par an jusqu’en 1881, 100000/ an ensuite), vers les villes, ou vers de nouvelles colonies.

A partir de 1880, dans le milieu rural, apparaissent les petits fonctionnaires (instituteurs, facteurs, percepteurs), et des retraités. Le nombre de commerçants, artisans et professions libérales est en hausse : épiciers, cabaretiers, charrons, médecins pharmaciens, notaires…

En 1900, 50% de la population vit dans les zones rurales. Vers 1905, on dénombre 30 000 moulins et environ 2.6 millions d’ouvriers agricoles journaliers ou domestiques de ferme à plein-temps. L’habitat dans les campagnes s’améliore : le ciment et le parquet remplace la terre battue, la pierre ou la brique remplace le torchis ou le bois, les tuiles ou les ardoises remplacent le chaume…

Le choix de cet intervalle (1836-1936) est guidé par les tables de recensement. Il couvre la plus grande partie du 19e siècle (1814-1914).

Qu’en est-il de notre population, à Montillot ?

C’est la période où, d’une densité maximale (presque 1000 en 1850), le nombre d’habitant décroit (environ 520 en 1930). Ceci correspond à l’exode rural qui affectait toutes nos campagnes.

L’évolution sociale durant cette période est assez bien représentée par la modification des professions recensées. Des métiers d’autrefois, qui disparaissent, des professions sinistrées, qu’on ne voit plus, sont remplacés par d’autres.

Métiers oubliés

Blatier : il y en avait 4 jusqu’en 1851 à Montillot, un encore en 1872. Mentionné par Diderot dans son encyclopédie, ce marchand fait commerce des grains, du blé.

Rouetier :

Il y en avait 3 à Montillot en 1836, puis ce métier a disparu au village.

Fabricant de rouets ou de roues de charrettes en bois ? (Pour ces derniers on employait plutôt le nom de charron, et il y en avait 2 à 3 jusqu’en 1931).

Regrattier : il s’agissait de l’épicier. Ce nom est abandonné après 1936. Il y avait 5 épiciers en 1906.

Chartier, charretier : le métier de ceux qui transportaient (en charrette) les voyageurs. Peu nombreux, de 0 à 2 jusqu’en 1931.

Ménétrier : noté en 1836, ils seront ultérieurement plus sobrement appelés violoniste ou musiciens. (ménestrel !!)

Métiers perdus

Tuilier : on en dénombrait 2 en 1851, mais plus aucun ensuite. On peut penser qu’ils se sont installés dans un village voisin. Car les tuiles ont progressivement remplacé le chaume.

Tourneur : sur bois, sans doute ? Il est peu probable qu’il se soit agi de potier. Le métier disparait à partir de 1891.

Cerclier : 3 en 1836, 1 jusqu’en 1872, les cercliers ont disparu après cette date. Ils fabriquaient les cercles métalliques pour les tonneaux et barriques.

Tonnelier :

Entre 1 et 2 jusqu’en 1901, ils disparaissent ensuite (un seul est noté en 1926)

Distillateur : jusqu’en 1901, il y en avait un à Montillot.

Vigneron : Jusqu’à 41 recensés en1872, ils disparaissent de Montillot et ses hameaux au recensement suivant, en 1891.

Sabotier : le métier n’est plus recensé à Montillot à partir de 1906 ; il y en a eu jusqu’à 4 (en 1872) auparavant.

Tisserand : 12 en 1836, ils s’effacent rapidement (5 en 1851, 1 en 1872, puis plus du tout).

Perruquier : il y en avait encore un en 1836 à Montillot.

Huilier : 2 à 3 jusqu’en 1872

Meunier : entre 2 et 4 sur la commune, jusqu’en 1931.

Notaire : il y avait encore un notaire à Montillot en 1836

Curé : à partir de 1936, il n’y a plus de curé demeurant à Montillot.

Militaire, soldat, militaire retraité : de 14 en 1836, ils ne sont plus notés à partir de 1872.

Autres Métiers

Nourrices : ne sont pas répertoriées comme telles, rarement notées (une seule en 1901, 1926, 1901)

Sage-Femme : on en recense une en 1851, et en 1872.

Musiciens : plus constants à partir de 1911

Facteur : à partir de 1911

Cantonnier : 2 à 3 à partir de 1872

Instituteur : 2 à partir de 1851

Manouvrier, manœuvres, ouvriers : après un pic en 1872, on n’en compte plus que 0 à 3 jusqu’en 1936.

Métiers d’aide à la personne : dame de compagnie, domestique, servante, lingère, blanchisseuse-lavandière : leur nombre fluctue. Seules les blanchisseuses ou lavandières ne sont notées qu’à partir de 1926.

Et l’agriculture ?

On a vu la disparition des vignerons en 1891.

Ils se répartissent en propriétaire-exploitant, cultivateur, fermier-éleveur, (jardinier), et aide de culture, ouvrier agricole, domestique agricole, laboureur. Dans ces deux catégories, la définition des métiers est sans doute parfois imparfaite.

Les cultivateurs ont connu leur apogée en 1891 (162 !) mais tombent à 0 en 1901 (?), date à laquelle il y a toujours autant d’ouvriers agricoles. Les mêmes se sont sans doute définis comme « propriétaires exploitants » en 1901, 1906 (passant de 0 à 133 et 117) ; ensuite la définition inverse réapparait avec 82, 54 et 0 propriétaires -exploitants contre 29, 60 et 102 cultivateurs pour les années 1926, 1931 et 1926.

Les éleveurs restent peu nombreux : 7 en 1906, 9 en 1926, oscillant sinon entre 0 et 2.

Le commerce

Boulanger : 2 à 3 à partir de 1901

Epicier (regrattier) : entre 0 et 1 jusqu’en 1891, 1 à 5 de 1901 à 1936 .

Aubergiste : 3 en 1872, un seul en 1926, un seul en 1936.

Marchand de vin, débit de boisson : absents de 1872 à 1901,on en retrouve un les années suivantes.

Receveur buraliste : sur cette période il n’est noté qu’une seule fois, en 1901

Marchand d’étoffe

Les autres, qu’on n’a pas cité

Cordonnier, Bourrelier,

Couvreur, Tailleur de pierre, Carrier, Terrassier, Maçon, Plâtrier, Charpentier, Scieur, Menuisier

Forgeron, Etameur, Maréchal,

Fileur de verre,

Charbonnier,

Marchand de bestiaux,

Garde, garde champêtre, garde forestier,

Négociant, Rentier, retraité,

Bucheron, Journalier,

Couturière, Brodeuse

Revendeur chiffonnier, Brocanteur, Forain, Marchand de peaux de lapins, Colporteur.

En résumé :

Par ces courbes ci-dessous, on a tenté d’objectiver ces transformations de la vie civile que représentent les professions exercées dans les villages.

Si les professions agricoles, jusqu’en 1936, augmentent par rapport à la population, les métiers du bâtiment, eux, tendent à diminuer ; bénéfices indirects de la mécanisation, rendant plus attractif le travail de la terre, d’une part, et plus productif le travail du bâtiment, avec moins de bras nécessaires ?

Et si l’on exclut les professions agricoles :

Les métiers du bâtiment sont prédominants, après ceux de l’agriculture, jusqu’en 1891. Le nombre de commerçants augmente un peu jusqu’en 1936. Le nombre de personnes déclarées rentier/retraités reste minime.

Et en détail (en nombre absolu):

Les vignerons pour la plupart demeuraient au Vaux-Donjon ; les coteaux calcaires alentour étaient propices à cette culture des vignes, comme on en voit à nouveau sur les côteaux de Vézelay, tout proche. (voir annexe 2).

Le ravage du Phylloxera a anéanti cette culture, qui ne s’en est jamais relevée.

Une des conséquences en a été la diminution voire l’extinction des métiers liés à la vigne (tonnelier, cerclier, distillateur…)

En conclusion

Les métiers exercés dans un groupe reflètent le mode de vie de cette population, et leur évolution rend compte des grands changements qui ont affecté le pays dans son ensemble : de la révolution industrielle aux grandes épidémies, du phylloxéra de la vigne aux migrations, des guerres à l’exode rural, tous ces changements transparaissent en filigrane derrière ces courbes, et permettent de mieux les appréhender.

Exemple d’une page du recensement à Montillot en 1836.

ADY 7M 2/111 1836

Annexe 1

Un premier travail avait été réalisé par A. Buet en 2003

La démarche, différente, s’appuyait sur les souvenirs des plus anciens du village. Elle a eu le mérite de l’échange, de l’humain, du partage, que tous les recensements informatisés consultés sur ordinateur ne nous apporteront jamais !!

Montillot au XXe siècle.

Quelques professions exercées au village.

Une liste de commerçants et artisans ayant pratiqué leur métier à Montillot au début  du 20ème siècle a été entreprise par Pierre Guttin il y a quelques années à partir de ses souvenirs de jeunesse. Nous l’avons complétée ensemble au cours de ces derniers mois, avec l’aide d’autres « anciens ».

Remercions particulièrement Paulette MOREAU, Suzanne SAVELLY-DEVOS, Yvette JOUX-MOREAU, Pierre CHAMPY, Paul MOREAU, et certains descendants, directs ou indirects, des personnes citées.

Les archives d’état-civil d’une partie du 19ème siècle, déposées à la mairie de Montillot, et mises aimablement à notre disposition par la maire Michel GIRAUX, nous ont permis de compléter partiellement cette liste dans la période 1870-1900.

130 personnes sont ainsi présentées, dont 13 boulangers, 2 bourreliers, 2 buralistes, 16 cafetiers, 2 charpentiers, 7 charrons, 1 chiffonnier, 2 coiffeurs, 2 cordonniers, 3 couturières, 2 distillateurs, 1 électricien, 14 épiciers, 3 exploitants forestiers, 1 fileur de verre, 1 fondeur, 2 forains, 2 gardes forestiers, 3 huiliers, 7 maçons, 4 marchands d’étoffe, 8 maréchaux-ferrants, 3 menuisiers, 4 meuniers, 1 sabotier, 1 sage-femme, 3 tonneliers …

Les agriculteurs, qui constituaient, jusqu’à la 2ème guerre mondiale, la plus grande partie de la population, ne sont pas cités.

Nous avons ajouté les 4 derniers curés attachés à Montillot ; nous en préparons une liste complète depuis 1650, ainsi qu’une liste des maires depuis 1789 et une liste des instituteurs depuis 1870…

Cette liste ne pouvant intéresser les visiteurs éloignés de notre site, nous n’en présentons ci-joint que la première page ; le document entier est consultable en mairie de Montillot.

Cette liste ne prétend nullement être exhaustive ; aussi, nous demandons à tous ceux qui la liront de nous indiquer toutes les corrections et tous les compléments qu’ils jugeront utiles. Merci d’avance… !

Annexe 2

Il fut étonnant de rencontrer cette publication dans un journal spécialisé dans les nouvelles méthodes de culture, attestant de la culture de la vigne à Montillot :

« Notice sur la culture de la vigne à Montillot », revue horticole, Journal d’Horticulture pratique, Janv-Décembre 1947, ed : Poiteau, Vilmorin, Decaisne, Neumann, Pepin : Librairie agricole De Dusaq, Paris, 26 rue Jacob, 3esérie, tome 1.

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Une jeunesse à Montillot au début du XXe siècle

Propos de Pierre Guttin recueillis par A. Buet, 2002

Arrivé à un âge avancé, l’homme, souvent seul, et contraint à une activité physique restreinte, éprouve le besoin d’occuper sa pensée . Très souvent celle-ci le ramène au temps de sa jeunesse, au temps béni de l’exubérance enfantine, dans la chaude ambiance familiale, loin des soucis de toute nature.

L’enfance

Je suis né en février 1907…Je vais donc essayer de faire une rétrospective de la vie paysanne,  telle que je l’ai vécue, et qui fut probablement la même dans de nombreux villages de France.

Petite Enfance

J’avais un frère, de 4 ans mon aîné, et un autre, plus jeune de 6 ans.

Un incident qui m’a marqué : en juin 1910, au cours d’une dispute-poursuite entre gamins, je suis tombé dans le puits de la Grand’Cour… Beaucoup de cris, puis la propriétaire du puits, la cousine Marie CHESNE-GOURLOT a réussi à me tirer de cette situation périlleuse, et il fallut, paraît-il, un certain temps pour me faire respirer normalement !

Petits paysans, dès 5 ans, nous partagions les servitudes familiales : garnir la table, mettre le couvert, apporter les provisions de toute nature, la boisson de la cave, l’eau du puits, le bois pour la cheminée.

Après 5 ans, école 5 jours entiers par semaine, catéchisme jeudi et dimanche, le temps « dit libre » occupé par des jeux bien sûr, mais aussi les leçons à apprendre le soir, la cueillette d’herbe à lapins, l’écossage des haricots, travaux présentés comme punition, car, paraît-il, nous étions quelquefois désobéissants !

Nous avions 2 écoles, chacune de 40 élèves, menant de l’apprentissage de la lecture au Certificat d’Etudes primaires (C.E.P.). Les maîtres étaient Monsieur CHARBOIS pour les garçons et Madame Charbois pour les filles.

Je me souviens de mon 2ème ou 3ème  jour d’école, en 1912, en tenue de l’époque, assis à table avec mon camarade Raymond ROUARD, commentant à voix haute le dessin que nous venions de faire sur notre ardoise, sans nous soucier de perturber la classe… Soudain, les autres murmures cessent ; nous levons la tête, et nous apercevons, dans la main du maître, la baguette de noisetier qui s’abat sur nos têtes quasi-réunies ; instinctivement, l’un se penche à droite, l’autre à gauche…Poursuivant sa course, la baguette heurte le bois de la table, et se casse, ce qui provoque un immense éclat de rire . Le maître, souriant au début, se met en colère, nous prend chacun par une oreille et nous met, l’un au coin, l’autre au cachot noir…juste le temps de voir nos copains, – les traîtres -, riant sous cape !

Avançant en âge, on conduisait  les vaches au pré ; puis vers 10 ans, on emmenait seul le cheval vers les vignes ou les champs de légumes ; là, il fallait apprendre à ne pas recevoir le pied de la bête sur le sien, cela fait très mal… ! Puis ramener à la maison les charrettes d’herbe, de foin, de céréales …les parents étant toujours là pour apprendre d’abord à « bien faire », et ensuite, « plus vite » …

Un autre événement  m’a marqué : en 1911, un important incendie provoqué par la foudre au hameau de Bouteau. Notre Compagnie de pompiers a participé activement, avec un grand va-et-vient des habitants du village. Mon père et Emile Vantenay, pompiers, ont dû être soignés d’une congestion pulmonaire, contractée après avoir absorbé une boisson froide alors qu’ils étaient en sueur…

Vie quotidienne au village

La vie au village

J’ai donc connu notre village de Montillot avec 550 habitants , une population très laborieuse, vaquant à tous travaux avec les moyens de ce temps.

Le travail dominant dans chaque bourgade était agricole ; la plus grosse exploitation dépassait de peu 20 hectares. Tous les transports de bois et céréales étaient effectués par charrettes à chevaux et bœufs. Les ânes étaient nombreux ; cet animal exigeant peu de nourriture était utilisé pour de petits travaux et le transport des personnes âgées.

On avait souvent, en plus, une carriole à deux roues, servant au transport des membres de la famille pour se rendre, soit à certains travaux des champs, soit en ville ou aux villages voisins. Mon père, ayant des chevaux possédait un « quatre roues » avec deux bancs, pour ces mêmes usages.

Les commerçants qui, tels le boulanger, avaient des marchandises à transporter, utilisaient ce genre de berline, couverte de toile cirée. ( même les médecins n’ont eu une auto dans notre région qu’en 1920 ).

Curieusement, sauf pour chargement ou déchargement, aucun véhicule ne devait stationner sur la rue, de jour comme de nuit ; garde-champêtre et cantonnier vous rappelaient à l’ordre…Pourtant, le danger était faible ! …Je me souviens, tout de suite avant guerre, d’une seule auto, une DE DION-BOUTON , une « teuf-teuf », d’un épicier de Châtel-Censoir, Mr Guérin, qui venait une fois par semaine ; nous, les gamins, l’escortions en courant !

Le machinisme ne s’est introduit progressivement dans les campagnes qu’après la guerre 14-18 ; il existait cependant des scieries et des moulins actionnés par roues et engrenages mus par eau, et des machines à vapeur pour battre le grain.

Comme au début du siècle précédent, les ménages peu aisés prenaient en nourrice des enfants de l’Assistance Publique, cela jusqu’à 12 ans environ (sortie d’école). Ensuite ils restaient souvent dans la même maison et servaient de « commis agricoles » à petit prix jusqu’au service militaire ; les plus aptes étaient embauchés comme apprentis-artisans.

La population étant trop nombreuse, un certain nombre de jeunes en âge de travailler suivaient l’exemple de leurs aînés du siècle précédent et  migraient dans la région parisienne pour des travaux agricoles saisonniers.

Ces « migrants » ont appris dans leurs pérégrinations de nouvelles  façons de travailler, notamment sur les fruits et les méthodes de vente. Ils ont ainsi commencé à greffer les arbres fruitiers, et à planter framboisiers, fraisiers, cassissiers et groseillers, qui se sont comportés à merveille dans la plaine de Montiillot, le terroir leur donnant un parfum recherché …

Ils ont aussi pris l’habitude de vendre en commun, en constituant un syndicat  qui écoulait à bon prix les produits vers des entreprises de transfioramation en gros. Ces ventes de fruits ont bien aidé à boucler les budgets des petits cultivateurs de l’époque ; elles ont cessé faute de main d’œuvre pour la cueillette pendant la guerre de 39-45.

Les distractions

Notre village avait une Compagnie de 18 sapeurs-pompiers bénévoles, avec une pompe à bras ; ils se réunissaient « pour essayage » une fois par mois. Ils se retrouvaient aussi en grande tenue le 14 Juillet ; après avoir défilé au son de clairon et tambour, et subi l’inspection du Maire, ils animaient une fête, bien suivie par l’ensemble de la population. Chacun d’eux organisait un jeu ou une tombola. Un repas, offert par la commune, leur était servi en soirée.

Un autre repas avait lieu à la Sainte-Barbe, fête des pompiers et artilleurs ; là, chacun des membres de la Compagnie payait sa quote-part.

Mais la plus importante était la fête patronale de Saint Laurent, le dimanche suivant le 10 Août.

Parents et amis sont invités dans chaque foyer ; le matin, fête religieuse ; à midi, repas avec des tas de bonnes choses ; l’après-midi, fête foraine sur la place publique, avec manège de chevaux de bois, balançoires, stands de tir, confiseries, jouets et un bal sous la tente, dont la musique anime l’ensemble de la fête. Les enfants virevoltent dans tout cela, dépensant en sucreries et babioles les offrandes des invités, ou des voisins auxquels ils avaient rendu de petits services…

Un autre fête avait lieu le 22 Janvier, pour honorer Saint Vincent , patron des vignerons, et de la Société de Secours Mutuel. Messe, repas et invités, mais pas de fête foraine. Les membres de cette Société se réunissaient : leur but était d’aider les adhérents malades et de verser une retraite à 60 ans.    (Elle a été dissoute lorsque sont apparues les Assurances sociales d’Etat).

Avant 1914, il y avait aussi une Société de Gymnastique qui fonctionnait bien. Les jeunes avaient une tenue pour les exercices, et une tenue d’apparat pour les sorties en public. Les exercices en chambre avaient lieu dans la salle actuelle du Foyer rural. Le Chef était Auguste Savelly (fils de Céleste).

Les pays voisins avaient aussi une Société de gymnastique, et même une Société de musique, comme Vézelay et Saint Père. Ces sociétés se regroupaient par arrondissement, avec un Chef, et une fête annuelle avait lieu ici ou là.

Je me souviens de l’une de ces fêtes qui eut lieu à Montillot, en 1912 ou 13, dans le pré à Célestin GUTTIN, avec participation des gymnastes de l’Avallonnais en tenue d’apparat. J’étais fasciné par leur chef, Monsieur Destutt, propriétaire du château de Blannay, déjà âgé, mais avec une grande stature ; avec dolman et casquette galonnée, on aurait dit un amiral !

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Rien ne se perd!
Mais là c’était un trio, en bas.
Dans les années 2000

J’ai retenu la belle démonstration d’une pyramide, par les jeunes de Montillot…Au quadrilatère du bas, il y avait Onésime GIRAUX et Charles PORCHERON ; au dessus, il y avait un trio, puis un duo, et tout au dessus, un jeune de 9 ou 10 ans, Gaston PORCHERON !

Il y avait aussi beaucoup de stands de toutes sortes, et des musiciens des pays voisins.

Je tenais par le doigt ma tante Charlotte, d’abord pour ne pas me perdre dans la cohue , mais aussi parce qu’elle était bonne pourvoyeuse de gadgets et sucreries !

La grande Guerre

…Dans le village…

Dans ces années d’avant 1914 ,  je n’ai pas entendu de discussions dans ma famille , ni perçu de rancœurs au sujet des grands problèmes politiques de l’époque : lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, menaces de guerre en Europe… Parents et éducateurs  prenaient garde de ne rien évoquer devant les enfants de ce qui pouvait diviser.

Puis ce fut fin juillet, premiers jours d’août 1914 …Le garde-champêtre rentre à la maison et dit au maçon Léon MOREAU, qui réparait la cheminée : « Prends ton tambour et annonce que la guerre est déclarée ; les mobilisables doivent passer de suite à la mairie retirer leur fascicule de mobilisation… »

Ma mère, se tournant vers moi, me dit : « Pierre, va le dire à ton père qui fauche du blé à la Fontaine-Guinot ! »

Connaissant ce lieu, je pars aussitôt. Croisant Auguste CARILLON, celui-ci  me voit agité et  me dit : « où vas-tu, petit ? » « La guerre est déclarée », lui dis-je …Quelques heures plus tard, je l’ai revu à la mairie, conversant avec Robert POULIN, Léon MOREAU et Florimont CHAMPY,  tous confiants et d’accord pour dire que « les Boches vont prendre une frottée, et, d’ici peu, il y aura la fête à Berlin »…

J’étais encore enfant, et ne ressentis pas la gravité de ces évènements comme une grande personne . D’autant plus que mon père ne fut mobilisé qu’en décembre 1914 et n’alla pas au front. – ayant 44 ans, 3 enfants, et passé trois ans de service militaire en Indochine -.

Cependant , il ne fut pas de jour que je n’entende parler des péripéties de cette guerre. Mes parents étaient buralistes, et les clients échangeaient tous des propos à ce sujet.

Les noms des tués, blessés ou prisonniers, nous étaient communiqués ; nous en parlions entre gamins ; le maître y consacrait certaines leçons de morale ou d’instruction civique.

Les victimes furent nombreuses les premiers mois, des jeunes dans l’infanterie, plusieurs de l’assistance publique, – célibataires pour la plupart – ; et nous étions bien émus et chagrins lorsque survenait la mort du père d’un de nos camarades de classe, difficile à consoler…

Un communiqué officiel était affiché tous les jours à la vitrine du boulanger qui tenait le téléphone public (le seul au village) ; tous les lieux de batailles y furent affichés tour à tour,  Vauquoy, les Eparges, Verdun, la Somme,… le texte était toujours ambigu, l’ennemi avait toujours des pertes supérieures à celles de l’armée française… ! Je vois encore les permissionnaires, connaissant ces lieux, qui s’insurgeaient contre « ces mensonges », disaient-ils …

De temps en temps, venait en effet en permission l’un de ceux qu’on appelait les « Poilus ». je revois ainsi Emile PORCHERON (dit « Pilote ») arrivant à pied, avec casque, capote et deux musettes, grande barbe, glissant quelques mots de cette vie de tranchées, toujours sur le qui-vive, le risque de mitraille, obus ou balles, dans un trou par tous les temps…

Une autre fois, la porte de la classe s’ouvre ; sans frapper, un soldat rentre tout harnaché : « Bonjour Monsieur Charbois, me reconnaissez-vous ? » -« Ah oui, c’est donc toi, Emile ( un autre ! ), qu’est-ce que tu fais au front, quel est ton rôle ? ». Et là le soldat  commence à raconter les scènes horribles auxquelles il assiste – ou participe…- chaque jour. Vite, le maître l’arrête : « Emile, tu en as déjà trop dit, tu reviendras plus tard,…mais pas devant les enfants ! ».

Notre bon maître nous faisait parfois des cours comme s’il était stratège : je me souviens de celui sur la bataille de la Marne, mettant en évidence l’imprudence de Von KLUCK, qui engagea ses troupes en pointe sur Paris sans assurer ses arrières … 

A Montillot, nous étions loin du front, et n’avions pas le tracas des batailles, peu de passages d’autos et encore moins d’avions…Un jeudi matin de l’été 1918, d’une cour de ferme, j’entends un avion volant bas, cherchant à atterrir …C’est ce qu’il fit avec un grand bruit , peu de temps après. On se précipite dans la direction de la chute, vers le lieudit les Esserts ; l’avion, ayant heurté des peupliers, – les seuls dans le coin ! – a le devant en terre ; le pilote sort de la carlingue, aidé par quelques uns; traumatisé, le nez cassé, il est pansé par une infirmière du village. Les  gendarmes font garder l’avion par des permissionnaires, sous les ordres de mon père, sous-officier ; au bout de 2 jours, des camions sont venus récupérer l’avion.

…Dans la famille…

Après le décès de mon grand-père maternel en août 1914  à Voutenay, son épouse (66 ans) vint en octobre habiter avec nous. Après le départ de mon père, les difficultés apparurent , surtout pour les travaux des champs ; les hommes du village encore « en force », nous aidaient, lorsque leur propre travail était terminé. Nous avions des journaliers non mobilisés, jeunes de 18 ou 19 ans au plus ; et aussi des anciens « itinérants », qui se sont fixés là pour avoir gîte et couvert et nous rendaient bien service pour le fauchage et la coupe de bois.

Ma mère dut « faire face », pour assurer la nourriture de 7 personnes, et répondre aux réquisitions    ( bétail, foin, avoine…) . Elle était bien aidée par ma grand’mère, rustique et travailleuse ; en plus des travaux domestiques, celle-ci débitait le bois pour la cheminée, binait les betteraves et autres légumes . Experte dans les vignes, elle assistait d’autres cultivateurs, en échange de travaux plus durs…

Mon frère aîné André et notre cousin Gaston PORCHERON – 11 et 12 ans  – parvenaient déjà à atteler les chevaux, il est vrai très dociles ; s’aidant d’une brouette pour se rehausser et mettre le collier ; à deux, ils arrivaient à mettre la charrue au sillon…

Près de 4 ans après le début de la guerre, le gouvernement français décide de libérer plusieurs classes ; mon père , 48 ans, en profite, tout en restant sous contrôle militaire. Notre culture est reprise en main. Maman geignait bien pour boucler le budget et livrer ses « réquisitions », mais nous n’avons pas souffert de la faim…On pouvait  mettre de côté quelques quintaux de blé, le faire moudre et bluter par un meunier ne craignant pas les contrôles, et disposer ainsi de farine blanche…A cette époque, la plupart des cultivateurs cuisaient encore leur pain de ménage une fois par semaine. Grand’mère triturait la pâte, Maman se chargeait de la cuisson du pain, et de tout ce qui pouvait se faire au four, avec la viande de porc, les volailles,  mais aussi le lait, les œufs, dont nous disposions par ailleurs ! Sans oublier les légumes du jardin, pommes de terre, tomates, poireaux, salades et haricots …et ce qu’on pouvait trouver dans la campagne et les bois, les escargots, les champignons …

…enfin !…

Un jour de novembre 1918, pendant la récréation, nous voyons arriver la télégraphiste Cécile brandissant  un message. Monsieur Charbois nous réunit, nous lit l’annonce de l’Armistice et nous dit : « Mes enfants, l’école est finie pour aujourd’hui ; laissez  vos cahiers et rentrez chez vous »…

Dans le quart d’heure, suivant le degré d’intimité, tout  le monde s’embrassait ou se congratulait. Les cloches ont sonné longtemps, comme celles des pays voisins. Les bonnes bouteilles sortaient des caves …Mais les endeuillés étaient bien tristes…Et dans ce mois de novembre, la grippe espagnole sévissait et il y eut encore des morts …

Le 15 Février 2002

Adolescence

L’entre-deuxguerres, période laborieuse et paisible…

J’aimais aller à l’école , grâce aux qualités d’un bon éducateur. J’ai obtenu à 12 ans mon certificat d’études primaires (C.E.P.) avec la mention « Assez Bien ». J’étais considéré comme sérieux, puisque l’instituteur a insisté pour que je lise devant les personnalités le poème de Victor HUGO , – « ceux qui pieusement sont morts …,- à l’inauguration du monument aux Morts de la Guerre 14-18. J’étais très ému, mais j’ai récité « sans bavure »…

Quelques années après la sortie de l’Ecole, n’ayant plus l’occasion de « pratiquer », nous avions souvent des difficultés pour rédiger une lettre pour l’Administration dans les formes conventionnelles. L’instituteur et le prêtre servaient alors de « greffiers » à ceux qui ne pouvaient s’exprimer dans leurs lettres ; en général ils en étaient bien récompensés . Le sacrifice du porc avait lieu dans tous les foyers et ces évènements étant échelonnés , ils étaient assurés de recevoir tout le long de l’hiver rôti et boudin ! Par ci par là, une bouteille d’eau-de-vie en plus, que l’on présentait discrètement, « pour faire des grogs »…

J’ai reçu une éducation religieuse, et, comme Mr CHARBOIS, l’abbé DORNERT « m’avait à la bonne ». Ce prêtre avait été mobilisé, et après l’armistice il y eut une cérémonie de première communion pour une trentaine d’enfants ; là encore, c’est moi qui ai lu le message de remerciements…Curieusement, ce message avait été rédigé par l’instituteur ! Certes, la qualité de la prose y gagnait, et , si la séparation récente de l’Eglise et de l’Etat exigeait des fonctionnaires une certaine réserve, les deux hommes s’estimaient. D’ailleurs, la « morale laïque » enseignée alors à l’école était très inspirée de la morale chrétienne…Catéchisme et « roulées »

J’étais enfant de chœur, avec le catéchisme le jeudi et le vendredi. Les Vendredi et Samedi Saints , il y avait les « roulées » ; avec un panier pour les œufs, une tirelire et un crucifix, nous allions de porte en porte chanter une courte prière en latin. Tout le monde donnait, même les « païens » !

Cela nous donnait l’occasion de rentrer dans tous les foyers , et d’assister à des scènes qui, souvent, nous surprenaient.

Une fois, arrivés à l’heure du repas, nous trouvons le père , le fils et la fille, mangeant avec cuillère et fourchette une fricassée de poireaux dans une écuelle commune. D’autres, pour économiser le pétrole, s’éclairaient en allumant à la flamme de la cheminée de fines écailles de bois vrillées, fichées dans une betterave …

Une autre fois, nous allions au Moulin de Marot, le samedi midi, comme d’habitude ; 4 kilomètres, en passant par Bouteau, – sans s’y arrêter, car c’était sur la paroisse de Brosses -. Habituellement, la Marie POULIN nous faisait « dîner » ; mais cette fois, la meunière était absente pour la journée et son mari n’a pu que s’excuser…Exténués et affamés, les gamins, repassant par Bouteau y sont interpellés par la « Parisienne », à qui ils racontent leur mésaventure . « Il ne sera pas dit que j’aurai laissé jeûner des enfants du Bon Dieu, venez… », nous dit-elle. Et nous rentrons : deux ou trois galettes au poireau fument encore, gonflées, qu’on aurait dit le dos d’un crapaud…, un fumet …une odeur de pâte cuite… ! A la maison, mon frère André n’aimait pas la galette aux poireaux ; là, il l’a mangée avec appétit…Depuis ce jour mémorable, il en redemandait à ma mère, si bien que celle-ci disait : ‘la Parisienne t’a ensorcelé, ma parole ! ».

Le Curé nous partageait équitablement le produit de la quête ; le surplus des œufs allait chez une de nos mamans qui confectionnait une omelette baveuse aux fins herbes,…je ne vous dis que çà !

Ni poulet ni coq!

Diverses activités « civiques ».

A 14 ans, formé aux travaux de mon âge, entraîné et encouragé par mon frère aîné, les conseils d’un bon père, toujours conciliant, les dictons de M’man Guitte, j’aidais de mon mieux à la vie courante de ma famille paysanne.

J’ai remplacé mon frère comme sacristain et sonneur ; payé pour l’Angélus par 2 personnes charitables et le midi par la commune, dont je devenais ainsi un fonctionnaire !

Un jour malgré mes réticences, – je lui ai dit que je ne voulais pas être la risée du public -, le Maire Célestin GUTTIN m’a convaincu de devenir « appariteur – tambour », en me promettant de m’accompagner au début. Il m’a lui-même « amarré » le tambour et, sur la place publique, « vas-y ! ». Les baguettes se sont un peu emmêlées, mais ma voix a été jugée « bien timbrée » …et j’ai continué jusqu’en 1927 !

Puis le prêtre, musicien consommé, possédant une forte et belle voix , a tenu à m’apprendre le plain-chant et la musique pour remplacer Jeanne DEFERT qui se mariait (Jeanne, la sœur d’Emile, le coiffeur d’Avallon…).Je n’étais pas doué ; à l’harmonium, je n’avais pas droit à l’accompagnement, de peur des « couacs »  Il m’a prêté un petit harmonium, et, chez mes parents, je jouais les scies à la mode, « le p’tit Parisien », les chansons de Botrel …

Après la séance de catéchisme, le curé nous amusait, racontant des histoires ou faisant le guignol avec son calot de militaire (il venait d’être libéré en 1918) et sa canne comme fusil ! ( il faut savoir que notre curé était un colosse, bon vivant et qui d’hésitait pas à répondre par un bon coup de pied dans la partie charnue du bas du dos à celui qui lui manquait de respect !).

En cette période, les cérémonies liturgiques, à la St Vincent et la St Laurent, en latin et musique plain chant, étaient impressionnantes … Mon cousin Charles PORCHERON chantait le Noël d’Adams, le Credo du paysan, et même l’Ave Maria de Gounod ! Sa belle voix charmait aussi les réunions familiales ; et je me souviens d’avoir vu pleurer ma grand’mère à qui il avait dit chanter pour elle « les bonnes vieilles de chez nous ».

Un autre rôle que l’on m’a fait tenir : serveur et caviste au cours d’un beau mariage …Un mariage à Montillot…

Notre instituteur avait 4 filles ; en 1923, c’est Hélène qui se mariait, à l’église, avec un instituteur .

Il y avait des « officiels », le Maire et ses conseillers, le notaire, le Docteur ROCHE, conseiller du canton ; et tout le village sur la Place lorsque les mariés parurent sur le parvis ; le cortège des invités suivant le violon d’Alfred DEFERT, les autres allant se désaltérer dans les trois bistrots du village.

Et puis le repas des noces…

ARNOUX, – prévu comme caviste -, ayant sa crise d’asthme, Mr CHARBOIS vint demander à mon père que je le remplace « sur le pouce », alors que j’étais en train de distribuer la nourriture au bétail ! J’ai vite changé de tenue !

Il y avait parmi les invités un Mr GUEHO, qui avait été pendant des décennies valet de pied dans une grosse maison bourgeoise. En quelques minutes, il m’a enseigné la façon de placer les doigts sur la bouteille, comment verser le liquide et ensuite essuyer légèrement le goulot, les mots polis à dire, l’ordre dans lequel on devait servir…Valentine MOREAU, présente elle-aussi , m’a prodigué quelques conseils complémentaires, pour que je ne me laisse pas influencer par certains convives !

Au début, tout s’est bien passé : le gars Pierre se sentait bien dans sa personne…Mais voilà l’incident : un bouchon qui part trop vite et le Champagne qui se répand sur la robe d’une demoiselle d’honneur, …cris de dinde effarouchée…, mon Pierre rouge comme une pivoine, ne sachant que faire. Mais des braves gens , hors étiquette, sont venus à mon secours , – le champagne, ça ne tache pas ! – et j’ai repris mon service correctement jusqu’à la fin du repas.

On m’a alors invité à participer à la noce avec les autres jeunes invités. La sœur du marié a même essayé de m’apprendre un pas de danse !

Ma première « histoire de chasse ».

C’était en 1919 ou 1920, en avril ; j’étais parti chercher des nids, vers Guigne-Chien, Collerette et la plaine de Brosses, lieux que je connaissais bien, allant souvent après l’école, porter des escargots, ou d’autres choses, à mon oncle le curé de Brosses ou à ma tante Marie FOURNIER. A ma surprise, je vois une ligne de chasseurs, dont mon père. Perché sur un grand orme à côté d’un nid, j’observe deux chasseurs qui visaient un lièvre, ne voyant pas arriver un gros sanglier. Je hurle très fort, mais le sanglier se détourne…C’était raté ! Comme les chasseurs, de dépit, levaient les bras en l’air, je leur en annonce un autre : tiré de trop loin, il passe…On entend alors les aboiements caractéristiques d’un chien qui poursuit un autre sanglier . Sans attendre, je déguerpis par une « ligne » (allée déboisée qui sépare deux parcelles), des œufs de pie et de corbeau plein mon mouchoir ; j’arrive en haut de la « Côte », près de l’ancienne carrière, et j’entends un chien qui se rapproche, puis se tait, puis un fort hurlement, suivi de « houp, houp … » et je vois ce dont il s’agit : la grosse bête noire tient tête au chien, lequel appelle son maître…Le cœur battant, je hurle moi aussi, poussant des cris que je veux terrifiants …Puis, un « déboulé » du grand noir qui va vers son destin, …deux coups claquent, le BUSSET d’Asquins vient d’ajouter une victoire à son tableau déjà bien garni ! J’ai vite rejoint le rassemblement ; une bête très grosse est étalée…Le « tueur » s’adressant à moi : « C’est toi, petit, qui a crié de là-haut ?…Oui ! C’est toi qui as le mérite du résultat !

J’étais très fier de ce compliment devant mon père !

Un chasseur ajoute : « il mérite une part ! » ; un autre rétorque : « il est convenu qu’on ne donne qu’aux traqueurs présents au départ de la chasse ! »

J’obéis à mon père qui me dit «  Va vite rejoindre ta mère qui s’impatiente ! »

Revenu à la maison, mon père dépose sur la table sa part, …et la mienne ! « Ton oncle Rosa , et presque tous ont plaidé pour toi ! »

…Tout gamin que j’étais (« ni poulet, ni coq », comme disait l’abbé DORNERT…), j’ai apprécié ce geste égalitaire !

L’exploitation familiale…

Après la guerre, est vite apparue la nécessité d’accroître la superficie cultivable et de commencer à se « mécaniser ». Mon frère aîné avait 17 ou 18 ans quand il a suggéré à mon père de louer des terres, en plus de celles appartenant à deux oncles qui n’habitaient plus le pays.

Le cousin Jules venant de décéder en 1918, sa veuve n’ayant pas d’enfant, a bien voulu nous louer 8 ha de terres. Nous avons acheté une machine à faucher, une râteleuse et une belle jument, Sirène.

On remarquait à cette époque que les filles du village s’émancipaient, se faisaient couper les cheveux et faisaient les yeux doux, de préférence aux garçons qui cherchaient une place de fonctionnaire, d’employé de bureau, de gardien de propriété…Adieu les vaches et les culs-terreux !

Moi, ce métier me plaisait, m’avait « pris aux tripes » ; j’avais 16 ans, j’aidais mes parents, et j’avais le temps de penser à autre chose !

J’ai appris à faire le travail avec n’importe quel outil. Et au milieu d’une équipe, un bon devant, un autre bon derrière, que l’on soit jeune ou nonchalant, on est obligé de suivre ! Comme dans un attelage, on met au milieu le jeune cheval à dresser …

Travaux « sous-traités » à la tâche

Lorsque le travail sur notre exploitation nous le permettait, nous faisions par ci, par là des « journées » chez l’un ou l’autre, au taillage ou piochage des vignes, au labourage ou à l’arrachage, enfin aux battages ; l’hiver, abattage du bois pour un marchand ou un particulier, avec hache (la « cognée »), scie, passe-partout, serpe…

Je suis resté très attaché à ce travail dans les bois ; il laissait une totale indépendance ; « à la tâche », plus on travaillait, plus on gagnait…Et l’exigence d’un travail bien fait : laisser un chantier et une coupe « propres » …

A midi, nous nous retrouvions autour d’un bon feu de braises rouges préparé par l’un d’entre nous ; assis le chaudron entre les jambes, le « fricot » cuit ou réchauffé, nous mangions, qui des haricots au lard fumé, qui des harengs ou des pommes de terre cuits à la braise, du fromage de tête de cochon, du fromage maison, du vin de nos vignes, un bon café chaud, et pour finir un sucre trempé dans un quart de soldat, où avait été versé un peu de marc, ou d’eau-de-vie de prune ou de cerise !

Le soir, on rassemblait les braises rouges en les recouvrant d’une couche de cendres et on rentrait à la maison ; 2 ou 3 km à pied, la besace au dos, les sabots claquant sur le sol gelé . En soirée, les vêtements secs, un grog ou un vin chaud dans l’estomac, on avait retrouvé la forme…Avant d’aller au lit, on pouvait encore s’octroyer des châtaignes grillées – du bois du Gros Fou -, avec un verre de vin blanc de la vigne des Sablons …

En 1923, – j’avais 17 ans -, Onésime GIRAUX , avec l’accord de mon père, m’embauche en août pour un travail de terrassement au manoir appartenant à Monsieur LEHARLE . Trois autres ouvriers faisaient partie de l’équipe, GAILLARD, GUILLEMARD et Gaston PORCHERON. Onésime transportait la terre en charrette. Nous avions chacun 5 francs par mètre cube. Travail très dur sur 9 journées, du petit jour au soir à la fraîche, avec arrêt de 2 à 3 heures de l’après-midi. A la fin, chacun de nous a touché 450 francs, soit 50 francs par jour travaillé, alors qu’au bois en hiver, on ne gagnait pas plus de 12 Francs…Ce fut pour mon père un bon supplément au budget familial . J’ai été récompensé par une bonne prime, …et le contentement d’être classé « bon ouvrier ».

Les évènements familiaux…

C’est cette année-là que mon frère André est parti au Service militaire à Chalons-sur-Marne ; il est revenu en novembre 1924. Dans une lettre annonçant son retour, il nous prévenait que, ne voyant pas d’avenir dans la culture, il envisageait une place en ville ; en même temps, il me chargeait de trouver un chantier au bois pour tous les deux…

A la fenaison 1924, le cousin Jules dit à mon père : «  Charles, tu as une extinction de voix qui dure trop longtemps, va voir un médecin ! ».

Le médecin de Vézelay lui dit : « Ce n’est rien, mais consultez tout de même un spécialiste ! ». Mon père, un peu vexé, attend, et ne consulte qu’en octobre. Trop tard ! L’irréversible était engagé. Après 2 mois de souffrances, il est parti à la mi-janvier, nous laissant tous avec une immense peine…

Mon frère a dirigé l’exploitation jusqu’au 1er Octobre, et il partit rejoindre l’emploi qui lui était offert à Vierzon. Dans cette période, il a complété mon apprentissage de ce métier de cultivateur, si prenant et si complexe.

Puis la vie a repris ses droits…Cependant, les traditions exigeaient de marquer le deuil : pas d’amusement public … Je venais d’avoir 18 ans et n’étais donc pas majeur; j’ai demandé à ma mère de me cautionner pour un permis de chasse . Elle a d’abord refusé, pensant que mon travail s’en ressentirait. Puis, mon frère et mes 3 oncles étant intervenus, j’ai promis que je ne chasserais que le dimanche !

Mes compagnons de chasse étaient des amis de mon père, « gens des tranchées » qui m’ont adopté dans leur groupe. J’ai ainsi appris en parcourant champs et bois, beaucoup de choses de l’ancien temps.

En longeant ou traversant une parcelle de terre, on citait tout naturellement le propriétaire actuel, mais aussi celui d’avant, et on évoquait des anecdotes ou des farces où les uns ou les autres étaient impliqués… (Rendez-vous compte que ces « propriétaires d’avant » étaient nés au début du siècle précédent ! ) . Parmi les 4 cafés-bistrots, le favori de cette bande de jeunes était alors, – avant 14 …- celui d’Eugénie GARNIER , une des filles de la Tante Rose. Je l’ai connue, toujours contente et indulgente pour les frasques de ces « petits » !

Au printemps 1926, Auguste, mon jeune frère, qui m’aidait bien, est tombé du grenier. Rien de cassé, mais une jaunisse qui l’a rendu indisponible au moment des semailles. Ma mère a dû régler tous les frais ( pas de « Sécu » !). Et moi, j’ai pu faire front au travail…

L’entrée dans la vie d’homme

Le Service militaire.

En mai 1927, incorporation au 21ème Dragons à Lure. Le campagnard fait connaissance avec une nouvelle vie, en commun avec des jeunes d’origines et de tempéraments très différents, et l’obligation de respect d’un règlement . Aussi avec la notion de « classe » liée à l’ancienneté sous les drapeaux ; il y a les « bleus », les « piafs » et les anciens, avec des corvées différentes ; aux « bleus » les basses besognes !

Après 3 mois de classes, partie à pied, partie à cheval, je fus inscrit au peloton de brigadier , et rapidement, sans avoir de galons, j’ai eu l’expérience des responsabilités de commandement, et des sanctions appliquées pour des incartades de subordonnés…J’ai encore le souvenir cuisant d’une marche de 27 km, manteau et mousqueton sur le dos ; je suis allé au bout, alors que mes cinq compagnons ont été tour à tour ramassés par l’ambulance ! Et, bizarrerie de la vie militaire, alors que je rentrais épuisé au casernement, on m’accordait une permission de 18 jours ! J’arrivais à 11 heures du soir à Montillot, après 7 km de plus, par les Hérodats, et ma mère m’ouvrait la porte, lampe pigeon à la main ; j’ai avalé ce qu’elle m’a présenté et j’ai dormi aussitôt. Pendant cette permission, nous avons travaillé ferme avec mon frère Auguste. Emblaves faites, je suis reparti moins angoissé pour la Haute-Saône…

Après une autre punition, que je trouvais injuste, je me suis buté et j’ai voulu arrêter le peloton de brigadier. Après discussion la punition a été suspendue et j’ai été nommé brigadier, affecté au 31ème dragons à Lunéville.

Là, j’ai souvent dû défendre mes « bleus de chambrée » contre les brimades et corvées excessives ordonnées par les sous-officiers, tous des « engagés ».

Je dois une mention particulière à l’Adjudant-Chef MONTCHABLON, qui, à mon avis aurait mérité d’être officier, par son aisance avec supérieurs et subordonnés, sa connaissance des chevaux, qu’il nous a appris à aimer, à dresser, à panser et soigner. Son équipe à cheval, la nôtre, était, je vous assure, belle à voir, défilant dans un ordre parfait, hommes et chevaux en confiance…Lui, avait fait du sien un cheval de cirque, à genoux, debout, une patte, l’autre… ; le cheval comprenait, cela se voyait à ses bons yeux doux, à sa mine !

Et je suis finalement revenu à la maison un jour d’octobre 1927 ; ma mère, prévenue, avait payé mon permis de chasse, et dès le dimanche matin, je suis parti avec mon chien. Il pleuvait et j’ai passé la matinée dans une cabane, mais je me sentais tellement libre !

A nouveau en famille au village…

Avec Auguste nous avons repris les travaux saisonniers. Mon frère aîné venait nous conseiller et nous aider pendant ses congés. En hiver, je me suis mis au transport de bois pour améliorer le budget.

La vie s’écoulait ; la grand’mère aidant toujours, fâchée si on voulait la soustraire à ses menues besognes, toujours citant ses dictons et rappelant les us et coutumes…Un matin , je la relève de terre, la figure ensanglantée ; congestion cérébrale, deux jours sans connaissance, puis reprise de quelques heures, et le soir , elle s’en est allée à 83 ans où nous irons tous …C’était en …..1931.

Le village ?

Quatre ou cinq autos seulement , une cinquantaine de cultivateurs, 2 menuisiers, 2 maréchaux-ferrants, un ou 2 charrons, 3 maçons, 3 bistrots , 3 épiciers, un boulanger, un tabc-régie (ma mère), 2 écoles, avec 50 élèves ; un bal, chez DEFERT, tous les dimanches et fêtes, St Laurent, St Vincent et St Eloi. Le 1er mai, branle-bas, tout ce qui traîne est apporté en vrac sur la place publique. Chez moi, j’étais bien placé pour voir la joie ou le dépit de ceux qui venaient reprendre des objets familiers, une cocotte, un essuie-pieds, une charrue, une roue, des pots de fleur…Cette nuit-là, on ficelait un grand et jeune bouleau en haut duquel se balançait un bouquet de lilas, du beau pour les filles avenantes et sérieuses, moins beau pour les trop galantes, un bouquet d’épines pour celles qui l’étaient trop …

Il y avait alors une cinquantaine d’ânes au pays ; c’était l’auto des vieux !

En 1933, Maman est avisée de l’arrivée prochaine dans la maison voisine des cousines CAMBUZAT , – descendantes des CARILLON – ; elles demandaient que nous leur réservions comme d’habitude lait, beurre et fromage…Elles étaient cette fois accompagnées d’une jeune fille, originaire de Longueil-Ste Marie, un village de la Somme…J’ai bien connu ce village au mois de novembre suivant, …car j’y ai épousé Renée ! Une fille l’année suivante, un garçon en 1938 …Mais là, c’est notre histoire, à nous !

Quant à l’Histoire , – avec un grand H – , elle se rappelait à nous : des nuages noirs s’amoncelaient sur l’Europe …

Pierre Guttin est décédé le 3 décembre 2004 à 92 ans à la maison de retraite de Chatel-Censoir.

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Montillot, 17 avril 44: prise d’otages et incendie d’une maison

A. Buet, 2005

Montillot, village sans histoire, avons-nous prétendu un peu légèrement !

Et nous avons recherché anecdotes et faits divers, afin de faire revivre nos ancêtres aux yeux des jeunes générations…

Nous avons ainsi failli passer à côté de l’un de ces « faits divers » pourtant d’une exceptionnelle gravité, et dont on ne parle plus à Montillot,…sauf dans les mémoires manuscrits de Pierre Guttin.

Cela s’est passé il y a presque 60 ans, sous l’occupation allemande, quelques semaines avant le débarquement allié en Normandie.

On sait que, surtout depuis 1942-1943, de nombreux jeunes cherchant à échapper au « Service du Travail Obligatoire » (S.T.O.) se sont ralliés aux mouvements de Résistance, soit en rejoignant un « maquis », soit en vivant dans une « cache ».

Ces « mouvements » avaient mission, de la part des états-majors alliés, de harceler les troupes d’occupation et de perturber par tous moyens leurs transports et leurs communications. Ce faisant, considérés comme « terroristes », ces jeunes s’exposaient à des représailles souvent violentes : arrestations, tortures, déportations, exécutions,…

Ces représailles s’étendaient quelquefois à leurs proches et aux populations qui les protégeaient.

Et ainsi, des « villages sans passé » sont devenus tristement célèbres : Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne, le 10 Juin 1944, avec le massacre de 642 habitants (dont 400 femmes et enfants) ; et quelques jours plus tard, Dun-les-Places, dans la Nièvre, le 26 Juin, avec 27 hommes fusillés sur la place et devant le parvis de l’église…

Certes, l’événement que nous rappelons ci-après n’a pas une telle ampleur tragique. Mais on ne doit pas oublier que Montillot a eu ses « jours noirs de l’occupation », les 16 et 17 Avril 1944, et son « supplicié », Léon MOREAU…

17 Avril 1944 . Rapport du Maire de Montillot au Sous-Préfet.

(Archives départementales de l’Yonne – A.D.Y.- 1 W 133 ).

« J’ai l’honneur de vous informer que dans notre Commune si calme d’ordinaire, viennent de se passer depuis 48 heures des choses anormales.

Dimanche 16 dans la matinée, la police allemande est venue arrêter un épicier du bourg, Mr MOREAU Léon, ainsi que sa fille Paulette, épouse ANTONI, mère de 2 petits-enfants. La police s’étant trompée de maison, elle a fait irruption à l’épicerie PIGEONNAT, qui, n’ayant pas ouvert sa porte assez vite, des coups de mitraillette ont été tirés, et il s’en est fallu de peu que le fils ne soit atteint . Aujourd’hui lundi, des officiers allemands et des soldats sont arrivés dans un car des « Rapides de Bourgogne », pour perquisitionner au domicile MOREAU. Un officier m’a dit que le dit domicile abritait des terroristes et des armes de provenance anglaise. Par la suite, et ordres étant donnés, ils ont mis le feu à la maison d’habitation et à l’épicerie contigüe de quelques mètres à l’habitation. J’ai alerté les pompiers qui ont mis la pompe à incendie en batterie pour préserver les immeubles voisins. Le même officier m’a averti que si des personnes de la Commune avaient abrité ou hébergé des terroristes, leur domicile subirait le même sort que celui précité…. »

Signé : Alfred DEFERT

8 Avril 1944. Rapport de la Gendarmerie de Châtel-Censoir. 

(A.D.Y. –1W133)

« Le 17 avril 1944 à 14h30, nous avons été avisés téléphoniquement par Mr le Maire de Montillot…

La veille, Mr Léon MOREAU avait été arrêté à la place de son fils Paul, 24 ans, et Madame ANTONI à la place de son mari Jean, 27 ans, inculpés tous deux de parachutages d’armes et en fuite. A notre arrivée à 16h30 à Montillot, …le bâtiment d’habitation et celui où se trouve le magasin d’épicerie ne formaient plus qu’un amas de décombres. Les murs étaient encore debout et la cave n’avait pas beaucoup souffert…Les pompiers n’ont pas eu à intervenir pour protéger les bâtiments voisins. Madame MOREAU a eu l’autorisation d’emmener seulement 2 lits et quelques vêtements pour ses deux petits-enfants, mais aucun de ses effets, ni son argent, ni quoi que ce soit de la maison et de son épicerie. Les Allemands sont partis à 12h30, quand la maison a été en grande partie consumée. Ils ont déclaré au Maire avoir découvert des grenades et des mitraillettes de provenance anglaise, mais ils ne lui ont pas montré. »

Déclaration de Madame Valentine MOREAU,

née MAILLEAU, (épouse de Léon MOREAU ) aux gendarmes :

« L’officier qui avait arrêté la veille mon mari et ma fille s’est présenté chez moi. Son interprète m’a déclaré : « Vous avez abrité des terroristes ; nous allons vous brûler ! ». Je lui ai répondu : «  Je n’ai pas abrité de terroristes, mais puisque vous voulez me brûler, faites ce que vous voudrez, vous savez que je ne peux pas vous en empêcher ! ».

Ils m’ont ordonné de sortir. Je leur ai demandé de sauver la literie de mon petit-fils Jean-Michel âgé de 18 mois . Ils ont répondu : « Pour l’enfant, je permets, je vous accorde un quart d’heure ». J’ai emmené ce que j’ai pu, un lit d’enfant, un petit berceau et quelques affaires pour les petits. Mon autre petite fille était chez ses autres grands-parents… Ils ont emporté 50 kg de sucre et plusieurs autres caisses de marchandises ».

Témoignage de Paul MOREAU 

(gendarme en retraite à Appoigny) – recueilli en octobre 2002. 

NB: Paul Moreau est décédé à Appoigny début Janvier 2004.

« Jean et moi nous cachions à cette époque dans une chambre du rez-de-chaussée, derrière la boulangerie JOUX . Ce dimanche-là, vers 7 heures du matin, Madame JOUX aperçoit par la porte de son magasin, en haut de la rue, deux « tractions CITROEN » noires arrêtées devant l’épicerie PIGEONNAT. Aussitôt elle nous alerte en frappant à la cloison, et nous partons immédiatement, et tout « bêtement », par la grand’rue, vers le bas du village, pour rejoindre les « Côtes » . Mais il y avait un passage à découvert derrière la maison BUREAU, et des balles ont sifflé : elles venaient d’un fusil-mitrailleur installé au bout du jardin de Léon MOREAU. Nous avons pu rejoindre les bois et les Allemands n’ont pas cherché à nous rattraper !

J’ai ensuite rejoint Tameron, j’ai dormi dans une cabane, et dans la journée du lendemain, j’ai rencontré dans la « Plaine » Roger Mathé, qui m’a raconté : sur dénonciation, les Allemands nous cherchaient dans une épicerie ; c’est pourquoi ils sont rentrés chez Pigeonnat et ont tiré sur le fils Pierre. Ensuite mon père les a orientés vers les parents de Jean ANTONI, qui habitaient tout en haut du village, ce qui nous a donné le temps de nous éloigner. Mais ne nous trouvant pas, les Allemands ont emmené mon père et ma sœur . Le matin même, lundi 17, ils sont revenus et ont mis le feu au lance-flammes à notre maison et à l’épicerie.

Nous avons appris plus tard que Paulette et mon père étaient incarcérés à la prison d’Auxerre. Tous les deux ont subi des interrogatoires très durs, sans fournir aucun renseignement sur la Résistance. Ma sœur a été libérée au bout d’un mois, mais mon père a été mis un peu plus tard dans un convoi partant de Compiègne pour le camp de concentration de DACHAU. Il était en très mauvais état physique, et est décédé avant l’arrivée, qui a eu lieu le 5 Juillet…

Nous l’avons su par un de ses compagnons, dénommé JOUBLOT, de Mailly-la-Ville.

Les jours suivants, nous avons rejoint le maquis du Loup, près de Clamecy…

Nous avons su qui nous avait dénoncés… Il n’était pas de Montillot, et ne savait, ni où habitait notre famille, ni où nous nous cachions …avec des armes !…, sinon les conséquences auraient été encore plus graves !

Témoignage de Paulette MOREAU 

(Montillot – août 2003)

« Ce dimanche 16 avril 1944, il est environ 7 heures du matin quand les voitures de la Gestapo s’ arrêtent devant l’épicerie PIGEONNAT. Après avoir compris qu’ils se sont trompés d’adresse, ils viennent à l’épicerie tenue par ma mère, au fond de l’impasse voisine. Mon père, interrogé sur la présence de mon frère Paul et de mon mari Jean ANTONI, a la présence d’esprit, pour gagner du temps, d’emmener les policiers allemands chez les parents de Jean, qui habitent à la sortie du village, dans la direction de Brosses et Châtel-Censoir, c’est-à-dire à l’opposé de la place de Montillot et de la boulangerie, près de la quelle logent les deux jeunes recherchés…

Moi, j’habitais la même maison qu’eux, mais au premier étage, avec mes deux jeunes enfants. Je suis allée à pied à la maison de mes parents, pendant que Paul et Jean s’éloignaient par la grand’rue … Mais des soldats qui accompagnent les policiers ont dû apercevoir les fuyards, car à mon arrivée, je suis entraînée avec ma mère dans le jardin derrière la maison pour assister à un mitraillage visant la colline que l’on appelle « les Côtes », où des silhouettes ont été repérées. Heureusement, ils ne sont pas touchés, et les Allemands ne cherchent pas à les poursuivre …Mais ils posent clairement leurs conditions : si Paul et Jean ne se rendent pas, mon père et moi seront arrêtés et considérés comme otages.

Et convaincus que nous cachons des armes, ils fouillent la maison de fond en comble, la cave, le grenier et l’épicerie, mais ne trouvent rien ; ils emporteront le stock de sucre !

Ma mère Valentine, en colère, invective un vieux soldat allemand, qui se défend comme il peut : « Pas moi ! …Chef dur !… »

En fin de matinée, les policiers m’entraînent dans leur voiture avec mon père . Ma mère me jette un manteau sur les épaules. Mon père a les mains attachées avec une corde ; moi, je reste libre de mes mouvements, mais le soldat assis à côté du chauffeur braque en permanence son arme sur nous…

Nous arrivons à Auxerre, dans un pavillon de la ville occupé par les Allemands.

On nous fouille et l’interrogatoire commence. Bien sûr nous nions tout lien avec des actions de Résistance ou de parachutages d’armes…

Une autre voiture arrive, déposant un autre homme qui vient d’être arrêté. On nous fait sortir de la villa, et, dans le jardin, sur un banc, mon père et moi mangeons un pain d’épices que ma mère avait mis dans la poche de mon manteau…

En début d’après-midi, nouveau transfert, cette fois vers la prison d’Auxerre. Je me retrouve dans une cellule, avec une jeune fille nommée Irénée . Elle me raconte qu’elle a été arrêtée alors qu’elle se promenait avec son fiancé ; celui-ci s’est affolé en croisant une patrouille allemande, s’est enfui, devenant ainsi suspect, et elle s’est retrouvée seule pour répondre aux questions !

Quelques jours plus tard, les interrogatoires « sérieux » commencent. Dans la pièce où l’on m’emmène, un nerf de bœuf est posé sur la table, et j’aperçois avec inquiétude les marques laissées sur le mur, derrière le siège qui m’est destiné, par des coups suffisamment forts pour décoller le plâtre…

En fait, j’ai été secouée, mais pas vraiment battue…

Mais une nouvelle m’a fortement choquée : « Votre mère n’a plus de maison, elle a été brûlée … », me dit un jour le policier..

Etait-ce seulement pour m’impressionner ?

Il se trouve que des échanges discrets sont possibles entre cellules. D’une part, Irénée a droit à des colis ; d’autre part, certains gardiens allemands sont complaisants, et Papa peut m’envoyer son linge à laver. En voyant ses chemises ensanglantées, je comprends qu’il subit des interrogatoires très durs …

Un jour je réussis à lui faire passer un papier dans un morceau de pain et lui demande s’il est au courant pour la maison. J’ai la réponse dans un autre morceau de pain : « c’est vrai, mais si je m’en sors, nous en ferons une toute neuve… ».

Une question posée par le policier : « Pourquoi votre mari et votre frère se sont-ils enfuis ? » Ma réponse : « Parce que le bruit courait que lorsque les Allemands arrivaient, ils emmenaient tous les hommes …». Protestations indignées devant cette « fausse réputation » faite à l’Armée du Reich…

Autre question :

« Avez-vous visité l’école de Montillot ? » J’ai certainement un air embarrassé, et ne sait quoi répondre, car c’est l’école de mon enfance ! Nouvelle question : « Vous êtes bien allée à l’école quelque part ? » Là je peux répondre : « oui, à Montillot !».

Je n’ai appris que beaucoup plus tard que « fréquenter » et « visiter » se traduisent en allemand par le même mot !

Je crois être alors passée pour un peu « bébête », et cela a dû se confirmer lors d’une autre séance …

« Votre mari sortait-il la nuit ? » « Oh oui ! »

« Où allait-il ? » J’hésite : « Je ne sais pas … » . « Enfin, vous avez bien une idée ? »

« Je pense qu’il allait voir une autre femme … ».

Cette réponse déclenche l’hilarité du groupe, dont une femme fait partie …En entendant ces gros rires , je comprends que la naïveté est une bonne défense : il est évident que personne n’a pu me confier des secrets compromettants, et que l’on ne pourra rien tirer de moi !

J’ai donc conservé cette attitude par la suite, et c’est peut-être ce qui m’a sauvée…

D’ailleurs on m’a laissée de plus en plus tranquille…

Un jour, on m’amène une nouvelle compagne de cellule, qui a une maladie de peau impressionnante. Un médecin me dit : surtout, ne la touchez pas, il faut que vous changiez de cellule.

En sortant pour cet échange, le gardien me dit : « Vous…, maison…, tout de suite… ! »

Nous étions le 19 Mai. J’étais libérée !… après 32 jours…

En descendant de mon 1er étage, je demande au gardien à voir mon père, qui est au rez-de-chaussée. …Vite, vite … ! J’ai le temps de l’embrasser ; il me dit : « Si on te demande de signer un papier, signe n’importe quoi, mais sors ! ».

Papa est parti pour l’Allemagne après le débarquement du 6 juin : il a pu jeter un papier avec notre adresse du wagon qui l’emmenait…Je ne l’ai jamais revu… ».

La suite ….

La maison a été reconstruite aux frais de l’Etat vers 1950 . Dans un trou du mur de clôture, on a trouvé la montre que Léon MOREAU y avait déposée avant d’être emmené par la Gestapo.

Le 27 Juin 1971, une plaque rappelant le souvenir de cette tragédie a été inaugurée sur la nouvelle maison .

Cette cérémonie fut organisée par l’Association Nationale des Anciens combattants de la Résistance, et ses responsables régionaux, Mme GARNOTEL et M. Robert BAILLY, en présence de M. Georges MOREAU, qui commandait le maquis du Loup , du « Commandant Théo », du maquis Vauban, et de nombreux sympathisants.

Quelques précisions ont été données à cette occasion : Léon MOREAU se trouvait le 2 Juillet 1944 parmi les 2521 déportés entassés dans un train partant de Compiègne pour le camp de DACHAU, en Bavière. A l’arrivée, le 5 Juillet, vers 13 heures, 984 étaient déjà morts, étouffés dans les wagons ou fusillés s’ils avaient cherché à s’échapper. Sur les 1537 rescapés, 121 seulement sont revenus en France en avril 1945…

Seule une plaque discrète , au fond d’une impasse, évoque donc le souvenir de ces évènements.

C’est peu…

Il serait pourtant nécessaire que les jeunes qui, au cours de ce 21ème siècle, habiteront ou traverseront Montillot, sachent qu’un certain jour du milieu du siècle précédent, le 17 Avril 1944, la guerre a frappé brutalement une famille, au cœur même de notre village…

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Edmé BROTHEY, curé de Monteluot en 1600 et rebouteux renommé

A. Buet, 2002

Bulletin généalogique de l’Yonne, N°96, p.86

Au cours de la séance de la Société des Sciences de l’Yonne du 4 Mars 1951, Monsieur Henri FORESTIER, alors Directeur des Archives départementales, a fait un exposé intitulé « un guérisseur à Montillot au 17ème siècle » …dont le texte n’a pas été reproduit dans le bulletin de la S.S.Y.

On doit donc se reporter au document original, classé « 3E7-21 pièce 1 » du « Fonds GUIMARD » des Archives départementales de l’Yonne, pour en savoir plus.

Ce dossier est répertorié ainsi : « Années 1602-1603 . Procès-verbal des témoignages rendus en faveur d’Edme BROTHEY, curé de Monteluot, poursuivi à la requête des chirurgiens et barbiers d’Auxerre, pour raison des cures qu’il a faites ».

Et en effectuant patiemment la transcription des 37 pages de ce manuscrit, on peut reconstituer un épisode de la vie de ce curé, qui a précédé d’un siècle le curé COLLAS, autre personnalité marquante de notre village…Du même coup, nous ferons connaissance avec la langue française de l’époque (écriture et vocabulaire).

Les démêlés qui opposent médecins et guérisseurs ne sont pas nouveaux !

Mais , pour bien situer notre curé, il faut savoir qui étaient ces « chirurgiens et barbiers »…

Au Moyen-Age, le « corps médical » comprenait deux catégories de personnes : les médecins et les chirurgiens-barbiers.

La médecine a commencé à être enseignée en 1220 à Montpellier, en 1229 à Toulouse et en 1274 à Paris. Après 5 ou 6 ans d’études de philosophie et de sciences, vers 21 ans, on devenait « maître ès arts » et on avait accès à une faculté supérieure (droit, théologie, médecine…) . L’enseignement se faisait en latin et il fallait 10 à 20 ans pour obtenir un doctorat. Les médecins étaient considérés comme des intellectuels, des savants qui, puisant leur science dans les livres, ne pouvaient avoir une activité manuelle !…

Les barbiers ont joué un rôle important dès l’Antiquité ; ils sont représentés sur les papyrus égyptiens ; à Athènes les hommes rivalisent par la beauté de leur barbe…Dans le premier millénaire, seuls les moines et les prêtres savaient lire et écrire ; considérés comme des érudits, ils étaient appelés à soigner les malades. Or à cette époque, la majorité des maladies étaient fatales, aucune thérapeutique sérieuse n’existant. On ne savait qu’inciser les abcès et faire des saignées…Le clergé faisait donc appel aux barbiers, qui disposaient des outils nécessaires !

Au 12ème siècle, un concile interdit au clergé de retirer du sang humain : les barbiers prennent leur indépendance dans les activités de « chirurgie »…La profession de chirurgien-barbier apparaît ; elle n’est alors pas contestée par les médecins, qui font à leur tour appel à eux, car saigner un malade, comme tout autre geste manuel, eût constitué un acte déshonorant !

Leur champ d’activité s’élargit progressivement, bien au-delà de la coupe de cheveux, du rasage, des saignées et du perçage des abcès : blessures superficielles, luxations, fractures, hernies , traitement des dents, cautérisations, obstétrique …

Au milieu du 13ème siècle, Ils se constituent en corporation (guilde) pour accroître leur prestige et se dissocier des charlatans . Leur formation est assurée par plusieurs années d’apprentissage, et pour la chirurgie, au sein de collèges indépendants des facultés de médecine.

Et les barbiers qui opèrent à la Cour deviennent des personnages importants ; préposés en quelque sorte à la toilette du Roi, ils sont leurs confidents. Le bon roi saint Louis avait « son » barbier ; Olivier le Daim fut un vrai « compère » pour Louis XI ; un autre devint ministre du roi de Suède !

Au 16ème siècle, Ambroise Paré commença par couper les barbes, puis, engagé dans l’armée du maréchal de Rohan, il y effectua comme ses confrères des interventions chirurgicales . Très doué, il acquit une habileté extraordinaire et des connaisances très étendues en anatomie ; en 1545, il publia le premier traité de médecine, – sur « les plaies faites par les arquebuses »  -, …en français, car il n’avait pas appris le latin. Mais la Faculté continua à mépriser le travail manuel des chirurgiens –barbiers.

Il fallut attendre 1723 pour qu’une « Déclaration royale » consacre la séparation des 2 métiers de barbier et de chirurgien, exige de tous les « maîtres-chirurgiens » le grade de maître-ès-arts obtenu en Université, et interdise aux barbiers d’exercer la chirurgie ! Et en 1803 seulement, le chirurgien devient « docteur en médecine spécialisé en chirurgie »…

Notre curé de Monteluot , en 1600, n’appartenait à aucun échelon du corps médical de l’époque : ni barbier, ni chirurgien, ni médecin !

Soignant malgré tout de nombreux malades avec un certain succès, il est attaqué pour « exercice illégal » par la corporation des maîtres-chirurgiens d’Auxerre.

Il se rend donc chez un notaire d’Auxerre, lui raconte son histoire, et lui demande de recueillir et d’authentifier une quinzaine de témoignages de patients satisfaits de ses soins.

C’est le texte du notaire que nous avons sous les yeux…Nous sommes dans l’étude notariale  ; le curé BROTHé fait part de son problème .

Un peu plus loin, (page » notion de paléographie ») nous reproduisons les 15 premières lignes du manuscrit original (chaque page contient de 25 à 30 lignes), en les faisant suivre de la transcription ci-dessous reproduite respectant syntaxe et orthographe mais utilisant les signes littéraux actuels.

« Le vendredy troisiesme jour du moys de Janvier mil six cens troys avant midy devant nous … Daulmoy et Loup Horry notaires tabellions royaulx gardenottes hereditaires au bailliage Siège présidial et prevosté d’Aucerre soulzsignez s’est adressé vénérable et discrette personne messire Edme Brothé prestre curé de Monteluot, lequel nous a dict qu’il est travaillé et poursuivi à la requeste des lieutenant et maistres chirurgiens et barbiers de ceste ville d’Aucerre pour raison de quelques cures qu’il a faictes tant en ceste ville que autres lieux, de plusieurs dislocations, fractures dos et menbres, jalissements ( ?) de nerfs et autres infirmitez dont plusieurs personnes estoient atteinctes et détenuz malades, et parce que ce qu’il en a faict a esté à grandes instances, prières et suplications sans aucun lucre ny proffit, mais par charité et amour crestienne envers les pauvres malades… »

Après l’introduction reproduite ci-dessus, le curé ajoute qu’il s’est souvent déplacé pour se rendre chez les malades « ès lieux où il estoit mandé », « ne voulant déceler ny cacher la science de laquelle il a pleu à Dieu le dhoner », et travaillait jour et nuit sans demander aucun salaire.

En général, les patients avaient déjà consulté, sans résultat, les « chirurgiens » d’Auxerre ; ceux-ci les ont « veux, visitez et medicamentez » , (« veuz » pour « vus » ; « visitez » pour « examinés »…) puis les ont « quictez ny pouvans apporter guarison »…

Pour conforter sa défense, Brothey demande au notaire d’entendre sous serment (« oyer ») et d’interroger des malades qu’il a soignés.

La transcription des 37 pages effectuée, nous ne retiendrons ici qu’un résumé des témoignages successifs, en ne laissant pas échapper la saveur des mots et des expressions caractéristiques de l’époque…

Le premier cité, « en la maison du prieuré de St Eusèbe », s’appelle Simon REGNAULT ; il est « drappier drappant demeurant à Aucerre », « agé de xl ans ou environ ». ( « xl  » signifie 40comme les chiffres romains en majuscules « XL »). Trois ou quatre ans avant, « pour la veille du dimanche gras, il se rompit le bras senestre ensemble l’os mauplat de l’espaulle et la nuque en tombant sur la glace aux faulx bourgs St Gervais ». Il fait appel à un Maître chirurgien d’Auxerre, RAGON le Jeune, qui, – écrit le notaire au conditionnel, car il s’agit d’un récit, et non d’un fait constaté par lui-même -, « l’auroyt pensé (= pansé) et médicamenté des dictes fractures et blessures environ quinze jours » . Mais, constatant « qu’il ne se guarissoit et estoyt toujours detenu gisant sur le lict sans pouvoir s’ayder », il dit au chirurgien « qu’il ne pruit plus la peyne de le penser et médicamenter »…Et ce n’est que le « mercredy d’après la feste dePenthecoste qu’il auroyt entendu que le dict Brothé demeurant à Monteluot, distant de ceste ville d’Aucerre de huict lieues, estoyt fort expert pour la guarison de telles fractures ». Le même jour , il se fait transporter chez le curé Brothé ; celui-ci « auroit faict tel soin et cure que dans quinze jours après , le dit déclarant auroyt esté guary des dictes fractures et auroyt commancé à travailler »…Pendant son séjour il a vu plusieurs « pauvres malades et impotentz » que Brothé « nourissoyt et médicamentoyt », « pour l’honneur de Dieu » , c’est-à-dire sans les faire payer !

Il ne demanda rien non plus au drapier , et celui-ci ne lui donna rien d’autre que deux « escus qu’il bailla volontairement »

Pour conclure, le dit REGNAULT déclare qu’il se porte bien depuis ce temps-là…

ð A propos de la famille RAGON : dans les registres paroissiaux d’un autre village du Vézelien, Brosses, on trouve le 8 octobre 1678, l’acte de sépulture de Mr Pierre RAGON, 70 ans, lieutenant des chirurgiens du bailliage d’Auxerre,

en présence du curé de Brosses, fils du défunt, et de Me Guillaume COLLAS, curé de Montillot.

Ensuite vint Claudine REGNAULT, âgée de 54 ans, servante au prieuré de St Eusèbe .

« Au moys d’octobre de l’an passé, allant porter la paste (= pâte) au four, elle tomba du hault en bas de la vis (=escalier à vis) de la ditte maison , de laquelle cheutte (=chute) elle se seroyt gravement blessée, desmis ung des os de l’espine du dos et deux costes (=côtes) » .Ayant appris que le dit Brothé était justement à Auxerre, traitant la femme du « grenetier » Gaspard LEPRINCE, «  elle l’auroyt mandé et requis de la soulager », ce qu’il a fait ; « lesquels os remis en leur place », et partie sans rien payer, elle se porta bien par la suite…

Nous avons ensuite le témoignage de Dame Anne LECLERC, « femme de honete homme Messire Gaspard Leprince, grenetier pour le Roy,…et Maistre particulier sur le faict des eaues et forestz du Conté et Bailliage d’Aucerre » . Agée de 25 ou 26 ans, elle déclare que le samedi 7 septembre précédent ( 1602 ), « estant aux champs dans une cherrette venant d’un lieu à elle appartenant, proche de ceste ville d’Aucerre, le cheval qui estoyt en lymons …se seroyt mis à ruer fort rudement, desquelles ruades elle auroyt esté attaincte et offencée, en telle sorte que l’os pubis et l’os appelé l’oisquion auroyent esté rompus ». Elle précise que ce sont les chirurgiens qui lui ont appris ensuite le nom de ces os…Mais ce n’est pas tout : elle a voulu se sauver en sautant de la charrette, et celle-ci, traînée par le cheval furieux, lui est passée sur le corps, « et luy auroyt brisé l’os sacron et desmis les deux anches ( = hanches) » .

Revenue dans sa maison, elle fait venir deux chirurghiens d’Auxerre, « Me Jehan RAGON l’esné et Me Jehan RAGON le Jeune » ; ils ordonnent « une medecyne,…deux suppositoires, …des clistaires », sans le moindre effet : « tout ce qu’elle mangeoit resortoyt de son corps ». Les chirurgiens disaient qu’elle n’avait plus qu’un jour à vivre ; son mari étant absent, ce sont ses parents qui décident de faire appel à Brothé. En la voyant celui-ci se rend compte du danger, mais notre brave curé de Monteluot fut très gêné et « feit grande difficulté de mestre à elle la main » …dans la région pubienne ! Supplié par tous les proches, il se décide enfin, et «  trouve qu’elle auroyt le dict os sacron brisé et enfoncé, lequel os bouchoit le conduit en nature »; il lui fallut plusieurs séances pour tout remettre en place, mais la patiente se sentit bien remise, et elle « croy sertainement que sans l’ayde de Dieu et du dit Brothé », elle n’en serait pas là !

Le curé ne lui a demandé aucun « saillaire » ,… « et se seroyt contanté de ce qu’elle luy auroyt volu donner »… « et plus n’a dict »… « et a signé » …

Suit un témoignage reçu en la maison de Messire Simon Brouard: «  honeste homme Pierre Nigot, marchant demeurant à Aucerre aagé de soixante-quatre ans, après serment par luy faict et enquis comme les dits cy-dessus declarans », « a dict que trois ans y a ou envyron », sa fille Edmée NIGOT, âgée de 14 ans, « estant en sa maison, seroyt tombée de dessus une eschelle, de laquelle cheutte elle se desmit la joincture du coulde du bras droict ». Les deux chirurgiens RAGON ont été appelés, «  la veirent et la visitèrent ». Après avoir été « pensée (= pansée) et médicamentée » par eux « par l’espace de troys moys et demy sans partir du lict » , on se rend compte «  qu’elle ne venoyt à guarison » …Les chirurgiens renoncent et disent à « l’ayeulle de la dicte fille »… « qu’elle ne pouroit à l’advenir s’ayder (= se servir) de son bras ny le porter plus hault que la ceinture »… C’est le Sieur de Moly, qui conseille à l’aîeule d’aller à Monteluot : le curé Brothé a remis en place la jointure du coude, après quoi la jeune Edmée pouvait «  s’ayder de son bras, le mettant librement sur sa tête » . Le père a seulement payé la nourriture de sa fille, et le curé n’a rien demandé d’autre…

Edme BROCQUET, maître taillandier à Auxerre, âgé de 49 ( xlix ) ans, aux vendanges dernières, « a porté sur ses espaulles une tyne ( = un baquet ) plaine de vin, en se baissant pour la vuyder, se seroyt desmis l’espaulle ». Il a souffert pendant 15 jours et a appris que le curé de Monteluot était en ville, et qu’il « estoyt fort expérimenté en tels accidents ». Celui-ci constate que « c’estoyt le palleron de l’espaulle qui s’estoit disjoinct dans le bras », et lui remet « les dits os desmis en leur lieu ». Le patient déclare que « depuis n’en a senty douleur », et qu’à son bienfaiteur il fit « present d’une petite serpette » … « et plus n’a dict et a signé »…

Pierre LESAGE, « couroyeur demeurant à Aucerre, aagé de 53 ans », … « deux ans y a, seroyt tombé en la cave de sa maison delaquelle cheutte il se seroyt froissé le corps ». Il a consulté Edme Laurent , lieutenant des maîtres chirurgiens , « qui l’auroyt visité, pensé et médicamenté par l’espace de deux moys », et sur son avis, il en appelle à Me Nicolas Bazière, docteur en « medecyne demeurant en ceste ville ». les praticiens le déclarent «  guary des dictes fractures », et pourtant «  il ne pouvoit respirer ny travailler comme il faisoyt auparavant ». Deux mois plus tard, toujours «  gisant malade » , il a la visite du Sieur de Moly, qui lui conseille de se « transporter par devers le curé de Monteluot ». Celui-ci «  trouva que le dict déclarant avoyt deux costes disjoinctes et rompues , lesquelles il remeit en leur lieu sans aucune incision »… En remerciement , le patient « luy auroyt baillé ung escu combien qu’il en méritast six fois autant »…

Nicolas SELLYER est maître charpentier à Auxerre, âgé de 63 ans environ ; il y a 12 ans, « eslevant une gallerie de son estat de charpentier ès la maison de Me Guillaume Dupuys, chanoyne demeurant à Aucerre, seroyt rompu ung aiz ( =ais : planche de bois) soulz ses piedz » … « il seroyt cheut et tombé sur ung duallage de cave de holteur de quinze pieds » et « se rompit la joincture de la main gauche ». Le chirurgien Ragon lui met un cataplasme sur la main. Mais « voyant le dict déclarant qu’il ne s’advéroit pas guari et qu’il en enduroit beaucoup de douleurs », il suivit le conseil de Me Edme Bargède, conseiller du Roy au Bailliage , qui «  luy bailla advis de s’adresser au dict curé de Monteluot ». Celui-ci « l’ayant veu et visité luy auroyt remis la dicte joincture desmise ». « et ne luy bailla le dict déclarant aucune chose » bien que le curé l’ait reçu, soigné, couché une nuit «  et luy feit bonne chère »…

Michel COTTEREAU, 35 ans, marchand à Auxerre, raconte qu’à l’époque des dernières vendanges , «  il appareut qu’une sienne petite fille aagée de deux ans, estoyt offencée au corps aiant une grosse bosse sur le col qui luy faisoyt baisser la teste ». Ayant appris la présence d’Edme Brothé chez Me Gaspard Leprince, le déclarant le prie de venir voir sa fille : notre curé « auroyt tellement travaillé de ses mains qu’il auroyt remis la dicte espaulle disjoinctée en son lieu sans aucune fracture ny incision », et il ne voulut accepter que15 sols !

« Vénérable et discrette personne Messire Estienne MARTIN prestre curé de Goix les St Bris prez Aucerre » , âgé de 42 ans, raconte que 3 ans auparavant, en mars, « luy estant à genoux en l’église de St Bris, se relevant et aiant le pied endormy, seroyt tombé sur le pavé de la dicte église et se seroyt rompu les deux soucilles ( ?) de la jambe senestre et les os esclattez, tellement que sa jambe estoyt en grande difformité et seroyt evanouy ès la place ». Jehan Gouverneur, le chirurgien de St Bris lui met un « premier appareil », et fait appel à Jehan Ragon le Jeune. Tous deux lui ordonnent de garder le lit six semaines «  sans se lever ny manier sa jambe ». Ce délai expiré, l’appareil est enlevé ; la jambe est déclarée guérie, mais il faut patienter encore 3 semaines. Ragon revient alors et constate qu’il n’y a pas d’amélioration, dit qu’il ne peut rien faire de plus et ne reviendra pas ! Le chirurgien de St Bris continue ses médicaments, mais sans plus d’effet ; le pauvre curé ne se soutient qu’avec deux « potances » . Il exige un examen complémentaire de Ragon l’aîné et de Me Nicolas Bazière, docteur en médecine. Ils sont tous d’accord pour affirmer « qu’avec le temps il se porteroyt bien » . Au bout de 3 semaines encore, « congnoissant qu’il ne se portoit mieux qu’auparavant » , et ayant entendu parler du curé de Monteluot, il le fait prier « de le venir veoir ».Brothé le fait « transporter ès sa maison de Monteluot », et «  par son soin, cure et diligence, l’auroit tellement traicté et pensé par l’espace d’ung moys, qu’il l’auroyt rendu guary, marchant seulement avec un petit baston ». Lasuite du témoignage est édifiante : « durant lequel moys qu’il fut èz la maison du dict Brothé, il y a veu environ soixante ou quatrevingtz pauvres gens malades et impotens, les ungs des bras, les aultres des jambes ou du corps » et Brothé « nourissoyt et iraictoyt la pluspart pour l’honneur de Dieu »…

Denis de DROUARD, écuyer, seigneur de Curly, âgé de 50 ans, raconte que, trois ans auparavant, faisant abattre un vieux bâtiment à Bleigny, «  fortuitement le dict bastiment seroyt tombé et tué le charpentier qui l’abbatoyt et le dict déclarant accablé soulz plusieurs pièces de boys, qui luy auraient rompu le corps et le bras ». Les chirurgiens d’Auxerre le soignent quinze jours ; les plaies guérissent, mais le bras, l’épaule et les côtes ne sont pas réparés. Il se fait donc conduire « ès lieux de St Mars et Vauchassy proche Troyes » auprès de personnes censées capables de le guérir. Mais aucune amélioration n’étant obtenue, il « se seroyt retirez ez sa maison attendant plustost la mort que la vye ». Allant à Auxerre pour faire son testament, il entend parler du curé Brothé…Il se fait transporter à Monteluot, où il est soigné pendant un mois. Lui aussi a constaté la présence d’autres personnes impotentes : « il auroyt veu que le dict Brothé auroyt pensé treize personnes de plusieurs dislocations et fractures d’os, sans qu’il ayt veu demander aucun sallaire, et croyt qu’il en pensoit beaucoup pour l’honneur de Dieu ». Pour son propre cas, « le dict Brothé ne luy a demandé aucune chose, aussy ne luy a il rien donné » !« Honeste homme et sage » 

Me Estienne SOTHYNEAU, raconte que , 7 ans auparavant, sa petite fille de 4 ans , à la suite d’une chute, avait une hanche « mesmise », de sorte qu’elle « clochoit et marchoit avec grande difficulté » . Ayant eu connaissance des capacités de Brothé, il l’a envoyée à Monteluot « neuf sepmaines enthières avec une sienne nourice » . A son retour, « elle avoit le mouvement de ladicte hanche beaucoup plus libre qu’auparavant et sans aucune douleur sy bien qu’elle marchait aisément et sans clodication ». Bien qu’il ne fut pas présent, il pense que c’est la conséquence du traitement de Brothé. Il signale que celui-ci ne lui a demandé aucune rétribution, aussi bien pour la cure que pour la nourriture de la fillette et de sa nourrice…

Jehan LAURENT l’aîné, marchand âgé de 68 ans «  a dict que 14 ans y a ou envyron, s’en allant le soir à la garde, seroyt fortuitement tombé par terre, duquel accident il se desmit l’os de l’espaulle droicte ». Il fait venir chez lui une femme que l’on appelait « la Fauvelette » ; comme elle n’a pas réussi à le soulager, il appelle Me Ragon, lequel le soigne quinze jours, sans qu’il puisse se servir de son bras. Sur avis du conseiller Bargède, il fait venir Brothé, qui lui dit que « le dict os estoyt hors de sa boiste », et ne veut travailler qu’en présence du Lieutenant des maîtres chirurgiens de la ville, Me Edme Laurent. Il installe une échelle dans la maison, place le bras blessé sur un bâton avec des serviettes, une « escabelle » sous les pieds, retirée ensuite, pour que le patient reste suspendu « par dessoulz les bras » ; Brothé tire alors sur le bras offencé pour luy remettre en son lieu le dict os ». Et le déclarant « se seroyt toujourz bien porté de depuis ». Aucun prix ne lui fut demandé ; il aurait donné «  ce que bon lui auroyt semblé »…

Jehan LEFEBVRE, laboureur à St Georges, âgé de 53 ans, à la St Jacques en juillet précédent «seroyt tombé de dessus ung prunyer à cause de laquelle cheutte il se mesmit la noix d’une hanche et offencea fort en telle sorte qu’il ne pouvoit marcher qu’avec potences ». Il a consulté successivement deux guérisseurs qu’on lui a recommandés , mais sans résultat. Ayant ensuite appris que le curé de Monteluot était de passage à Auxerre chez le grainetier Leprince, il « se feit conduire en une cherrette en ceste dicte ville ». Brothé «  l’aiant visité trouva laditte noix de la hanche gauche desmise de sa place »,… « luy remit en son lieu », et « le conforta y mettent la main avec cataplasmes sans incision ny fracture, en telle sorte qu’il en est bien guary, et ne luy donna aucune chose parce qu’il ne luy demanda rien » !  Il lui a néanmoins fait entendrequ’il était pauvre et chargé d’enfants…

Nicolas MONOT est un vigneron demeurant à Nangy-sous-bois, 50 ans ; « luy et sa femme estans a travailler aux vignes pour des habitans de ceste ville d’Aucerre », leur fils de 13-14 ans et leur fille de 4 ans attendaient sur le pont de l’Yonne . « Fortuitement, seroyt tombé sur son dict fils ung quartier de pierre des courtines et gardefoux du dict pont, duquel coup il auroyt eu la main droicte rompue et brisée ». C’est l’hôtesse de « l’Escu de France », pour qui le déclarant travaillait habituellement, qui a emmené l’enfant chez le chirurgien Edme Laurent ; celui-ci étant absent, c’est son serviteur qui «  auroyt couzu deux ou troys poincts sur la dicte main et pensé et médicamenté icelle ». Le lendemain Nicolas retourne avec son fils chez le chirurgien ; il ne trouve que sa femme et son serviteur à qui il demande les soins nécessaires.. La femme « luy auroyt faict response que ledict déclarant estoyt pauvre, le congnoissoyt bien, et n’avoit moien de faire guérir son enfant, et qu’il eust à le mener à l’hospital de la Magdelaine, où on le traicteroyt pour l’honneur de Dieu, cause qu’il se retira plorant avec son dit fils ». C’est en revenant à sa maison qu’il rencontra Edme Brocquet, taillandier, qui lui conseilla d’ « aller vers le prestre de Monteluot soulz Vézelay » , ce qu’il fit . Le curé lui dit que son enfant «  avoyt la main cassée et brisée et qu’il auroyt besoin d’y remédier promptement, ce qu’il auroyt faict et vacqué à penser et médicamenterson dict fils par l’espace de dix-sept jours durant lesquels son dict fils auroyt esté ez la maison du dict curé ». Quand il revient le chercher , il constate que l’enfant se sert bien de sa main ; le curé lui « baille une emplastre pour mettre dessus » et ne demande rien à son père pour paiement des soins et de la pension des 17 jours ! Celui-ci lui remet seulement un « goujat » ( une gouge ?) « que luy auroyt baillé le taillandier »…

Blaise FOURRELET, 55 ans est vigneron à Quesne ; il témoigne devant les notaires le mardi 18 février 1603 : le 3 janvier précédent, jour de la St Sébastien, il est tombé sur la glace, et s’est « desmis la joincture du bras gauche »…et «  en enduroit de grandes douleurs ». Pendant 15 jours Messire Edme Laurent le soigne,…sans résultat. Il est allé consulter le curé Brothé, qui « l’auroyt veu et visité et remis les os du dict bras en leur lieu, et depuis s’est bien porté »…

Que dire de ces 15 témoignages ?

D’abord que notre curé possédait un savoir-faire indéniable . Acquis comment ?

Probablement comme les autres rebouteux de nos campagnes : par tradition familiale, transmise depuis la « nuit des temps » !

Nous n’avons pas là des procès-verbaux marqués de rigueur scientifique ; mais tous ces témoins ne croient pas au miracle ; seuls l’habileté et l’instinct conduisaient les gestes qui les remettaient sur pied …et « les os en leur lieu » !

Bien sûr, les praticiens « officiels », – chirurgiens et médecins -, sont ridiculisés . Mais Molière nous confirmera cette situation quelques dizaines d’années plus tard, en raillant ces Diafoirus dont la suffisance n’avait d’égale que l’ignorance , et en faisant énoncer au bachelier – candidat – médecin, dans un latin « macaronique » , la recette de base pour les soins : « clysterium donare, postea seignare, ensuitta purgare » !

Plusieurs questions se posent :

– de quelles ressources disposait le curé, lui permettant d’héberger certains patients plusieurs semaines ?

– où habitait-il dans le village ?

– quelle fut la décision des juges ?

Pas de réponse aujourd’hui : nous fouillerons encore les archives…

Mais de ces récits si simples, si éloignés de tout souci littéraire, il nous reste une série d’images, saisissantes de réalisme, de la vie quotidienne dans notre région, …il y a 400 ans !  Nous imaginons facilement :

…le drapier qui, « la veille du dimanche gras », tombé sur la glace dans le quartier St Gervais, doit rester plusieurs semaines « gisant sur son lit ».

…la servante du prieuré de St Eusèbe, qui tombe de l’escalier à vis en allant « porter la paste au four ».

…la jeune femme du grainetier, dont le cheval s’emballe , la charrette lui passant sur le corps et lui écrasant le bas-ventre, son retour à Auxerre, – probablement dans la même charrette -, et l’embarras du brave curé devant la blessure !.

…la petite Edmée, tombée d’une échelle et le coude démis, obligée de rester 3 mois au lit .

…le taillandier-vendangeur qui, portant sur le dos une « tine » pleine de vin, se penche pour la verser et se déboîte l’épaule ; comme paiement, il donne au curé une serpette de vendange.

…le charpentier qui, dans la maison du chanoine, tombe d’un échafaudage.

…le curé de St Bris, qui a prié si longtemps à genoux qu’il est ankylosé et que ses jambes cèdent quand il veut se relever.

…le Sire de Curly, hobereau avare, qui, soigné et hébergé pendant un mois, ne donne rien au curé, sous prétexte qu’il ne lui a rien demandé !

…le laboureur de St Georges, qui tombe d’un prunier et se déboîte la hanche.

…le vigneron de Nangy, chassé par la femme du chirurgien parce qu’il est trop pauvre, et qui s’en va en pleurant, tenant son fils par la main…

Et surtout cet extraordinaire défilé – plusieurs dizaines pouvaient être présents simultanément d’après un témoin -, de tous ces éclopés ( comment ne pas évoquer, comme H.Forestier, la série des « gueux » de Jacques CALLOT, graveur et peintre de cette même époque ?), qui, les uns en charrette, les autres sur leurs béquilles, se dirigeaient vers ce village des confins du Morvan, Monteluot sous Vézelay, pour consulter ce brave curé, dont nous imaginons la robuste silhouette et l’attitude débonnaire…

Si par hasard, dans un « terrier » (cadastre de l’époque), nous retrouvions la trace de sa maison, ne serait-il pas juste qu’au coin de sa rue, une plaque du 21ème siècle rappelle aux passants «  Edme BROTHEY, curé de MONTELUOT (15..-16..), rebouteux renommé et homme de bien » ?…

Bibliographie

– Archives départementales de l’Yonne (A.D.Y.) : 3 E 7 – 21.

– «  Lire le français d’hier. Manuel de paléographie moderne (15ème au 18ème siècle) » de Gabriel Audisio et Isabelle Bonnot-Rambaud – Armand Colin – 1994.

– «  Pour lire l’ancien français », de Claude Thomasset et Karin Ueltschi – Nathan Université – 1994

– « Mémento de Paléographie généalogique » de Pierre-Valéry Archassal ; chez Brocéliande, 7bis rue César Franck, 75015 Paris.

– « Dictionnaire des vieux métiers » de Paul Reymond, chez Brocéliande.

– Revue « La France pittoresque » – Rubrique « métiers d’hier et d’aujourd’hui ».

– « La littérature médicale française hier et aujourd’hui », par le Professeur Yves Bouvrain – « L’espace culturel » / Bibliothèque du ministère des Affaires étrangères.

ANNEXES

L’article ci-dessus a été récemment publié dans le bulletin généalogique de l’Yonne, en fin 2002, avec ce complément, établi par Robert Timon, authentifiant les évènements relatés. 

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L’épopée de la création des écoles publiques à Montillot

R. M. Koutlidis, 2016

Rappel Historique

Si la révolution a en théorie instauré la création de l’école publique et gratuite, puis la création du corps des enseignants du primaire, c’est la loi de Guizot du 18.6.1833, sous la monarchie de Juillet, qui impose à toute commune de plus de 500 habitants de financer la création d’une école de garçons.

C’était  l’époque où la population à Montillot était au plus haut depuis le début des recensements, avec  911 habitants dont 73 enfants.

Il fallut attendre le 23.07.1836 pour que l’école publique soit étendue aux filles, sans obligations, et la loi Victor Duruy du 10.07.1867 pour que ces écoles de filles soit une obligation pour les communes de plus de 500 habitants.

Bien sûr, auparavant, il existait déjà une école ainsi qu’en témoigne cette note prise par A .BUET :

C’est un rapport d’inspection de l’Archiprêtre de Vézelay, conservé aux Archives de l’Evêché d’Autun, qui l’annonce :

« Montillot – 1700 – 240 habitants – …Les habitants ont nommé pour marguillier, chantre et maistre d’école dans la paroisse le sieur Guillaume DEFER, qui a promis de faire lesdites fonctions avec l’exactitude requise, moyennant quoi les paroissiens se sont obligés de lui donner et faire donner, par chaque année, 3 sols par chaque manouvrier, et une quarte de bled par chaque laboureur, et demye quarte par demye charrue, et en outre ce que ceux qui envoyront leurs enfants à l’école payeront les mois, qui seront pour chaque enfant de 3 sols pour ceux qui apprendront à lire et à écrire, comme encore au cas où le Roy attribue quelques droits au maistre d’escole des paroisses qu’il percevra lesdits droits dans cette paroisse sans diminution de ceux cy-dessus ». …

 Nous connaissons Guillaume DEFERT, grâce aux Registres paroissiaux conservés aux Archives de l’Yonne (A.D.Y.).

Il est né à Montillot le 15 Juillet 1672 ; c’est l’année la plus ancienne des registres conservés. Ils sont tenus par Guillaume COLLAS, 28 ans, curé depuis le mois de janvier précédent.

Guillaume DEFERT est le fils de Jehan, – « lieutenant du bailliage », représentant officiel de l’Administration -, et de Claudine REGNAULT.

Il s’est marié le 6 février 1696 avec Elisabeth FERRAND, 21 ans, fille de Toussaint FERRAND, « huissier royal » (on disait aussi « sergent royal »), et de Marie de TROTAS.

Son cousin-germain Guillaume DEFERT (1675-1704), est « procureur d’office de Messieurs du Chappistre de Vézelay ».

Il fait donc partie des notables du village, et il n’a certainement pas eu de difficulté pour se faire agréer par la hiérarchie ecclésiatique.

Il est mort à 30 ans, le 23 Mars 1703 ; nous ne connaissons pas la cause de ce décès précoce ; le curé COLLAS est peu loquace ! Mais nous connaissons sa profession  : dans un acte du 14 Mars 1705, fondant 2 messes basses annuelles en échange d’un journal de terre donné à la « Cure de Monteliot », selon la volonté des défunts FERRAND et DE TROTAS, on lit parmi les héritiers « exécutants » : «  Elisabeth Ferrand, vefve de défunt Guillaume Defert, vivant voiturier par eaux » (on dirait maintenant  transporteur fluvial). »

L’école des garçons

Les archives municipales (maintenent conservées aux archives départementales de l’Yonne [ADY], série O [2O2463 et 2O2464]) ont permis de retrouver le fil qui a conduit à la création de l’école publique à Montillot.

Dès 1833, une école de garçon était installée dans une partie des bâtiments nouvellement acquis par la commune des époux Rabier/Grossot de Vercy, en 1820.

On a trouvé dans le dossier de la commune, en date du 13 octobre 1819 une ordonnance signée Louis, le roi, au château des tuileries, autorisant le maire de la commune à acquérir au nom de cette commune du sieur Rabier cette maison pour servir de presbytère, de maison commune et d’école. La commune avait engagé des négociations âpres pour initialement louer, puis acquérir un lieu dans ce but.

Le premier Novembre 1817 est « amodié » (= loué) à MM les membres du conseil municipal la maison RABIER  moyennant la somme de 96F par an, « à commencer au 15 de ce mois et ce pour trois années consécutives ».  Le 5 novembre est transcrit dans le registre le texte du bail de location de la maison Rabier. Il s’agit de : « Une maison située à Montillot, consistant en chambre, cuisine, cabinets, office, grenier, cave, jardin et vergers entourés de murs, derrière ladite maison lieux d’aisance, puits commun avec le fermier ; le colombier, à la charge de nourrir les pigeons pendant l’hiver et d’en laisser en quantité  suffisante à l’expiration des trois années ; l’écurie et vinnée du bâtiment neuf ; la grange dite du lieu ; le poulailler et le toit à porcs, qui sont situés sous le colombier… sans néanmoins que moi  DELENFERNAT puisse rien prétendre sur la partie habitée par le fermier de M RABIER et sans pouvoir nuire aux biens qui font partie de son bail ». Monsieur Joseph Anne Georges de LENFERNAT était alors maire de la commune.

« Une promesse de vente ayant été faite à la commune, le bail sera nul et non avenu dans le cas où l’autorisation d’achat aurait été obtenue avant le 25 Mars prochain. »

Dans une lettre datée du 22 janvier 1819, adressée au sous-préfet, au moment des négociations pour la vente du bien, le sieur Rabier précise « la partie habitée de cette maison aurait couté à bâtier plus de 30000F et le bâtiment qui peut faire maison d’école, bâti il y a 6 ou 7 ans, a couté dans les 4000F » : un bâtiment « neuf » est accolé aux granges.

L’acte de vente est établi par maître Hugues MONSAINGEON de Vézelay, (reproduit ci-dessous), en date du 23 février 1820. Sa lecture en est assez difficile ; il ne précise pas l’origine antérieure de la propriété, mais donne une description assez précise des lieux : «  une maison de maître à laquelle est attachée la chambre habitée par le métayer. Cette maison est composée de plusieurs chambres, cuisine, cabinet, colombier, cave, granges, écurie, vinnée, cour verger et jardin, entourée de murs, aisance dépendante de ladite maison, qui est située au bas de ladite commune de Montillot, tenant du long à la rue et au chemin qui conduit dudit Montillot à Brosses, d’autre part aux terres labourables dites celles du champ jolly et aux chennevières aux vendeurs dont fait partie un petit canton ci-après désigné, d’un bout par Defert encore à une autre partie de terre dite celle de la plante tenant aux vendeurs, et d’autre bout du bois tenant à la rue qui conduit au petit puits de jean Berson (?)

(…) trois mètre et un tiers (ou dix pieds) de largeur dans toute la longueur de la pièce, à prendre dans une étendue de plus grande contenance de terre à faire ( ?) chennevière, sortant derrière lesdittes granges et écurie tenant d’une part à celle de Jacques Jojot, d’autre au surplus de la pièce d’embout aux susdittes granges et écurie, d’autre le long du chemin de la carrière ». Plus loin on précise « et comme dans  la partie du mur qui tient à la terre dite du champ Jolly et chemin (…) il y a deux ouvertures en portes, alors les dits vendeurs s’obligent à les faire maçonner, à couvrir la partie du maçonnage (…) comme (…) à leurs frais (…) (…) de la part de la commune envers eux, et les ventaux des dites portes leur appartiendront ». Cette vente, avec d’autres immeubles, a été faite moyennant le prix principal de sept mille quatre cent francs payable sur le produit de la vente du quart des réserves de bois de la commune. C’est le nouveau maire Moré DEFERT, remplaçant le maire démissionnaire Joseph Anne Georges de LENFERNAT, qui finalise cette transaction.

Cette acquisition a permis de pérenniser  l’école des garçons dans le bâtiment de granges, le presbytère dans la maison principale, et d’installer le logement de l’instituteur dans le logis précédemment réservé au fermier du sieur Rabier.

De premières réparations sont faites en 1837 dans la maison d’école. (C’est à cette date qu’a été creusé le puits communal, près de la maison d’école, en raison de sa situation en bas du village, de l’humidité des lieux, ce qui faisait espérer le succès de l’opération. Ce puits existe toujours.)

Depuis cette date, la maison d’habitation a été dénommée « le presbytère », fonction qu’elle n’avait pas auparavant puisque le desservant n’habitait plus la commune depuis la révolution, et que le curé Desautel, en fonction à la révolution, logeait dans la maison adjacente à l’église, qui avait été réquisitionnée comme bien national, puis vendue.

L’école des filles.

Quelques années plus tard se pose le problème de la création de l’école des filles.

sur ce plan figurent en haut l’emplacement de l’école des garçons-presbytère, à gauche en bas la première école des filles, en bas à droite l’emplacement proposé pour la nouvelle école et la mairie, à l’entrée du village.

En 1868 une maison appartenant à Mr Pierre Joseph de LENFERNAT (maire de 1852 à 1853 puis de 1860 à 1870) est louée à la commune pour 3, 6, ou 9 années consécutives pour y installer l’école des filles. Elle est située au lieu-dit le crot major, nom aujourd’hui disparu, mais un plan (voir ci-dessous) nous permet de situer les lieux non loin du puits Martin. Cette maison se compose d’une salle de classe, chambre à coucher, cuisine, grenier sur le tout, jardin d’environ quatre ares attenant au bâtiment, pour un prix annuel de 100 francs. Ce qui fut fait, et secondairement approuvé par l’inspecteur d’académie, pour une période de 3 années consécutives en attendant de trouver un autre local. Monsieur P.J. de LENFERNAT, alors maire du village, avait acquis cette maison en 1861, des héritiers JOJOT, puis l’avait restaurée avant de la louer.

En 1873 et 1874 la commune projette l’acquisition à Mr GUTTIN d’un terrain situé à l’entrée du village (voir plan),  pour la somme de 2000 francs, afin d’y construire le bâtiment qui abritera la mairie et l’école des filles, en raison de la dégradation importante notée dans le bâtiment qu’elles occupaient : un témoin de l’époque, représentant l’inspecteur d’académie notait: « trop exigu, la toiture menace ruine, les deux pièces qui servent de logement à l’institutrice sont trop petites, à peine éclairées, et si ce n’est leur exquise propreté elles ressembleraient plutôt à des étables qu’à des chambres à coucher » .

Un grand courrier du Préfet (ci-joint) daté de 1874 argumente les différents points posant problèmes à la commune: l’état misérable du logement occupé par la maitresse, la nécessité de la loger ailleurs, le vif conseil de ne plus « prendre loyer  » pour l’école des filles, et, puisque la commune ne peut pas se plonger à nouveau dans de grandes dépenses pour construire un bâtiment neuf, le conseil est donné de proposer l’acteuelle école des garçons aux filles et de donner le bâtiment neuf aux garçons.

Y sont adjoint de nombreux courriers croisés entre le sous-préfet, le préfet, l’inspection d’académie, et Mr P.J. de LENFERNAT (ancien maire démissionnaire) qui conteste ce choix, et la mairie représentée par son nouveau maire Claude GUILLOUX qui suspecte le dernier de n’obéir qu’à ses intérêts…

S’en suit finalement une mise en demeure du sous-préfet  :

  • de ne pas acheter le local précédemment loué à Mr P.J. de LENFERNAT, à l’expiration du bail de 3 ans en décembre 1875,
  • de ne pas acheter un quelconque local dans le village, (3)
  • mais de donner aux filles l’école des garçons et de faire construire à l’emplacement du terrain acquis de Mr GUTTIN une nouvelle école qui sera donc non pas pour les filles ainsi qu’abondamment documenté dans les nombreuses demandes de financements divers, mais pour les garçons.

En attendant la construction, l’école des filles reste en l’état et la maîtresse est relogée ailleurs, du côté du chemin du lac, local dont le loyer est initialement mis au nom de cette maîtresse qui s’en insurge auprès du rectorat, et l’anomalie est rapidement réglée.

En 1880 la nouvelle école est terminée.

En 1881, le conseil municipal demande très officiellement d’attribuer cette nouvelle école aux garçons, ces derniers délaissant l’école rue du petit puits aux filles. L’inspecteur d’académie appuie la demande du conseil municipal en stipulant que « la nouvelle école et son logement pour l’instituteur sont excentré par rapport au bourg, ce qui pourrait poser problème à une institutrice habitant seule , ce qui n’est pas le cas pour l’instituteur et sa famille. »

L’école des Filles, épilogue

En 1880, les garçons occupaient toujours le « nouveau » bâtiment de granges, et la petite partie au nord, y compris à l’étage, avait été transformée en Mairie. L’instituteur logeait dans l’ancien bâtiment du fermier, sur rue.

En 1877, la maison de l’institutrice étant devenue trop insalubre, il lui fut trouvé une autre maison dans le village (non localisée), constituée d’une petite pièce, pour un loyer de 45 francs mensuels que la commune a cru bon de mettre à la charge de l’institutrice : d’où contestation, à juste titre, auprès de l’académie et rétablissement de la charge à la commune. Elle jouissait aussi d’un jardin situé au début de la rue du lac.

En 1879, la maison d’école « des filles » et mairie est en construction. Il est alors projeté de compléter l’édifice de part et d’autre par deux annexes de 6m de long sur 4.5m de large, pour en faire (1) à l’est le bâtiment de mairie, et (2) à l’ouest le préau.

En 1880 le bâtiment est construit et la nouvelle école transformée en école de garçons. Un argument de poids est avancé par l’inspection d’académie avalisant ce choix : « le logement du nouveau bâtiment est spacieux, et un peu isolé, ce qui convient bien à la famille de l’instituteur, tandis que l’institutrice pourrait avoir quelques craintes à y demeurer seule, et qu’elle sera mieux dans l’autre maison située à l’intérieur du village. »

1882-1905 : C’est au tour de l’école des filles d’intégrer le bâtiment de l’ancienne école des garçons. Quelques modifications y sont apportées.

école des garçons, qui devient école des filles en 1880.

Le 14 Mai 1882, la décision N° 28 du conseil municipal considère que la cour du presbytère est très vaste, la cour de l’école des filles trop étroite: il était impossible d’y entrer avec une voiture. En outre un recoin moins accessible échappait à la surveillance de la maîtresse.

Pour remédier à cela il est envisagé le déplacement parallèle du mur et du portail du presbytère de 8 m environ en dedans, sur la cour trop vaste, pour agrandir la porte de l’école.

On note que l’angle de la maison sur rue a été « raboté » afin de permettre aux véhicules d’entrer dans la cour. Un mur en pierre sèche sépare la cour et le bâtiment des granges en deux parties, à partir du local d’aisance qui y était accolé, jusqu’au nouveau portail avec pierres chasse-roues ; un second portail y est accolé, pour accéder à la partie communale.

Plan d’alignement datant de 1863,et tracé en rouge des modifications apportées au portail en 1882

On note que l’angle de la maison sur rue a été « raboté » afin de permettre aux véhicules d’entrer dans la cour. Un mur en pierre sèche sépare la cour et le bâtiment des granges en deux parties, à partir du local d’aisance qui y était accolé, jusqu’au nouveau portail avec pierres chasse-roues ; un second portail y est accolé, pour accéder à la partie communale.

En 1882, de nouvelles réparations dans l’école des filles sont préconisées (pour 100F) (et vote de crédits pour un nouveau cimetière pour 4000F). Le 2 mars 1894 sont effectuées des réparations sur les fenêtres de l’école des filles.

En février 1905 une nouvelle campagne de réparation de l’école des filles est discutée.

Mais « considérant les réparations nécessaires, le terrain bas et humide, la distance de 500m à parcourir à pied par les petites filles, la surveillance impossible à midi, l’institutrice résidant alors à l’école des garçons, la commune demande l’aide de l’état pour construire et installer une école de filles aux lieu et place de la mairie attenant à l’école actuelle des garçons.

C’est la date de 1898 qui figure sur l’actuel bâtiment de mairie.

Un grand merci à André Buet pour sa relecture, et ses travaux préalables abondamment utilisés.

Voir aussi:

Les maîtres d’école de 1700 à nos jours

Quelques photos de classe

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environnement histoire régionale

« La framboise : quel délice ! »

R. M. Koutlidis 2020

Sous ce titre était publié un article de l’Yonne républicaine dans les années 1960. Mais on a beau chercher aujourd’hui, bien malin celui qui trouvera encore des champs de framboisiers dans nos plaines…

Pourtant Montillot s’est doté depuis une vingtaine d’années d’un emblème associant framboises, cerises et cassis qui figure sur le site internet de la mairie, les correspondances, les enveloppes personnalisées du village.

Mais d’où vient l’attachement à ces cultures que l’on cherche en vain alentours?

La culture des petits fruits et en particulier des framboises a eu à Montillot sa période de gloire, au point qu’on peut affirmer qu’elle fait partie de notre patrimoine. C’était à Montillot une institution qui a perduré du XIXe siècle jusqu’au développement de la mécanisation des terres cultivées, qui a conduit, remembrements aidant, à la suppression progressive des haies, des arbres, des vergers et champs de framboisiers disséminés alentours.

Que de mois d’Aout passés à cueillir, ensemble, tous les deux jours, des kilos et des kilos de framboises, réparties précautionneusement en barquettes autrefois de bois, puis de carton, puis de plastique, parfois décorées d’une feuille, pesées, comptées, évaluées, pour être transportées sur les marchés, ramassées par des transporteurs, déposées chez de gros « clients » …

La framboise… Une vieille légende raconte que Zeus, enfant, fit retentir les échos de la montagne de cris furieux à rendre sourds les génies démoniaques eux-mêmes, et Ida, la fille du roi de Crête, pour le calmer, lui cueillit une framboise ; jadis, toutes les framboises étaient blanches. La nymphe, s’égratignant le sein, teignit à jamais les fruits d’un rouge éclatant, dont Zeus dès lors se régala, les grapillant à la volée en gambadant sur les pentes du mont qui porte le nom de la nymphe. Le botaniste Carl Von Linné accrédita cette histoire en baptisant au XVIIIe siècle cette exquise baie du nom de Rubus Idaeus en souvenir de Pline l’Ancien (1r siècle ap JC) qui dans son « Histoire Naturelle » la mentionne comme très abondante sur le mont Ida en Grèce.

La ronce [1] elle-même semble provenir d’Asie, plus précisément du Caucase, d’où seraient parties ses différentes ramifications. Le genre Rubus s’est établi sur tous les continents (sauf l’antarctique), sous toutes les latitudes, depuis le cercle arctique jusqu’aux tropiques, et, se dispersant, s’est diversifié (couleurs, saveur) ; il existe environ 200 espèces de framboisiers et plus d’une centaine de ronces, sans compter les nombreuses variétés créées et sélectionnées par l’homme. Ces baies ont été les premiers aliments de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, bien avant les graines et les herbes. On a retrouvé des restes de mûres dans les plus anciennes habitations humaines d’Europe. C’est une plante sauvage que les tribus du mésolithique ont su apprivoiser et cultiver.

Les framboises sont donc probablement issues des zones montagneuses d’Europe puis initialement cultivées au mont Ida en Turquie et produites dès la renaissance dans les jardins familiaux. Les amérindiens fabriquaient une pâte consistant en framboises écrasées dans du miel qui, séchée, se dégustait pendant l’hiver. La même recette, quasiment, était utilisée au moyen-âge et à la renaissance, période pendant laquelle on raffolait de confitures et pâtes de fruits.

Et c’est au Moyen-âge qu’on la baptisa Brambusia.

En tant que plante cultivée, le framboisier est cité pour la première fois par l’herboriste anglais Turner en 1548. Olivier de Serres (1539-1612), illustre agronome, conseillait la pâte de framboise, « recherchée pour son odeur agréable ». Les lettres de noblesse du framboisier ne sont vraiment acquises qu’en 1629 lorsque Parkinson dans son ouvrage « Paradisi in Sole Paradisus Terristris » consacre un chapitre entier à « The Rapis Berrie » dont il décrit deux types, rouge ou blanc. En France, La Nouvelle Maison Rustique dans son édition de 1732 décrit déjà toutes les grandes lignes d’une culture qui a relativement peu évolué depuis. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la framboise est plutôt destinée à la fabrication de boissons ou de parfums.

La culture de la framboise ne se développa en Europe et en Amérique du nord qu’au XIXe siècle. Dès lors, elle fut considérée comme un fruit de table et consommée en grande quantité. La culture de la framboise reste cantonnée dans les pays du nord de l’Europe (Russie, Angleterre, Hollande), et en France on la cultive surtout en Alsace et en Lorraine, en Bourgogne, célèbre pour ses fruits rouges (et dans la région parisienne).

A Montillot la culture de la framboise se développe en effet depuis la fin du XIXe siècle. On a vu précédemment avec Pierre GUTTIN qu’un certain nombre de jeunes en âge de travailler avaient suivi l’exemple de leurs aînés et migré dans la région parisienne pour des travaux agricoles saisonniers. Ces « migrants » avaient alors appris de nouvelles façons de travailler, notamment sur les fruits, et les méthodes de vente. Ils ont ainsi commencé à greffer les arbres fruitiers (Félix Savelli (1872-1947) était selon Jean Demay passé maître dans cet art qu’il aimait partager) et à planter framboisiers, fraisiers, cassissiers et groseillers, qui se sont comportés à merveille dans la plaine de Montillot.

La plaine (lieux-dits La Plaine de la Chally, La Canne, Les Sablons) est la zone cultivée la plus proche du village, la plus plate ; datant géologiquement de la fin de l’ère tertiaire, elle résulte de l’accumulation d’alluvions argileuses et siliceuses très anciennes mélangées à des détritus rocheux. Elle s’est avérée propre à la polyculture pratiquée jusqu’au remembrement de 1967 : blé, orge, betterave, fourrages, fruitiers de toutes sortes. [2]

Le terroir a donné à nos framboises leur parfum recherché.

Après – guerre la vie rurale reprend pied lentement. Certains sont revenus « au pays » après la perte de leurs commerces, de leurs biens, ou pour accompagner des parents vieillissants. D’autres reprennent possession d’exploitations maraîchères exploitées par les femmes pendant les années de guerre.

Et non, contrairement aux souvenirs de Pierre GUTTIN[3], l’histoire ne s’est pas arrêtée là. La vie au village se réorganise et l’habitude est prise (re-prise) de vendre en commun au nom d’un syndicat qui écoulait au meilleur prix les produits vers des entreprises de transformation en gros. Quelques documents comptables qui ont échappé au naufrage des décès, successions et ventes nous sont parvenus. Les deux plus anciens datent de 1955.

Le premier est adressé au « syndicat des fruits de Montillot » le 20 juin 1955.

Il s’agit d’un contact avec la maison L’héritier-Guyot afin d’établir une collaboration pour la fourniture de cassis et éventuellement de framboises.

Cette maison fondée en 1845 est renommée pour sa liqueur de cassis et existe toujours.

Aucun document ne permet de documenter cette collaboration. On note cependant que la culture du cassis s’est ensuite intensifiée.

Le second document est daté du 7 juillet émanant du mandataire « DE LESTABLE », aux Halles centrales de Paris.

Il avait accompagné un bordereau de vente d’un premier envoi. Sans doute de bigarreaux ou de framboises puisqu’il est question au verso d’un deuxième envoi très attendu de cassis, en grandes quantité.

S’il existait déjà avant-guerre, ce syndicat des fruits était donc toujours très actif 30 ans plus tard.

Qui étaient les membres de ce syndicat et comment fonctionnait-il ?

Quelques notes éparses, hâtivement relevées sur un gros bloc de correspondance, certaines paraphées par l’entreprise DELFINO (fruits et primeurs, 23 rue du Docteur- Haulin 75017 Paris 17e) se succèdent tous les deux ou trois jours en juillet 1956 ; l’année suivante, 11 livraisons entre le 30 juin et le 28 aout.

Il s’agit de framboises.

Elles étaient comptabilisées en « billots » et bien que ce terme ne soit plus vraiment utilisé comme unité de volume, il est très probable qu’il s’agissait de « cageots », si l’on en croit le dictionnaire en ligne « savoir.fr. », (car la définition n’est pas simple à retrouver !!) Les vendeurs ne sont notés que par leur initiale.

Cette fois, l’entreprise Delphino est domiciliée 94 rue St Honoré à Paris 1r.

Entre temps divers courriers nous apprennent que Mr Delfino père est décédé, et que son fils a repris l’entreprise. Il n’y a plus de « billots », ni de « cageots », mais des « baquets » pour le « vrac » et des « cartons ».

Sur ce dernier document sont répertoriés des maraîchers qui, membres du syndicat, exploitaient et vendaient ensemble une grande partie de leur production. On y retrouve, ce 9 juillet-là, Pierre Guttin, Roger Mathé, Pierre Danguy, Georges Laurin, Marcelin Sautereau, Marcelin Mailleau, Gabriel Savelly, Roger Millereau, Rémi Trier, Roger Trier et Charles Savelly.

La plus grosse quantité de framboises est produite par Charles Savelly.

Ils étaient parfois plus nombreux, comme en témoigne cette livraison datée de 1960 :

On y trouve G. Morizot, G. Seurre, P. Ventenay, H. Mouchoux, Petit, G. Laurin, M. Laurin, et M. Laurin, Leplat, Beauchot, Daiguemorte, Eter, Guilloux, Champy, Defert, soit plus de 20 maraîchers, du village ou ses hameaux, s’associant selon leurs cueillettes, avec 10 à 20 récoltants par jour.

Des documents plus récents, datés de l’été 1962 répertorie les ventes en fonction de la production et des producteurs.

On apprend ainsi que tous n’avaient pas les mêmes cultures.

Seul Gabriel Savelly œuvrait sur les trois fronts. Parmi eux, deux vendaient framboises et cassis ; trois framboises et bigarreaux ; quatre bigarreaux et cassis ; treize seulement du cassis, un seulement des framboises et un seulement des bigarreaux. La production de framboises à cette date avait été assurée par Maillaux, Guttin, Seurre, Savelly G., Morizot, et Trier R. Ces trois derniers assuraient aussi la production de cassis, avec Danguy, Ventenay, Mouchoux, Moreau, Laurin Georges, Laurin Mary et Laurin Marcel, Leplat, Beauchet, Sautereau, Daiguemorte, Savelly G., Landa, Trier R., Eter, Guilloux, Champy. Enfin, la production de bigarreaux était assurée par Maillaux, Guttin, Savelly G., Danguy, Ventenay, Mouchoux et Petit.

Cette exploitation en commun permettant la vente en gros, a perduré jusqu’au milieu des années 60, environ, et n’a sans doute pas résisté longtemps au premier remembrement (1967).

L’âge avançant, l’exploitation qui n’était pas reprise par de plus jeunes et la mécanisation des cultures ont sonné le glas de ce travail en commun. Bien sûr certains ont continué, bon an mal an, avec la vente sur les marchés d’Avallon et Auxerre ou même à quelques clients privilégiés. Un article de l’Yonne républicaine, datant du début des années 70 rappelle l’attachement du village à cette culture.

L’exode rural, vers des villes plus aptes à proposer des emplois à des jeunes fuyant un mode de vie qu’ils ne recherchaient pas, à des diplômés ne trouvant pas leur place loin des villes, l’industrialisation des campagnes, les remembrements successifs (en 1967, en 2002) sont venus à bout de ces parcelles de cultures maraîchères et fruitières morcelant nos plaines et qui ne sont plus que des souvenirs.

Alors… peut-être préfère-t-on avoir le souvenir de …cela:

plutôt que d’avoir vu apparaître et se multiplier … cela:

« récolteuse de framboise »

« Nos » framboises, cultivées en plein champ, en terre légère et fraiche, furent produites en quantité suffisante pour être non seulement vendues au détail sur tous les marchés environnants, mais aussi collectées et livrées en commun par un syndicat créé dans les années 20 à des entreprises de transformation en gros. Les distillateurs de Dijon la recherchaient, un restaurant gastronomique proche proposait une « feuillantine aux framboises de Montillot » …

Le souvenir que l’on en garde est assez précieux pour en avoir fait le symbole du village, et pour que le désir de reprendre cette culture soit exprimée, envisagée même, si l’on en croit le rapport de la CCAVM datant de mars 2020, où figure dans les projets la « remise en place de la culture des petits fruits rouges ».

 Quoi qu’il en soit, souhaitons que les rêves d’un renouveau de ces cultures puissent voir le jour. Si tant est que cette culture méticuleuse séduise encore quelques adeptes.

Perspectives!!

rapport de la CCAM, 2020

[1] Le framboisier appartient à la famille des ronces (rubus). Le terme « Ronce » vient du latin classique « Rumex » qui signifie « Dard ». Selon les botanistes, le terme désigne soit l’ensemble des Rubus, soit uniquement ceux dont les fruits tombent avec leur réceptacle. C’est d’ailleurs là l’une des principales différences entre la framboise et la ronce, la première seule perdant son réceptacle à la cueillette.

[2] Elle contraste avec la pente qui s’amorce sur le flanc des collines menant vers Rochignard et Les Hérodats, composé de calcaires et de marnes, exposés au Sud-Est, et propice à la culture de la vigne.  De nombreuses parcelles de quelques ares chacune, couvraient la pente jusqu’à la lisière des forêts, entre la vallée boulanger et la route des Hérodats, puis, par Les Osiers, les terres à vignes rejoignaient Vaudonjon et ses côtats (Montillot comptait 60Ha de vignes à la fin du 19e siècle, et les vignerons de profession étaient concentrés au Vaudonjon).

[3] « les ventes ont cessé faute de main d’œuvre pour la cueillette après la guerre de 39-45. » 

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histoire régionale

Que sont les « registres paroissiaux »?

A. BUET †, Mai 2001

Genéalogie. Registres paroissiaux. Registres d’Etat civil

Le goût de la généalogie s’est progressivement développé en France depuis 50 ans. Dans beaucoup de familles, un « passionné » consacre une partie de ses loisirs à la recherche des ancêtres. On peut se demander pourquoi!

Pendant des siècles, cette préoccupation fut réservée aux familles nobles : sous l’Ancien régime, elles devaient périodiquement établir les preuves de leur filiation, en fournissant les actes de baptêmes , mariages, décès et partages de biens, à l’Administration Royale : leurs devoirs et surtout leurs droits (les « privilèges ») en dépendaient. On trouve dans les archives des familles nobles, des « extraits » des titres, tels que des contrats de mariages,- très lisibles car souvent recopiés au 17ème à partir d’originaux du 14ème –, des actes de « foÿ et homages » de vassal à suzerain, des « aveux et dénombrements » qui sont des inventaires de propriétés à des moments donnés…

De plus la Noblesse fournissant les cadres des Armées participait directement à l’Histoire de France, celle décrite dans les livres, autour des noms des « grandes familles »…

Pendant longtemps, on ne vit donc aucun intérêt à rechercher l’origine des familles villageoises. Celles-ci restaient d’ailleurs fixées dans un rayon de quelques kilomètres, et on savait retrouver sans difficulté à Montillot le cousin ou l’oncle qui s’étaient mariés à Brosses, Asquins ou Arcy et y avaient fait souche !

Premier changement important du mode de vie à la fin du 19ème siècle : la « Révolution industrielle » a entraîné l’éclatement des familles. Pour échapper à une pauvreté sans espoir, on « tente sa chance » , on quitte le village pour aller travailler à des centaines de kilomètres, dans les banlieues des grandes villes.

Les liens familiaux se relâchent, on se perd de vue.

Ensuite, la première moitié du 20ème siècle est marquée par deux guerres mondiales et leurs cortèges d’atrocités : le « présent » s’imposant malheureusement, toute réflexion sur le passé devait attendre !

Ce n’est donc qu’après 1950 que certains descendants des « transplantés » éprouvent le besoin de retrouver leurs racines naturelles, insatisfaits de leurs rattachements à des groupes sociaux liés au travail ou aux loisirs, groupes souvent bouleversés et qui leurs paraissent plus artificiels.

Et une « mode » s’est créée, puis étendue.

De plus, en sortant de la simple reconstitution des filiations, on s’est rendu compte, en lisant les actes de naissances, mariages, décès, achats et ventes de biens… , que le « Peuple » avait aussi écrit l’Histoire : chaque famille a vécu, souffert dans sa chair ou simplement ressenti des évènements nationaux.

Comment s’y prend-on pour «  faire de la Généalogie » ?

Il faut de la patience, du bon sens et une méthode…

On commence par les ancêtres proches ( en se limitant à 2 ou 3 générations au début), dont on collecte tous les actes d’état-civil, du côté paternel et du côté maternel. Pour cela, on fouille d’abord tiroirs et dossiers de la maison, on interroge les plus anciens, on écrit dans les mairies éloignées, qui détiennent les actes des 100 dernières années et qui peuvent en fournir des copies aux descendants directs…Et l’on est rapidement amené à se déplacer : les chefs-lieux de département détiennent dans un bâtiment appelé « Archives départementales » les registres qui contiennent les actes couvrant plusieurs siècles. On distingue 2 types de registres : jusqu’en 1792, les « registres paroissiaux » rédigés par les curés des paroisses ; ensuite, les « registres d’Etat-Civil », tenus par les secrétaires des mairies.

Pour Montillot, ces actes ont été transcrits à partir de microfilms, sous forme de cahiers, afin de faciliter les recherches en limitant les déplacements

Les documents de référence restent les registres originaux, déposés aux Archives départementales de l’Yonne, 37 Rue Saint-Germain à AUXERRE. Ils ont été microfilmés pour protéger leur conservation et peuvent être consultés en salle de lecture. Les originaux ne peuvent être examinés que sur autorisation spéciale.

9 cahiers, dont 7 sont manuscrits, ont été établis en 2 exemplaires, couvrant les périodes suivantes:

N°1 : – baptêmes (B), sépultures (S) et mariages (M) de 1672 à 1699

N°2 : –         »                     »                         »            de 1700 à 1709

N°3 : –         »                     »                         »            de 1731 à 1759

N°4 : –         »                     »                         »            de 1760 à 1784

N°5 : –         »                     »                         »            de 1785 à 1792

          –  naissances (N), décès (D) et mariages (M)     de 1792 à 1799 (Etat- Civil)

N°6 : –          »                     »                   »                 de 1800 à 1809

N°7 : –          »                     »                   »                 de 1810 à 1818

N°8 : –          »                     »                    »                de 1819 à 1823 .

N°9: – voir plus loin

Pour les recherches généalogiques familiales sur Montillot, il faut savoir que les registres paroissiaux de 1710 à 1730 n’existent plus , et que les registres d’état- civil de 1823 à nos jours sont disponibles en mairie .

Pour la période de 1710 à 1730, un certain nombre d’informations sont pourtant disponibles :

1)- Une liste simplifiée des Naissances et décès :   un secrétaire de la mairie, – ou un autre habitant du village, a eu l’heureuse idée, vers 1828, alors que tous les registres existaient encore, de relever toutes les naissances et tous les décès de 1700 à 1827, de les classer par ordre alphabétique, puis chronologique, et d’en constituer un registre séparé, maintenant déposé aussi aux Archives Départementales  et exploitable sur microfilm.

Notre cahier N°9, intitulé  » Période 1700 à 1735 » en présente une transcription qui permet un recoupement avec les cahiers N° 2 et 3 couvrant les périodes voisines.

2)- Une information sur quelques mariages de cette période : la seule source disponible est constituée par les contrats de mariages passés devant notaires. On les trouve aussi aux Archives départementales  – Registre 3E/54 -, pour les actes établis par le notaire Edme DEFERT, de 1721 à 1743 . Cette recherche a été effectuée en 1993 par Mme BOURDILLAT, à la demande de la Société Généalogique de l’Yonne; les résultats apparaissent à la fin de la brochure intitulée « Table alphabétique des mariages de la paroisse de Montillot » (1672 à 1792), dont un exemplaire est déposé à la mairie. Ils concernent 47 mariages de 1722 à 1730.

II- Constitution des cahiers : la plupart de ces cahiers sont manuscrits;  les premiers relevés couvrant une période partant de 1731 ont été effectués pour un usage personnel et sont écrits en caractères très petits et peut-être difficilement lisibles; ensuite un effort de clarté a été apporté à la présentation, et , pour terminer, les cahiers n° 1,2 et 9 ont été établis en « traitement de texte ».

Le principe général retenu pour ces relevés est le suivant :

– Seuls les renseignements indispensables pour reconstituer les filiations ont été notés : noms, prénoms, professions, liens familiaux, lieux d’origine ou de domicile. Pour ces derniers, seuls les noms des autres communes, et ceux des hameaux de Montillot sont mentionnés; lorsqu’il s’agit du bourg de Montillot, il n’y a en général pas d’indication,… ou au maximum, « demeurant à Mtlot », ou « demt à M », ou « de M. »…

– Toutes les formules rituelles, se répétant d’acte en acte, ont été écartées : Par exemple, pour les mariages, les formules telles que : « …après les publications faites trois dimanches consécutifs et au prône de la paroisse… », « …nul empêchement n’ayant été constaté… », « …selon les rites de l’Eglise apostolique et romaine… ». Pour les décès, « …après avoir reçu les sacrements de pénitence et d’extrême onction… ». Pour les témoins, « …se sont présentés devant moi, assistés de … »; « …ont déclaré ne savoir signer, de ce enquis par moy… »

Dans quelques cas seulement , les textes complets ont été reproduits, afin de donner une idée du style d’écriture de l’époque.

– L’orthographe des noms de familles et des lieux (patronymes et toponymes), est strictement respectée. Si bien qu’on trouvera le même nom écrit de plusieurs façons différentes, selon l’époque et surtout selon le témoin cité et le rédacteur de l’acte. Il faut être  conscient qu’au 17ème et au 18ème siècles,   la majorité des habitants étaient illettrés. Lorsqu’ils venaient déclarer une naissance ou un décès, ils ne pouvaient donc pas épeler leur nom, ni celui de leur hameau.

Seuls les notables, -bourgeois, nobles, certains artisans et commerçants – …- étaient capables de signer ( plus quelques femmes dans les familles nobles). Dans certains cahiers, la mention « (+sgn) » a été ajoutée à la suite du nom du témoin signataire, et un certain nombre d’échantillons de signatures sont reproduits en fin de document.

– Pour les mariages et les décès, les âges indiqués sont souvent approximatifs, les raisons en étant les mêmes que pour l’orthographe. Dans certains cas, j’ai rappelé les dates de naissance, après les avoir retrouvées dans des actes plus anciens ( ce travail de recherche, facilité par le faible volume des cahiers, pourra être fait par les lecteurs intéressés). De même, pour un certain nombre d’enfants morts jeunes, j’ai indiqué la date de décès à côté de la date de naissance .

– Dans les cahiers  en traitement de texte, les notes en italique et entre parenthèses fournissent des informations qui ne figurent pas dans l’acte lui-même, mais résultent d’autres actes, plus ou moins éloignés dans le temps.  

– Selon les cahiers, le nom du curé est indiqué en début d’année ou en début de page; seuls les changements sont signalés ensuite – remplacements occasionnels, décès, ou départ de la cure .

Pour l’histoire de Montillot, sachons que « Sa Vénérable Personne Messire le curé Denis DELAPLACE a son nom gravé sur la cloche baptisée en 1648 et que, d’après un acte notarié de l’époque, Edme DELAPLACE était curé en 1653. Ici, en 1672, au début des registres paroissiaux conservés jusqu’à nos jours, nous trouvons la signature …

– du « prestre-curé » Guillaume COLLAS desservant notre paroisse; il y est mort le 7 Novembre 1715.

– ensuite, le curé  Jean Baptiste FAULQUIER lui a succédé; il est mort le 28 Novembre 1750

– puis le curé Pierre GOUREAU , décédé le 20 Décembre 1763, âgé de 55 ans environ

– le curé Jacques Anne DESAUTELS, arrivé en janvier 1764, devra affronter les difficultés liées à la fin de « l’Ancien Régime » et à l’avènement de la République; il rédigera et signera les actes jusqu’en octobre 1792; ensuite le nouvel « état civil » relèvera de l’Administration municipale élue; mais il est resté « habilité » à la rédaction des actes, en tant que « secrétaire-greffier ». Il est décédé le 18 Août 1796 à 72 ans.

Certains cahiers présentent dans leur préambule, un rappel de la situation politique de la France à l’époque correspondante.

– Corrections : malgré plusieurs « relectures », il est certain qu’un certain nombre d’erreurs subsistent, dues d’abord aux difficultés de déchiffrement de certains passages (écriture ancienne, détérioration de certaines pages des documents microfilmés, mauvaise qualité du papier d’origine traversé par l’encre si bien que recto et verso se superposent …), mais aussi à de banales fautes de transcription.

En cas de litige, il sera nécessaire de consulter les registres originaux aux Archives départementales ( le lecteur qui aura fait une telle recherche est prié de laisser sur place une note indiquant la correction à apporter). 

Cas des hameaux de Montillot : les chercheurs doivent savoir que Vaudonjon et les Hérodats ont fait partie jusqu’à 1790 de la paroisse d’Asquins, que Marot (ou Marault) et son étang étaient de la paroisse de Monteliot; que Malfontaine dépendait de Brosses, alors que le Gué de Combre, de l’autre côté du ru de Brosses, était rattaché à Monteliot. Il y avait d’autres petits hameaux, réduits souvent à une métairie, dont on trouve encore trace par quelques ruines, repérées sur la carte I.G.N. au 1/25000 : la Bertellerie, Baudelaine, Champ-Cornille, Conflans, la Calaberge, la Gache, l’Ermitage …

Mais en hiver les chemins étant mal commodes, il arrivait qu’on porte les nouveaux-nés à l’église la plus facilement accessible : Montillot pour Boutaut ou Marot, Brosses pour le Gué de Combre, Montillot pour Bois d’Arcy (qui relevait alors d’Arcy sur Cure) ou Vaudonjon…

(Voir les cartes en fin de ce cahier N°1)

III. Histoire brève de l’état civil (d’après « la généalogie; histoire et pratique » – Références LAROUSSE » et « La généalogie » « Que sais-je N°917 » P.U.F.)

 » A la fin des grandes invasions, l’Eglise prend en charge la tenue de registres, pour des motifs essentiellement religieux. Soucieuse du salut des âmes, elle commande d’abord l’enregistrement des baptêmes. Puis la multiplication des unions illégitimes la conduisit à ordonner celui des mariages, rendu également nécessaire par l’obligation d’observer les prescriptions canoniques relatives aux unions entre parents : la prohibition est ramenée, en 1215, du septième au 4ème degré, ce qui interdit encore les alliances entre petits-enfants de cousins-germains. de même, le fait de tenir un enfant sur les fonts baptismaux crée entre parrains et marraines une parenté spirituelle, l' »affinité », qui interdit leur union : les évêques ordonnent donc de noter dans les registres les noms des parrains et marraines. »

Il reste peu de traces  de ces registres anciens, les curés ne voyant pas la nécessité de les conserver, à une époque où une grande partie de la population était illettrée et où « une déclaration sous serment valait bien un texte ».

Ce n’est qu’au cours du 16ème siècle que des ordonnances royales commencent à codifier l’état civil, dans le cadre de l’organisation de la Justice.

Sous François Ier, l’Ordonnance de Villers- Cotterets du 15 Août 1539 – dite « la Guillelmine », du nom du Chancelier Guillaume POYET -, prévoit:

– la tenue de registres de baptêmes « qui contiendront le temps et l’heure de la nativité », les nouveaux-nés étant déclarés sous le nom de leur père

– que « les curés seront tenus de mettre les dicts registres par chacun en devers le greffe ».

Le Concile de Trente (1545-1563) fait obligation de mentionner les noms des parrains et marraines.

Sous Henri III, l’Ordonnance de Blois, en mai 1579, exige en plus la tenue de registres de sépultures et de registres de mariages.

Mais les curés étant trop souvent négligents, c’est sous Louis XIV que l’Ordonnance de Saint Germain d’avril 1667, – appelée « Code Louis » – :

– prescrit la tenue des registres en double exemplaire et le dépôt du second au greffe du bailliage de la sénéchaussée (institution civile)

– cherche à uniformiser la rédaction :

– pour les baptêmes : jour de la naissance, prénom de l’enfant, noms des parents et des parrain et marraine

– pour les mariages : noms, prénoms, professions et domiciles des époux, noms des parents, des 4 témoins et leur degré de parenté

– pour les sépultures, le jour du décès et les noms de deux témoins ou amis.

Des formulaires sont remis au prêtre dans ce souci d’uniformité.

 Ce règlement fut mieux respecté, ce qui nous permet de disposer dans la plupart de nos villages , d’archives remontant au moins aux années 1670 à 1675; 1672 pour Montillot, 1682 pour Givry, 1641 pour Brosses, 1634 pour Arcy,  1614 pour Vermenton, 1609 pour Asquins, 1650 pour Saint- Père, 1592 pour Vézelay et 1594 pour Chatel-Censoir ( ces deux cités avaient une abbaye, donc un Chapitre de chanoines pour les administrer …)

Sous Louis XV, la déclaration royale du 9 Avril 1736 reprend et précise tous les textes antérieurs: les registres seront tenus en deux « minutes » signées chacune par les parties …tous les actes seront inscrits à la suite, sans « blanc » …

Dans toute cette période, l’état civil est donc lié à l’administration des sacrements de la religion catholique : les minorités religieuses en sont exclues ( surtout après la révocation de l’Edit de Nantes…)

La Révolution, par le décret de l’Assemblée législative du 20 Septembre 1792, enlève aux prêtres la tenue des registres et la confie à des « officiers » (c’est-à-dire des fonctionnaires) de l’Etat, mais n’introduit pas de modifications importantes dans leur contenu.

Un exemplaire reste à la Mairie, l’autre est déposé au Greffe du Tribunal; on ajoute un relevé alphabétique annuel ainsi qu’une table décennale sur un registre séparé.

Il faut noter une modification temporaire importante, celle du calendrier.

La Convention a adopté le 4 frimaire An II (24-11-1793) le calendrier républicain, une « ère nouvelle » ayant commencé à la proclamation de la République le 22 Septembre 1792.

Mais dès le 1er janvier 1806, Napoléon remet en vigueur le calendrier grégorien.

A noter aussi que la loi du 13 fructidor An VI (30 Août 1798), impose la célébration des mariages au chef-lieu de canton, et seulement les « décadis ».

Un arrêté du 7 thermidor An VIII (26 Juillet 1800) rétablit la célébration des mariages dans les communes. Pour Montillot, nous devons donc rechercher à Chatel-Censoir, chef-lieu de canton de l’époque, les actes de mariages de la période mi-1798 à mi-1800.

Au 19ème et au 20ème siècle, seules des améliorations de détail ont été apportées (mentions marginales …).

Reproduction des documents d’archives

Les généalogistes amateurs sont de plus en plus nombreux; les documents anciens sont trop fragiles et ne peuvent subir de fréquentes manipulations; d’où l’intérêt évident de leur microfilmage.

Cette opération, trop coûteuse pour les maigres budgets de notre Administration des Archives, a heureusement été lancée vers 1950 grâce à l’intervention d’un groupement religieux international, appelé couramment « les Mormons ».

 C’est  « l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours« , créée vers 1830 près de New-York par Joseph SMITH. Sa valeur fondamentale est la « famille éternelle ». Il s’agit de développer et de resserrer les liens entre parents et enfants, qui se retrouveront ensemble dans une vie éternelle. Cela est étendu à toutes les générations passées qui seront ainsi reliées, tels les maillons d’une longue chaîne; une chaîne d’ancêtres que chaque membre devra identifier, afin de les baptiser rétrospectivement et d’assurer leur salut…Dès 1890, une bibliothèque généalogique d’intérêt mondial a donc été créée.

Après la 2ème guerre mondiale, ayant dressé le bilan des dépôts d’archives détruits, les Mormons entreprirent dans le monde entier une vaste opération de « sauvetage », par microfilmage. L’Eglise de Jésus-Christ S.D.J. a alors conclu avec nos Archives Nationales un accord pour reproduire, dans chaque dépôt départemental, l’état-civil depuis plus de cent ans et les cahiers paroissiaux. En échange des facilités accordées, chaque dépôt reçoit une copie gratuite.

Une énorme collection est ainsi constituée (200 millions d’actes en 1997 …); un vaste entrepôt, constitué de 6 tunnels, a donc été construit dans les montagnes granitiques de Salt Lake City (Etat de l’UTAH -U.S.A.) pour assurer à cette « mémoire de l’humanité » des conditions optimales de conservation. Les chercheurs du monde entier sont accueillis sur place ( le Groupement généalogique d’AIR-FRANCE organise des séjours chaque année). Des copies des microfilms peuvent être commandées par les Associations.

L’arbre généalogique des anciennes familles de Montillot depuis le 17e siècle sont disponibles sur le site: « geneanet » à l’adresse:

http://gw.geneanet.org/oustaou1

Mardi 3 décembre 2019

On apprend avec une infinie tristesse le décès de André Buet, notre généalogiste et historien de Montillot.
Sa curiosité, son attachement au village et sa région, son travail méticuleux et productif a permis à nombre d’entre nous de retrouver des cousinages perdus, des maisons oubliées. Il avait recueilli avec beaucoup de délicatesse les témoignages des plus anciens, qu’il rejoint aujourd’hui.
Il nous laisse de nombreux articles sur l’histoire du village, qui tous sont déposés à la mairie (certains d’entre eux ont été publiés dans la revue de la société d’études d’Avallon).

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Quelques champignons de la région de Montillot

Pascal Collin, Maison Régionale de l’Environnement de Franche-Comté, Espace Naturel Comtois, 15 rue de l’Industrie 25000 Besançon

couriel :  cren-fc@wanadoo.fr

Les champignons sont des organismes curieux, qui ont des éléments communs à la fois avec le règne végétal et le règne animal. Si bien qu’ils constituent un, voire plusieurs règnes, à part entière. On compte aujourd’hui plus de 120000 espèces dans le monde sans compter les lichens qui constituent un exemple parfait de symbiose (environ 25 000 espèces). Parmi tous ces champignons, seule une infime partie peut être facilement observée grâce aux carpophores qu’ils produisent. C’est cette partie, habituellement constituée d’un pied et d’un chapeau, que nous ramassons pour le plaisir de nos papilles gustatives. Cet organe permet la propagation et la survie de l’espèce. Les spores qui sont produits par la partie fertile du carpophore, qui revêt diverses formes (lamelles, plis, pores, etc.), vont germer pour donner naissance à des filaments qui vivent dans le sol ou le bois. Ces filaments constituent le mycelium. Sous l’action de certains facteurs, en particulier climatiques, ces filaments vont entrer en phase de reproduction. Après fusion des cellules constitutives de deux filaments (notés « plus » et « moins » par les scientifiques, et non pas mâles et femelles !) un nouveau mycelium verra le jour et c’est lui qui produit les carpophores que nous ramassons. Celui-ci a une durée de vie bien supérieure au précédent et la présence de certains ronds de sorcières est attestée depuis plus d’un siècle (Marasme des Oréades, Tricholome de la Saint-Georges).

Rond de sorcière, voila une expression bien mystique qui atteste de l’incompréhension et de l’émerveillement de l’homme face au « mystère » de la poussée fongique ! Les croyances les plus folles courraient sur leur origine ; on pensait par exemple que les crapauds et les grenouilles pouvaient engendrer des champignons. D’ailleurs, les Anglo-saxons qui sont presque mycophobes appellent les champignons toad-stool, c’est à dire « tabouret de crapaud ou chaise de la mort ». Et puis, champignon c’est un mot rigolo qui agrémente de nombreuses comptines pour enfants, « mironton, champignon, tabatière ». Bref, les champignons ont tout pour plaire, intérêt scientifique, culturel, économique (pas de vin, pas de pain, pas de fromage, pas d’antibiotique sans champignon) et culinaire évidement. C’est ce qui nous amène à nous lever parfois très tôt pour satisfaire notre gourmandise. Pourtant, sur les quatre mille espèces françaises, à peine une centaine est mangeable et environ vingt sont dignes d’être mangées. La plupart des ramasseurs du dimanche collectent moins d’une dizaine d’espèces (rosé des prés, girolle, trompette des morts …); il est donc facile, pour celui qui n’est pas matinal, moyennant quelques efforts intellectuels, de ramasser des espèces souvent délicieuses que le « commun des mortels  » ignore.

Mais prudence, un certain nombre d’espèces sont toxiques, voire mortelles. Le respect de quelques règles simples évitera qu’une balade dominicale ne se transforme en une soirée aux urgences :

Ne jamais manger un champignon au prétexte qu’il ressemble drôlement à la photo du dictionnaire (qui mesure moins de 1 cm).Ne pas croire un certain nombre de sornettes courant sur les champignons ( la couleur plus ou moins sympathique n’est pas un critère de comestibilité, c’est pas parce que une limace ou un écureuil mange un champignon qu’il est bon, etc.) ;L’odeur n’est pas non plus un critère fiable, certaines espèces très toxiques (Tricholome tigré) ont une odeur très appétissante.Ne pas faire de récolte sur des sites pollués car les carpophores peuvent accumuler certains polluants de façon importante. Il faudra éviter par exemple les talus routiers (présence de métaux lourds).Ne pas utiliser de sacs en plastique qui favorisent les fermentations, on leur préférera un panier en osier.Ne récolter que des exemplaires sains ; il faut éviter par exemple les individus trop vieux et gorgés d’eau, même si on n’a rien ramassé !Ne récolter que des champignons entiers, certains éléments important pour la détermination peuvent être localisés dans la terre (par exemple la volve des amanites).Eviter une consommation trop importante et répétée, même avec des espèces réputées très bons comestibles (l’accumulation de particules radioactives lors de l’accident de Tchernobyl est de ce point de vue un réel problème, voir à ce sujet le document réalisé par la CRII-RAD, 471 avenue Victor Hugo, 26000 Valence).

D’autres règles relèvent simplement du respect :

De la nature (ne pas jeter de papiers gras, faire attention aux mégots de cigarettes, faire attention à la faune, en particulier au moment de la reproduction, faire attention à la flore, etc.).

Des autres ramasseurs de champignons, qu’ils soient mycophiles ou mycophages  (c’est agaçant de trouver des champignons écrasés, sous prétexte que l’individu au bout des chaussures écrabouilleuses n’y connaît rien!).

De la propriété privée (divagation des chiens, respect des plantations, fermeture des parcs, etc.) ; une attention particulière devra être portée quant à la présence d’animaux potentiellement dangereux, un taureau irascible court toujours beaucoup plus vite que vous !).

Bref, si tous ces conseils ne vous ont pas dissuadé, vous voila paré pour de belles promenades mycologiques. De nombreux renseignements complémentaires pourront être obtenus par la lecture d’ouvrages spécialisés (voir quelques éléments de bibliographie plus loin) et par la fréquentation des sociétés mycologiques qui sont nombreuses en France (http://www.mycofrance.org ).

Montillot et ses environs présentent une grande richesse mycologique qui est le reflet des conditions écologiques contrastées régnant sur ce territoire. On notera en particulier d’importants massifs forestiers allant de la Chênaie pubescente à la Hêtraie à Leucobryum glauque (oui c’est un peu abscons, mais il en faut pour tous les goûts!). Seules les zones humides sont peu représentées, encore que de nombreuses petites mares très intéressantes parsèment les prairies qui ont échappé au retournement.

A noter d’ailleurs qu’une fougère très rare serait à rechercher sur le territoire de la commune puisqu’elle y était signalée autrefois : La Fougère des marais (Thelypteris palustris, protection nationale). A l’occasion allez herboriser les mares et étangs de la région et n’oubliez pas de transmettre vos informations !

L’Anthurus d’Archer (Anthurus archeri) : cette curieuse espèce est également facile à repérer par l’odeur fétide qu’elle dégage. Son fumet particulier la fera sans doute rejeter, de toute façon, sa comestibilité est inconnue. L’Anthurus nous vient d’Australie, d’abord dans les balles de laine de mouton importées, puis dans les bottes de foin qui ont accompagné les chevaux australiens lors de la première guerre mondiale. L’espèce a d’abord été vue dans les Vosges, depuis elle a conquis toute l’Europe. Période d’observation : de juillet à octobre Milieu : forêts, friches.

Cèpe des pins (Boletus pinophilus), Cèpe d’été (Boletus aestivalis) et Cèpes de Bordeaux (Boletus edulis: ces trois belles espèces sont d’excellents comestibles, très recherchés. Les cèpes, ou bolets, sont facilement identifiables grâce à leur surface fertile constituée de pores plus ou moins gros. Ces deux espèces sont faciles à identifier avec leur pied massif, en massue, parcouru par un fin réseau et leur chapeau chamois ou brun noir. Toutefois, la distinction de certains bolets n’est pas toujours aisée. Période d’observation : de juin à octobre. Milieu : forêts.

Bolet Satan (Boletus satanas) : il fait partie des bolets à chair bleuissante, à pores rouges et à pied réticulé teinté de rouge. Le chapeau est gris blanchâtre. C’est un champignon toxique, il provoque de sévères gastro-entérites. Cette espèce est fidèle à ses stations mais elle n’apparaît qu’après de fortes chaleurs. Période d’observation : de juillet à octobre Milieu : forêts claires et lisières sur sols calcaires.

Marasme des Oréades (Marasmius oreades) : c’est un excellent champignon malgré sa petite taille, qui se sèche très facilement. Dans les pâturages faiblement amendés il forme souvent des ronds de sorcière. Un des critères de reconnaissance est son pied qui peut se tordre sans se rompre. L’espèce à disparu de nombreux prés du fait de l’usage d’engrais chimiques. Période d’observation : de mai à octobre Milieu : pâturages.

Lépiste à odeur d’iris (Lepista irina) : comme son nom l’indique, ce Lépiste se distingue par une odeur complexe de fleur d’orangé et d’iris qui n’est pas toujours perceptible par temps frais (attendre alors que le champignon se réchauffe). Le chapeau et les lamelles sont de la même couleur, c’est à dire d’un beau beige clair un peu translucide. A noter le bord du chapeau souvent enroulé, surtout à l’état jeune. Il forme parfois des ronds de sorcière spectaculaires. C’est un bon comestible à condition de bien le faire blanchir, certaines personnes pouvant mal le digérer. Période d’observation : de septembre à mi-novembre Milieu : pâtures, forêts de résineux, lisières, friches.

Rosé des prés (Agaricus bisporus): il se reconnaît de loin dans les pâturages lors des premières pluies succédant aux chaleurs de l’été. Il est invisible lorsque l’été a été pluvieux. C’est un champignon facilement reconnaissable avec son chapeau blanc, ses lamelles roses (noircissants avec l’âge) et son pied blanc pourvu d’un anneau. Son odeur est particulière, rappelant le pain sortant du four. C’est un excellent comestible et il vaut largement le champignon cultivé. Période d’observation : de la mi-août à la fin septembre Milieu : pâtures.

Agaric anisé des Bois (Agaricus sylvicola) : c’est le rosé des bois, son chapeau blanc jaunit au frottement et il exhale une douce odeur d’anis. Les lamelles sont toutefois beaucoup plus pâles que celles des autres agarics. Elles deviennent pourpres en vieillissant. Deux autres espèces sont très voisines : l’agaric bulbeux et l’agaric des forêts. Ce sont de bonnes espèces, à ne pas confondre avec l’agaric jaunissant qui est fortement indigeste. Un jaunissement plus intense et une odeur d’iode assez marquée (surtout à la cuisson) permettent de distinguer cette dernière. Période d’observation : de août à octobre Milieu : forêts de feuillus et de résineux.

Morille blonde (Morchella rotunda: dans la série des grands classiques la, ou plutôt, les morilles tiennent une place de premier choix. Toutefois sa recherche n’est pas aisée car elle apparaît aussi soudainement qu’elle disparaît. C’est un champignon qui affectionne, dans la région de Montillot, les coupes de pin de deux ans. Il disparaît ensuite après quelques années, une fois que la végétation naturelle reprend le dessus. Les morilles sont d’autant plus abondantes que le sol à été remué et les pins écorcés lors du débardage. L’espèce ne se confond avec aucune autre, si ce n’est d’autres morilles. Quelques espèces sont toutefois assez régulières sous certains arbres avec lesquelles elles forment des mycorhizes (le Frêne en particulier). Période d’observation : avril, mai Milieu : bosquets de frênes et d’ormes, coupes de pins, talus, chemins …

Girolle (Cantharellus cibarius) : c’est sans aucun doute le champignon le plus récolté dans la région et il est pour moi associé aux flonflons du quatorze juillet. Ce sont également des souvenirs de casse-croûte matinaux pris au pied d’un hêtre gigantesque quelque part entre Asnières-sous-Bois et Chatel-Censoir. Souvent, ces libations matinales attiraient plus de monde que la recherche des girolles proprement dites. Sa couleur jaune, sa surface fertile constituée de plis et non de lamelles ainsi que son odeur rappelant l’abricot font de la girolle un champignon facile à reconnaître. Encore que des confusions sont toujours possibles avec des individus atypiques. Si le nom de girolle est bien connu en Bourgogne et dans le bassin parisien, ailleurs on utilise plutôt le nom de chanterelle.  D’où l’utilité des noms scientifiques qui eux ne changent pas d’une région à l’autre, du moins en principe…..A noter également que la girolle est victime de son succès et elle fait l’objet de véritables razzias. Deux solutions s’offrent alors au mycophage : se lever très tôt et parcourir des dizaines d’hectares ou apprendre à reconnaître de nouvelles espèces. Outre le fait que l’on pourra désormais se lever plus tard, on aura la satisfaction de découvrir de nouveaux goûts et on passera alors petit à petit du statut de mycophage à celui de mycophile. Période d’observation : de mi-juin à septembre Milieu : forêts de feuillus et de résineux.

Amanite tue-mouche (Amanita muscaria: toute description paraît inutile avec ce champignon tant il a été utilisé par les illustrateurs de contes pour enfants ou les réalisateurs de dessins animés. Ceci n’est pas sans conséquence, j’ai longtemps cru enfant que ce champignon était comestible…..C’est bien évidemment une espèce toxique qui entraîne transpirations, diarrhées, vomissements et hallucinations (d’où son utilisation par les chamans en Sibérie). Les symptômes apparaissent trente minutes à deux heures après ingestion. Cette espèce pousse exclusivement à proximité des bouleaux et des épicéas avec lesquels elle forme des mycorhizes. Période d’observation : de mi-juin à septembre Milieu : forêts contenant des bouleaux et des épicéas.

Amanite panthère (Amanita pantherina) : c’est un peu le négatif de l’Amanite tue-mouches avec son chapeau brun foncé et ses écailles d’un blanc pur. C’est un champignon très toxique entraînant des troubles digestifs sévères, une hypersudation et une phase d’excitation. Ce champignon est néanmoins facilement reconnaissable et les risques de confusion sont faibles. Période d’observation : d’août à octobre Milieu : forêts de résineux et parfois sous feuillus.

Coprin chevelu (Coprinus comatus) : c’est un champignon bien caractéristique avec sa forme cylindrique, blanche, couverte de mèches, son pied creux et ses lamelles qui se liquéfient en vieillissant (autrefois utilisé comme encre). Cette espèce souvent méconnue est un excellent comestible, à condition d’être récoltée jeune. On le trouve ça et là ; il forme parfois des ronds importants dans endroits fumés et plus ou moins remués. Période d’observation : de mi-juin à octobre Milieu : pâtures, talus, cours…

Satyre puant (Phallus impudicus) : bizarre, extravagant, improbable, répugnant, voici après un bref sondage quelques adjectifs caractérisant ce champignon. Inutile de le décrire, il est facilement reconnaissable par sa forme et son odeur si particulière de cadavre. Ainsi attirées, les mouches viendront de très loin pour dévorer la substance verte portée par le pied qui contient les spores ; elles assureront ainsi la dissémination de l’espèce. Le Satyre puant est parfois donné comme comestible à l’état jeune… Période d’observation : de juin à octobre Milieu : forêts de feuillus.

Amanite impériale (Amanita inaurata: c’est l’une des plus grande espèce de ce genre et elle fait partie des amanites sans anneau (groupe des Amanitopsis). Elle n’est pas très commune. L’espèce est comestible à condition d’être bien cuite. Période d’observation : de juin à octobre. Milieu : forêts contenant du hêtre.

Quelques ouvrages utiles :

Becker G. & Sabatier R. 1986. Le gratin des champignons, Glénat.

Becker G. 1974. La mycologie et ses corollaires, Maloine.

Heim R. 1963. Champignons toxiques et hallucinogènes, N. Boubée et Cie.

Bon M. 1988. Champignons d’Europe occidentale.

Phillips R. 1981. Les champignons, Solar.

André M. & Moingeon J.M. 2002. Les champignons de la montagne jurassienne, Néo éditions.

Quelques sociétés mycologiques :

Société mycologique de la Côte-d’Or, Faculté des Sciences, Boulevard Gabriel, 21000 Dijon.

Société mycologique Auxerroise, M. Mathez, 5 rue Marcellin Berthelot, 89000 Auxerre

Société mycologique de France, 18 rue de l’Ermitage, 75020 Paris.

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Les pelouses à Orchidée de la région de Vézelay (Yonne)

L’article ci-dessous a été publié en tant que compte rendu de sortie dans le Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs (référence bibliographique : P. Collin. 1998. Les pelouses à Orchidées de la région de Vézelay (Yonne). Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs. 86 : 13-17).

P. Collin était à l’époque Attaché d’enseignement et de recherche au Laboratoire de Sciences Végétales de l’Université de Franche-Comté. Il est aujourd’hui directeur du Conservatoire Régional d’ Espace Naturel de Franche-Comté qui a pour mission de gérer les milieux naturels les plus remarquables de Franche-Comté.

Cet article fait suite à une sortie organisée par la S.H. N. D. au mois de mai 1992. Les endroits visités étaient situés dans la vallée de la Cure et à proximité de Vézelay où l’on peut observer quelques formations végétales de type mésoxérophile à xérophile sur les versant ensoleillés de la vallée et des collines environnantes. Ces milieux recèlent de nombreuses espèces peu communes et en particulier des Orchidées.

Géographie et géologie

 Les deux pelouses sont situées sur les plateaux de basse Bourgogne : l’une dans la vallée de la Cure avec une orientation sud-est sur la commune de Montillot ; l’autre d’orientation sud-ouest à proximité de Vézelay .

Dans chaque cas l’altitude est peu élevée et de l’ordre de 200 à 300 m. La pente de ces deux stations est forte, de 30 à 40 %, surtout à Montillot. La région est bordée au sud par le morvan granitique. A l’ouest et au nord-ouest l’auréole infracrétacée de la Puisaye délimite le plateau calcaire de basse bourgogne. A l’est et au nord-est s’étend la cuesta oxfordienne et la montagne chatillonnaise. La roche mère des deux stations étudiées est constituée par un calcaire appartenant au Bathonien inférieur.

Aperçu climatique

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est envir14pelousebis-2.jpg

La vallée de la Cure est caractérisée, à cet endroit, par de faibles précipitations qui sont de l’ordre de 600 à 700 mm par an et par une température moyenne annuelle de 10°C. La zone peut être qualifiée de thermophile et les sécheresses estivales sont fréquentes (Royer, 1972a). Les données concernant le climat de la station de Vézelay ne sont pas accessibles par l’analyse de la bibliographie.

Pédologie (nota: étude des sols)

Les sols observés sur la station de Montillot et, dans une moindre mesure à Vézelay, rendent compte de la nature carbonatée de la roche mère et de leur position topographique. Schématiquement, deux types de sol sont distingués : les rendzines et les sols bruns calcaires. Les sols situés en position sommitale ou la roche affleure sont peu épais car une partie des éléments fins est entraînée en contrebas. Les sols des sommets sont donc rajeunis en permanence, ceci a pour conséquence une faible épaisseur et une grande richesse en carbonate. D’une manière générale, la distribution des rendzines reste liée aux affleurements de roches calcaires tendres. Les potentialités de ce type de sol sont conditionnées par l’alimentation en eau. Dans les cas les plus favorables une forêt thermophile peu s’établir.

Lorsque l’épaisseur du sol augmente on observe une décarbonatation de l’horizon de surface et il en résulte un sol plus évolué de type brun calcaire. A Vézelay, en bas de pente, la présence d’un calcaire plus ou moins marneux induit des modifications de la végétation avec l’apparition par exemple de Blackstonia perfoliata et Listera ovata (Poinsot, 1972) qui sont des espèces classiques des sols marneux.

Végétation

D’après Royer (1972a), la flore de la Bourgogne appartient au domaine médioeuropéen. Toutefois des nuances sont observées suivant les districts étudiés.  Celui de Basse-Bourgogne dans lequel se trouve les deux pelouses est caractérisé par un appauvrissement relatif en espèces médioeuropéennes, par la disparition des espèces submontagnardes (Aconitum pyramidaleRibes alpinumCarex montana etc…) 

L’inule de Montagne est l’une des deux espèces des pelouses de  Montillot qui soit protégée en Bourgogne. Cette plante de la famille des marguerites est ici en limite Nord de son aire de répartition.

On y trouve une grande richesse en plantes subméditerranéennes (Inula hirtaInula montana (ci-contre)Hyssopus officinalisArtemisia camphorata etc.). Il faut noter également l’apparition de quelques espèces subatlantiques comme Festuca gallica et Polystichum setiferum (Royer, 1972a).

Ces deux pelouses sont remarquables par la diversité des espèces qui s’y développent. Les orchidées sont très présentes dans chacune des stations étudiées avec dix neuf espèces à Vézelay et seize à Montillot (tableau1). Ces plantes exercent un attrait important sur le naturaliste et elles constituent un élément essentiel des pelouses sèches. Une forêt composée presque exclusivement de Chêne pubescent, de Cornouiller mâle et d’Alisier blanc constitue le milieu naturel qui est en contact avec les pelouses.

orchis mâle habituellement assez vivement coloré de carmin, ici dans sa forme albinos qui existe aussi chez les fleurs.
L’orchis militaire doit son nom aux pièces du calice et de la corolle qui forme un casque au dessus du label qui a la forme d’un petit bonhomme.

Dans ces deux stations l’Orchidée dominante est l’Orchis homme pendu suivie de près par l’Orchis mâle, l’Orchis pourpre et l’Orchis militaire. 

Les Ophrys sont moins nombreux mais la plupart des espèces sont présentes : on peut observer l’Ophrys araignée, l’Ophrys bourdon, l’Ophrys abeille et l’Ophrys mouche. L’Ophrys bécasse serait à rechercher puisqu’un individu en très mauvais état à été observé en 1990.

  Toutes ces espèces préfèrent le plein soleil, tandis que d’autres semblent chercher l’ombre ou du moins la fraîcheur tels le Céphalanthère rouge et l’Orchis à deux feuilles que l’on trouve en bordure de la forêt où l’ombre est la plus importante.

  A la fin du mois de mai et au début du mois de juin la pelouse de Montillot est envahis par l’Orchis moustique, c’est la dernière Orchidée à fleurir car le Spiranthe d’automne n’y a jamais été observé.

L’ophris abeille est une magnifique orchidée présente dans de nombreuses pelouses bourguignonnes. Elle est protégée dans de nombreuses régions dont la Franche-Comté.

L’Ophris araignée est un des plus communs des pelouses bourguignonnes.

Parmi les Orchidées plus rares, on notera en particulier l’Orchis singe et le Limodore à feuilles avortées. Ce dernier n’est pas une rareté mais il est très irrégulier dans ses apparitions (Landwehr, 1983).
Comme il possède très peu de chlorophylle, il est très dépendant du champignon symbiotique avec lequel il se développe, ce qui explique en partie son irrégularité. Le limodore à feuille avortée est une curieuse orchidée plutôt forestière. L’espèce est protégée en Bourgogne.

Le nom « Orchis brulé fait allusion au fait que le sommet de l’inflorescence semble brulé.

L’Orchis singe s’hybride avec l’Orchis militaire, ce qui cause parfois quelque embarras pour la détermination de l’espèce. Le sens de progression de la floraison est un critère de reconnaissance utile : chez l’Orchis singe elle se fait du haut vers le bas (Landwehr, 1983).

Pour en terminer avec les orchidées, des individus albinos de l’Orchis mâle, de l’Orchis brûlé et de l’Orchis pyramidal ont été observés sur les deux pelouses.

Parmi les autres plantes, à coté des espèces banales comme le Genévrier, la Germandrée petit-chêne, le Cornouiller mâle et le Brome dressé, on notera la Garance des teinturiers, la Phalangère à fleur de lys, le Géranium sanguin, l’Anémone pulsatille et l’Hélianthème des Appenins. Certaines plantes comme le Muscari à toupet et l’Ail à tête ronde nous rappellent l’origine viticole de ces terrains. A Montillot, quelques pieds de vigne sont encore visibles. Toutes ces plantes, bien que relativement communes contribuent à caractériser ce remarquable milieu qui mérite une protection et un suivi scientifique. D’autres plantes méritent une mention particulière : il s’agit des espèces à affinité méditerranéennes telles que l’Inule de montagne et l’Orobanche de la germandrée. La station d’Inule de montagne située sur la commune de Montillot semble nouvelle puisqu’elle n’a pas été citée par J. M. Royer (1971 ; 1972 a et b). D’autres espèces à affinité méditerranéenne ont été observées en Basse Bourgogne à proximité du site de Montillot (Royer, 1970) : il s’agit par exemple, du liseron cantabrique (Convolvulus cantabricus) et de la Renoncule graminée (Ranunculus gramineus).

L’anémone pulsatile est sans doute la première fleur à s’épanouir sur les pelouses dès le mois de Mars.  Ses pétales donnent une teinte bleue et servaient pour la coloration des oeufs de Pâques.
L’hélianthème des Apennins bien que commun en Bourgogne est rare dans le Nord et l’Est de la France. Elle est protégée en Franche-Comté.
La présence du Muscari commun traduit la présence ancienne du vignoble sur ces pelouses.

Faune

En ce qui concerne l’avifaune, on note la présence de l’Engoulevent d’Europe, du Hibou petit duc et du Circaète jean-le-blanc qui est ici à la limite nord de son aire de répartition. 

Parmi les reptiles le Lézard vert est très abondant à Montillot mais n’a pas été vu à Vézelay.

Lézard vert: espèce typique des pelouses buissonneuses. Ce reptile est protégé en France.

L’Ascalaphe est sans doute l’insecte le plus caractéristique et le plus spectaculaire de ce milieu avec le Grand machaon et la Mante religieuse. 

Les Orthoptères et les hyménoptères sont également très nombreux, surtout en fin d’été.

  Une étude exhaustive de la faune serait bien évidement souhaitable.

L’ascalphe est un des insectes les plus typiques des pelouses. Ce n’est pas un papillon.

Menaces

Plusieurs carrières ont été ouvertes à proximité de la station de Montillot dans lesquelles on extrait un matériaux calcaire très fragmenté. L’éventuelle extension de ces carrières serait préoccupante pour la pérennité de la station.

Ces deux milieux correspondent à d’anciennes vignes d’où la présence de quelques ceps dans ces stations. L’action de l’homme a donc marqué le paysage à une époque récente et a ainsi favorisé l’installation de nombreuses espèces. Les orchidées seraient sans doute très rares dans ces milieux si l’homme n’était pas intervenu sur ces sites. De ce fait ces stations sont fragiles et le retour à l’état de forêt ou de fruticée semble inévitable. En particulier la plantation du Pin noir suite à l’arrachage des vignes est une réelle menace pour le milieu car cette espèce colonise rapidement le terrain et y étouffe la végétation. D’un point de vue sylvicole, lorsque le sol s’y prête, les bouquets de sorbiers domestiques sont préférables aux plantations de pins.

La pratique « sauvage » du motocross a été observée sur les deux sites avec à chaque fois des conséquences désastreuses sur la végétation. La surveillance régulière, plusieurs fois par an, des deux pelouses est donc nécessaire.

La disparition des haies enfin provoque un remaniement profond de la flore et de la faune, tel le Gazé (ci-dessus), encore assez commun dans les pelouses mais en déclin partout ailleurs.

Liste alphabétique des espèces présentes sur les deux sites.

La présence sur la pelouse de Vézelay est notée par V tandis que les espèces de Montillot sont notées M. L’inventaire est loin d’être complet et il est par exemple tout a fait possible que des espèces notées M se trouvent en V et inversement, en outre de nombreuses découvertes sont possibles.

Nom françaisnom latinlieu
Acéras homme penduAceras anthropophorumMV
Alisier blancSorbus ariaMV
Anémone pulsatillePulsatilla vulgarisMV
Anthyllide vulnéraireAnthyllis vulnerariaM
Arabette des collinesArabis collinaM
Asperule à l’esquinancieAsperula cynanchicaV
Avoine élévéeArrhenatherum elatiusM
BardanetteLappula squarrosaM
Brize intermédiaireBriza mediaMV
Brome érigéBromus erectusMV
Brome mouBromus mollisMV
Céphalantère blancheCephalanthera damasoniumMV
Céphalantère rougeCephalanthera rubraMV
Cerisier de Sainte LuciePrunus mahalebM
Chêne pubescentQuercus pubescensMV
Chlora perfoliéBlackstonia perfoliataV
Compagnon blancMelandrium albumM
Cornouiller mâleCornus masM
Cornouiller sanguinCornus sanguineaMV
Dompte veninVincetoxicum hirundinariaMV
Eperviére piloselleHieracium pilosellaMV
Fétuque spFestuca spM
Fumana couchéFumana procumbensMV
Gaillet mouGalium mollugoM
Garance des teinturiersRubia tinctorumMV
Genêt des teinturiersGenista tinctorumV
Genêt sagittéChamaespartium sagittaleM
Genêt poiluGenista pilosaM
Genévrier communJuniperus communisMV
Géranium sanguinGeranium sanguineumM
Germandrée des montagnesTeucrium montanumV
Germandrée petit chêneTeucrium chamaedrysMV
Gesse à large feuilleLathyrus latifoliusM
Gesse aphylleLathyrus aphacaM
Globulaire vulgaireGlobularia punctataMV
Hélianthème des ApenninsHelianthemum appeninumM
Hélianthème des chiensHelianthemum caninumMV
Hélianthème jauneHelianthemum nummulariumMV
Hellébore fétideHelleborus foetidusMV
Hippocrépis à toupetHippocrepis comosaMV
Inule des montagnesInula montanaM
Knautie des champsKnautia arvensisMV
Laîche de hallerCarex halleranaMV
Laser à feuille largeLaserpitium latifoliumM
Limodore à feuilles avortéesLimodorum abortivumMV
Lin à feuilles menuesLinum tenuifoliumMV
Lin purgatifLinum catharticumM
Listère à feuilles ovalesListera ovataV
Lotier corniculéLotus corniculatusMV
Muscari à toupetMuscari comosumMV
Myosotis des champsMyosotis arvensisM
Ophrys abeilleOphrys apiferaMV
Ophrys araignéeOphrys sphegodes ssp. sphegodesMV
Ophrys frelonOphrys fucifloraMV
Ophrys litigieuxOphrys sphegodes ssp. litigiosaMV
Ophrys moucheOphrys musciferaMV
Orchis à deux feuillesPlatanthera bifoliaMV
Orchis boucHimantoglossum hircinumMV
Orchis bouffonOrchis morioMV
Orchis brûléOrchis ustulataV
Orchis mâleOrchis masculaMV
Orchis militaireOrchis militarisMV
Orchis moucheronGymnadenia conopseaMV
Orchis pourpreOrchis purpureaMV
Orchis pyramidalAnacamptis pyramidalisMV
Orchis singeOrchis simiaM
Orobanche de la gérmandréeOrobanche teucriumM
Orobanche girofléeOrobanche caryophyllaceaM
Orpin blancSedum albumMV
Panicaut champêtreEryngium campestreMV
Petite coronilleCoronilla minimaV
Petite pimprenelleSanguisorba minorM
Phalangère à fleur de lysAnthericum liliagoM
Pin noirPinus nigraMV
Poirier sauvagePyrus communisM
Polygala communPolygala vulgarisMV
Potentille rampantePotentilla reptensM
Réséda jauneReseda luteaMV
Sarriette des champsAcinos arvensisV
Sauge des présSalvia pratensisM
Sceau de Salomon multiflorePolygonatum multiflorumMV
Sceau de Salomon odorantPolygonatum odoratumMV
Serpolet à feuilles étroitesThymus serpyllumMV
Silene enfléSilene vulgarisM
TroèneLigustrum vulgareMV
Viorne mancienneViburnum lantanaMV

Bibliographie:

  • Landdwehr J. 1983. Les orchidées sauvages de France et d’europe. Tome 1. Lausanne. 287 p.
  • Landdwehr J. 1983. Les orchidées sauvages de France et d’europe. Tome 2. Lausanne. 585 p.
  • Poinsot H. 1972. Flore de Bourgogne. Dijon, 401 p.
  • Royer J. M. 1971. Reconnaissance phytosociologique en basse-Bourgogne : I. La vallée de la Cure de Givry à Arcy (Yonne). L’Eduen. 57. 28-32.
  • Royer J. M. 1972a. Essai de synthèse sur les groupements végétaux de pelouses, éboulis et rochers de Bourgogne et Champagne méridionale. Extrait du fascicule 13. An. Sci. Univ. Besançon. série 3. 316p.
  • Royer J. M. 1972b. Reconnaissance phytosociologique en basse-Bourgogne : II. A propos des inules de la vallée de la cure. L’Eduen. 62. 19-21.
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Notre petit patrimoine

R.M.Koutlidis, 2020

Ce petit patrimoine rural (l’ensemble des monuments qui ne sont pas classés ni inscrit comme monument) est sans doute un attrait de notre « vieux » village. Il a été très officiellement réparti en 9 catégories d’éléments : points d’eau (fontaines, lavoirs…), sacrés (croix, calvaires, gargouilles, chapelles), ouvertures (portes, archères, fenêtres), signalisation (bornes, de limites), mesures de temps, de poids, d’espace (cadran solaire…), agricoles et viticoles (cabanes, four à pain, …), de commémoration (monuments aux morts) et bâtiments (tours, ponts, pigeonniers, maisons à pan de bois).

A l’aube de la création de l’OGS-Vézelay dans lequel Montillot est intégré, comme il était au moyen-âge dans la « poté » de Vézelay, interrogeons-nous sur notre « petit patrimoine » puisque de « grand », Montillot n’en a pas. L’identifier, le reconnaitre ouvre la porte à sa sauvegarde et à sa restauration. Il ne manque pas, en France, de bénévoles, d’associations dévolues à la sauvegarde de ce petit patrimoine[1] ! On met en jeu, en le valorisant, le développement local, la notion d’identité et la diversité culturelle. On débouche par exemple sur des randonnées-découvertes, des randonnées-contées, des circuits balisés qui manquent encore cruellement, ou sur des panneaux-indicateurs explicatifs.

En laissant de côté nos bâtiments (archères de l’église, pigeonnier), que nous reste-t-il ?

Les croix, témoignage d’une piété qui n’est plus : Croix blanche récemment refaite et minimisée, et croix de Chally, croix Bouché, croix du crot aux charmes, croix des Hérodats : saura-t-on encore précisément les situer, les photographier ?

Les cabanes pourraient bien subir le même sort. Ces images (en 2010, 2017, 2019) de celle située au long du chemin des côtes est là pour en témoigner :

Et qu’en est-il des meurgers ? … « meurgé, meurgée, merger, murgé, murget, murget, murgier, murgerot, mourzy meurzère… »  On en connait de nombreux en France, et plus généralement dans les pays de vignobles.

Muret (Photo P. Haase)
D’épaisse muraille à tas de pierres parementé lors du défrichage d’une parcelle, ou lentement constitué par l’épierrage régulier de la vigne, le mot est resté en usage dans les lieux où la culture la vigne s’est perpétuée, ne persistant, ailleurs, que dans la toponymie.
Tumulus (photo J. Demay)

Ici le vocable définit à la fois ces murets qui délimitent des parcelles oubliées, des cabanes (de vigneron, le plus souvent), et parfois, plus mystérieusement, des tumulus (tumuli) beaucoup plus anciens.

C’est le Professeur Pierre NOUVEL, de l’Université de Besançon (UMR 6249- Chrono-Environnement), qui a attiré l’attention sur les découvertes de tumulus (mot latin, mais son pluriel tumuli n’est pas utilisé) faites au 19ème siècle autour de Montillot.

Dans son article intitulé « les voies antiques de l’Avallonnais – apport de l’histoire et de l’archéologie », il avait identifié, entre autres, celle qu’il appelle la voie N°9, reliant Vézelay à Mailly-la-Ville ; il écrit à son sujet : « depuis Asquins, le tracé se poursuit vers l’ouest, sous un chemin qui se détache de la RD123 pour gravir la côte de la Perrière, longeant le village de Montillot par le Sud. Le chemin poursuivait sa route par la Collerette (nécropole préhistorique), bas de Dîne-Chien (idem) et Brosses. »  Cette voie, nous la connaissons bien ; elle a été en service jusqu’au milieu du 19ème siècle. Appelée « Grand chemin d’Auxerre à Vézelay au 15ème siècle, et relevant de la Justice royale, et « Grand Chemin de Mailly-la-Ville à Vézelay » sur le cadastre napoléonien de 1819. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un chemin empierré, entretenu dans les seules portions encore utilisées par des riverains, et difficilement praticable par un véhicule dans les autres parties. Il longe le centre équestre de la Croix-des-Bois, puis le Bois du Fège vers la Duite, se confond avec la route de Fontenilles jusqu’au Mont Ciboule, puis avec le chemin rural qui va vers Brosses à travers le bois de la Collerette. C’est le long de son tracé que des découvertes ont été faites.

Où sont donc ces 2 nécropoles[1] que cite P. NOUVEL ? Jusqu’à ce jour, nous ne connaissions que les « tumulus de Rochignard », trouvés en 1879 par les cantonniers de Montillot qui cherchaient des pierres, tumulus ensuite fouillés et décrits par F. CUVIER en 1880. A côté des ossements, on avait trouvé des fibules, des torques et des bracelets de bronze et de fer.

Nous ne devons donc plus ignorer que des fouilles ont été effectuées en 1858 et 1866, puis reprises en 1880 dans des monticules de pierres aux lieux-dits « Merger aux Moines » et « la Collerette », à cheval sur les communes de Montillot et Brosses. Plusieurs squelettes humains ont été mis à jour, avec des bracelets et des anneaux de jambes en bronze. Mr de LENFERNAT, qui fut maire de Montillot de 1860 à 1870, a participé jusqu’en 1880 à ces fouilles avec son gendre Mr de MONTIGNY, et a confié un certain nombre d’objets trouvés au musée d’Auxerre. D’autres ont été remis aux musées d’Avallon et de Troyes. Dans l’inventaire du musée d’Avallon paru dans le bulletin de la S.E.A. de 1879, on note, entre autres, « un anneau trouvé sous un tumulus (de Rochignard) par Mr Félix CARILLON » (Il s’agitde Félix-Célestin (1855-1904) cultivateur et maire-adjoint de Montillot, père d’Auguste-Joachim, tué au front en 1914, et grand-père d’un autre Félix (1910-1951). Des recherches aussi fructueuses ont été faites à cette époque dans plusieurs villages environnants. L’abbé PARAT cite le chiffre de « 178 tumulus de petite et moyenne dimension sur Bois d’Arcy », et d’autres dans les bois d’Avigny et de Lac-Sauvin. Des découvertes semblables ont été faites dans le Morvan ; les spécialistes du Musée de St Germain en Laye, consultés à l’époque, ont attribué les objets trouvés, partie au 1er âge du fer (civilisation de Hallstadt -1200 à -500), partie au 2ème âge du fer (période de la Tène, ou « époque gauloise »). A partir des découvertes des 19ème et 20ème siècles, plus de 170 nécropoles y sont repérées.

Une autre coutume funéraire de la même époque a été découverte : les champs d’urnes. Près de St Père-sous-Vézelay, René LOUIS a mis au jour entre 1937 et 1939 des sépultures, constituées en fait d’urnes contenant des ossements humains, des bracelets de bronze et des flèches néolithiques. Plusieurs ont été identifiées aux alentours de Montillot. Elles ont été datées de la période entre âge du bronze et âge du fer. Un peuple probablement originaire de Hongrie aurait remplacé les tumulus par les urnes vers -1200 à -1000 et serait venu ensuite en Allemagne du Sud puis, par la trouée de Belfort, vers la Nièvre, les Cévennes et le Tarn, où l’on trouve d’autres champs d’urnes.

Montillot, village de Pierres ?

Une bulle du Pape Alexandre III datée de 1169, sous le règne du roi de France Louis VII le Jeune, fait mention du plus ancien nom connu de Montillot ; il s’agit de « Montirucht ( ou peut-être Montirueht)». En vieux français, le rucht est une carrière de pierres. Rucheter ou Rocheter, c’est extraire de la pierre. A cette époque où l’on reconstruit le monastère de Vézelay et le chœur de la Basilique, il fallait trouver de la bonne pierre et le site carrier de Montillot était l’un de ceux propice à cette extraction. C’est par la suite qu’apparaîtra le nom de « Montillot » qui fait plus précisément allusion à la nature géologique de la roche extraite.

La zone calcaire dans laquelle se trouve Montillot, a une largeur moyenne de 15 km, et est limitée grossièrement au Nord par une ligne allant de Lucy-sur-Yonne à Ancy-le-Franc. On a ici des calcaires « à dominante oolithique et bioclastiques ». Les « oolithes » sont des grains sphériques (diamètre de l’ordre du mm en moyenne) formés par dépôt chimique de couches successives de carbonate de calcium, autour d’un « noyau », constitué de débris de roches ou d’origine biologique (« bioclaste »). Le calcaire oolithique, dépourvu de fossiles, est le plus compact et est utilisé en pierre de taille pour les grandes constructions[2] .

Pour Gilbert DUCROS†, Montillot était relié à « Mont » (colline, hauteur) et liot (pierre blanche de construction de nature calcaire et marbrière d’époque secondaire, mot d’origine gauloise). Plus généralement, et plus près de nous, le nom viendrait du vieux français « Monteil, Montil », signifiant petit mont.

Et ce monteil, ces pierres, où sont-ils ? En se tournant vers la micro-toponymie, on retrouve facilement ces éléments :



Le Crot Blanc, au nord de Montillot, sur la colline de 292m d’altitude surplombant le village, désigne toujours une ancienne carrière de calcaire à ciel ouvert dont furent extraites des pierres ayant servi à la construction de la basilique de Vézelay

Le Bois des Perruches : terrains très pierreux

Vaux Caille : du vieux français « caille » le caillou.

Et les meurgers importants ayant laissé leur nom aux lieux-dit : Meurger d’argent, Meurger de Porot, Meurger aux Moines.

Des actes notariés aux terres aujourd’hui cultivées, du cadastre (le dernier date de 1819) au dernier remembrement, des anciens cartulaires (1463, 1576, 1632, 1692, 1758, 1788) aux terriers de l’ancien régime, les parcelles, savamment arpentées, sont nommées, délimitées d’une façon qui se veut de plus en plus précise. Pourtant chaque révision, chaque retranscription menace paradoxalement un patrimoine fragile, que ce soit ce patrimoine qu’on dit petit, comme ces cabanes ou murets dispersés sur le territoire de la commune, ou bien la microtoponymie, ces noms d’usage qui parfois ne figurent même pas sur les cadastres, ou en sont parfois supprimées. L’abandon des patois, la mutation des populations où les ruraux ont de moins en moins de part, font le reste.

En un temps où la notion de patrimoine bâti, puis celle de patrimoine naturel, ont fait leur chemin et sont désormais admises de tous, et si la notion de patrimoine toponymique reste à ancrer dans les mentalités, c’est à nous qu’il revient de les préserver.

Alors : identifions, sauvegardons, puis restaurons ce patrimoine, le nôtre, pour mettre en valeur notre village !

BIBLIOGRAPHIE

  • Roger BRUNET, 2016 : « Trésor du terroir : les noms de lieux de la France » , CNRS EDITIONS, Paris, 616pp.
  • Pierre HAASE, 2001 : « Sur les Chemins du terroir ; noms de lieux à Asquins ; Esquisse d’une recherche de microtoponymie », monographie.
  • Stéphane BÜTTNER,sept 2010 : «   Les matériaux de construction des églises de l’Yonne » , Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Archéologie des églises de l’Yonne.
  • Pierre NOUVEL et Michel KASPRZYK : « Les voies antiques de l’Avallonnais. Apport de l’histoire et de l’archéologie » – Bulletin S.E.A.  (Société des Etudes d’Avallon), – 2007  
  • Pierre NOUVEL : « Les nécropoles protohistoriques de l’avallonnais », BSEA, 2009
  • Gérard TAVERDET : 1975-1984 : « Atlas linguistique et ethnographique de Bourgogne », Ed CNRS, CRDP Dijon, 4 volumes. 
  • Gérard TAVERDET : 1996 : « Les Noms de Lieux de l’Yonne » , Dijon, CRDP 1983 ; nouvelle édition revue, Dijon, ABDO.



[1] Articles parus dans les bulletins de la Société Académique de l’Aube en 1859 et de la Société des Sciences de l’Yonne (B.S.S.Y.) en 1880 et 1881. L’auteur en fut principalement Emile PALLIER, historien de Châtel-Censoir.

[2] Stéphane Büttner, 2010


[1] Commission Française pour la Protection du Patrimoine Historique et Rural (CFPPHR.free.fr) ; page Face Book « Forum pierres sèches » ; ou plus près de nous « Parc du Morvan : reconnaître et valoriser le petit patrimoine (2001-2004) puis concours de restauration 2004-2008 ; Association « Ultreia aller plus loin » à Asquins.

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Les lieux-dits

Gilbert DUCROS † 2002

Régine MORIZOT-KOUTLIDIS

« Les noms font rêver. Tous les noms : les noms dits communs et les noms dits propres, les noms de choses et les noms de personnes comme les noms de lieux. D’où vient ce nom ? D’où viennent le nom que je porte, et celui du village qui m’accueille, de ce lieu-dit où je passe ? Pourquoi a-t-on nommé ainsi cet objet, ce sentiment, ce lieu ? D’épais traités, ou des livres plus légers, sont consacrés à l’étymologie, science des sens, des origines, des racines. L’étymon est un mot d’origine grecque qui a pour sens : ce qui est, et sous-entend : ce qui est vrai parce qu’il est. On dit aussi : authentique, grec autos (soi-même) et hentes, étant, ce qui est par lui-même.

Les noms de lieux sont comme des projections des sociétés humaines. Celles-ci ont nommé les lieux selon leurs besoins, leurs représentations et leurs croyances, leur culture et leur mode de vie.

La tentation est d’inventer des interprétations, d’imaginer des légendes, qui ensuite se colportent en s’enjolivant. Ces étymologies populaires existent depuis très longtemps. Des scribes médiévaux y ont participé en réinterprétant des noms dont ils ne comprenaient pas le sens, mais auxquels ils voulaient un sens. De nos jours, tout un chacun peut écrire à son gré et le diffuser sur « la toile », jusqu’à la débauche. Ce qui, bien entendu, n’a rien à voir avec le sens originel d’étymologie : ce n’est plus l’être – vrai, c’est l’être imaginé, la fantaisie de chacun, voire le fantasme. »  [1]

Si les études du bâti et du patrimoine naturel, faune et flore, relèvent de sciences exactes, il n’en est pas de même pour la toponymie ; science faite d’hypothèses plus que de certitudes, de reconstitutions souvent hasardeuses, cherchant des appuis non en elle-même (l’évolution linguistique est trop soumise à la phonétique de patois qui font varier les prononciations d’un même terme d’un village à l’autre), mais dans l’histoire, la géographie, la géologie. Un toponyme révèle un paysage disparu, parfois sans rapport avec les cultures actuelles, qui peut avoir connu en dix siècles trois ou quatre états du paysage agricole au gré des cultures dominantes.

Ajoutons que les arpenteurs et géomètres, scientifiques férus de géométrie plus qu’historiens ou linguistes, en dépit de leur dévouement à aller nicher des bornes dans les climats les plus reculés, ont largement contribué à déformer et rendre méconnaissable bien des toponymes parmi ceux qu’ils n’ont pas délibérément rayé des cartes. Prenons pour exemple la croix de Montjoie[2], en limite de Tharoiseau et de Saint-Père, que les arpenteurs de la fin du XVIIIe siècle s’obstinent à dénommer Croix Mangeoire, en parfaite méconnaissance de son origine, de l’esprit du pèlerinage compostellan et magdalénien, et cherchant sans doute à rapporter une information orale mal saisie à un terme rural.

Pour clore cette introduction, écoutons ce qu’en dit le Professeur Gérard TAVERDET[3], de l’université de Dijon : « Il faut admettre dès le départ qu’une telle étude a des limites : les noms de lieux ne forment pas un système cohérent dont les parties évidentes pourraient éclairer les parties obscures… Parfois on est réduit à de simples hypothèses qui sont loin de faire l’unanimité des spécialistes. On est tributaire de formes anciennes qui, parfois, sont bien connues, qui, le plus souvent, sont absentes, mal connues ou même contradictoires ».

Voyons, à Montillot, comment les recherches de Gilbert DUCROS † contribuent à enrichir ces bases de données toponymiques[4]. Les verbes souvent employés au conditionnel, rappellent l’incertitude des hypothèses avancées.

Les origines toponymiques de Montillot et de ses hameaux

MONTILLOT : 

Une bulle du Pape Alexandre III datée de 1169, sous le règne du roi de France Louis VII le Jeune, fait mention du plus ancien nom connu de Montillot ; il s’agit de « Montirucht ». En vieux français, le rucht est une carrière de pierres. Rucheter ou Rocheter, c’est extraire de la pierre. A cette époque où l’on reconstruit le monastère de Vézelay et le chœur de la Basilique, il fallait trouver de la bonne pierre et le site carrier de Montillot était propice à cette extraction. C’est par la suite qu’apparaîtra le nom de « Montillot » qui fait plus précisément allusion à la nature géologique de la roche extraite.

Les actes notariés des siècles passés écrivent « Montéliot », toponyme dont nous avons deux exemples dans le département de la Côte-d’Or : Montliot près de Chatillon-sur-seine, et Montoillot non loin de Sombernon.

« Montillot » est formé de deux éléments : « Mont » : colline, hauteur ; et « liot » : ce mot d’origine gauloise désigne une pierre blanche de construction, de nature calcaire et marbrière, d’époque secondaire (130 millions d’années), à laquelle les carriers anglais, à la fin du XVIIIe siècle, ont donné le nom de Lias (« layer »). La carte géologique nous montre qu’il existe en effet à Montillot un affleurement de ces calcaires, contrairement à la région environnante. C’est ainsi que des carrières furent ouvertes dès le moyen-âge autour de Montillot.

LE VAUDONJON : 

L’orthographe « Vaux-Donjon » ou « Vau-Donjon » est apparue dans les actes notariés depuis plus d’un siècle, et figure aussi dans la carte de Cassini, un peu plus ancienne. Il n’y a pourtant jamais eu de Donjon connu à proximité ! Il se peut que se soit une déformation de l’écriture ancienne. Ce nom proviendrait du Germanique « Waidanjan », infinitif substantivé signifiant « exploitation de prairies » (allemand weide, le pâturage). 

Le hameau a été fondé lors des grandes invasions germaniques du Ve siècle et le cimetière voisin, au lieu-dit « les cercueils », fouillé au début du XXe siècle par l’abbé Parat, a livré des centaines de sarcophages mérovingiens.


Le Vaudonjon souffrit beaucoup de la guerre de Cent ans. On rapporte que presque toute la population fût massacrée et que, pour repeupler le village, les moines de Vézelay firent venir des paysans du Val d’Aillant, près d’Auxerre.

Le hameau dépendit jusqu’à la révolution de la paroisse d’Asquins et de la justice de Montillot. En Juin 1792, par pétition, il fût rattaché à la toute nouvelle commune de Montillot. Ce rattachement ne fût pas du goût de tous les Vaudojonnais dont beaucoup se sentaient socialement plus proches des vignerons d’Asquins que des cultivateurs des terres argileuses de Montillot. Asquins se vengea de cette défection en refusant le 5 Mars 1910 la pétition des habitants tendant à faire entretenir le chemin. Rares furent pendant longtemps les mariages entre garçons et filles du bourg et de son hameau

LES HERODATS : 

Le nom de ce hameau provient de l’évolution de « hébergeages », généralement employé au pluriel. L’évolution philologique du mot conduisit aux formes « hébeurgeats » puis « héreugeats », du germanique « hari » (armée) et bergeon (protéger). Ce mot a désigné initialement un campement militaire. Sa racine est la même que le verbe « héberger » et que le nom « auberge ». Puis il a désigné un ensemble de bâtiments agricoles. La valeur sémantique du terme a échappé aux copistes modernes qui ont cru bon de l’assimiler à « hérodats » nom ancien des hirondelles.

LA BERTELLERIE : 

Ce hameau voisin des bois de la madeleine porte le patronyme de Claude Bertholet, né en 1748 en Savoie, alors province du royaume de Piémont-Sardaigne. Médecin, il se réfugie en France où il demande sa naturalisation. Il s’intéresse aussi à la chimie, est élu à l’Académie des sciences, et devient collaborateur de Lavoisier.  En 1784 il est nommé directeur des teintures de la manufacture des tapisseries des Gobelins à Paris. Il participe à l’invention de l’eau de Javel, qui connut tout de suite un grand succès.

Les Bertholleries, apparues un peu partout en France à la fin du Premier Empire, blanchissaient les toiles écrues produites par les ateliers villageois. C’est le souvenir d’une blanchisserie fondée en ce lieu que commémorerait le nom du hameau

TAMERON :

Du latin « taxonaria » le « gîte du blaireau » qui a donné le nom tanière en français. La terminaison « ron » induit une valeur péjorative avec le sens de pauvres maisons en un lieu isolé.

BAUDELAINE :

Ce nom gracieux est la corruption du patois poyaudin « baudetaine » qui désigne une masure.

Mais le sens n’en est pas toujours péjoratif car dans la région de Tannerre-en-Puisaye une simple maisonnette est appelée bobitaine. L’origine de ce mot est inconnue.

MAROT :

Ce nom de lieu est assez fréquent en Bourgogne… mais avec des orthographes différentes.

Citons l’exemple du hameau de Marault, près d’Avallon. Son origine serait francique : « marisk » devenu « maraticum » en latin ecclésiastique, et « marais » en français moderne.

Le nom du hameau est donc associé à la présence du petit étang alimenté par un ruisseau.

LE GUE PAVE : 

C’est l’extrême limite de la commune, son seul accès à la Cure. Les hommes ont toujours éprouvé des difficultés pour traverser les cours d’eau. Comme la construction des ponts est onéreuse, on lui préféra longtemps le passage à gué. A un endroit où la rivière est large et peu profonde, on établissait dans son lit un dallage, un « pavé », qu’utilisait le voyageur, le cavalier, l’attelage. C’est ainsi qu’on a aménagé au gué pavé un passage qui permettait d’aller presque en ligne droite de Montillot à Avallon en passant par Domecy-sur-le-Vault. A noter que le pont de Blannay n’a été réalisé que sous le second empire, et qu’auparavant on guéait au confluent de la Cure et du Cousin. Pour la petite histoire, rappelons que la diligence qui reliait la gare de Sermizelles à Vézelay a été en service jusqu’au lendemain de la première guerre mondiale, et que la dernière diligence a sombré dans la Cure, corps et biens, au tournant de la Vernée, un jour d’hiver où le postillon n’avait plus la maîtrise de son équipage.

MALFONTAINE : 

Hameau aujourd’hui disparu, entre Fontenille et Bouteau, son nom indique une source. La source de Malfontaine se trouve aujourd’hui au croisement de trois routes, l’une allant vers l’ancien moulin de Marot et vers le village d’Asnières, les deux autres vers Brosse et Montillot. Personne n’habite plus à proximité depuis au moins un siècle, et on a peine à croire qu’il y eut là une agglomération, dont il est question dans des actes notariés datant de 1650. Il ne subsiste, dans le triangle de la jonction des trois routes, qu’un édicule marquant la captation de cette source, qui alimentait en partie la commune de Montillot depuis 1950. Et pourtant les actes notariés et les registres paroissiaux confirment que ce coin était habité sous Louis XIV, et qu’il y avait aussi quelques maisons un peu plus loin, de l’autre côté du « ru de Brosses », après un petit pont, au lieu-dit le gué de Combre.

Etude des Lieux-dits parcellaires de la commune

Certaines appellations, à connotation géographique, font florès dans la région. Il s’agit d’ « oronymes », noms attribués à des accidents de relief.

LA COME : Tenue par Lusigny (1964) comme issue de combe, le mot affecte les orthographes come, comme, caume, et localement coume, prononciation qui rejoint curieusement celle du Lot, mais aussi le mosellan coume que Vial (1983) veut faire dériver de l’allemand « kumme », écuelle, donc creux, donc vallée. Mais c’est un probable latin « cumba » (Campagnac, 1991) qui en serait plutôt à l’origine ; le proche Morvan a ses « commes ». Toutefois le mot se distingue chez nous de « combe » en ce qu’il s’est spécialisé pour désigner le versant ensoleillé d’un vallon, une pente assez rapide, une côtière en somme plus qu’un creux, dévolu souvent aux friches. 

Montillot a ainsi ses Come chemeneu, Come au roi, Come botillon

Nos comes sont finalement des variantes de » « CÔTATS » ou « COUTATS »  (JOSSIER 1882) dont nous gardons le coutat de Blannay, le cotat borne

La toponymie des bosses renvoie à celle des creux. 

Localement, il s’agit de CROTS, terme généralisé à toute la région Bourgogne, mais avec des variantes : mare en Puisaye (ROUSSET 1977), abreuvoir en basse Bourgogne (JOSSIER 1882), le crot se fait chez nous simple creux (BOUJAT 1980). 

Le CROT BLANC, au nord de Montillot, sur la colline de 292m d’altitude surplombant le village, désigne toujours une ancienne carrière de calcaire à ciel ouvert dont furent extraites des pierres ayant servi à la construction de la basilique de Vézelay.

Reste l’homonymie avec les CROS, ou pommiers sauvages, terme auquel se rattache probablement le lieu-dit de même nom, à proximité du château, en Toucheboeuf.

Il y a aussi la famille des VAUX. Le terme désigne explicitement de petites vallées ; la vocalisation semble désigner des toponymes anciens, fixés dès le XIIe siècle. Si l’origine de Vaux-Donjon (Vaudonjon) est controversée, les BOIS DE VAUX LANNES, sur Asquins, ne sont pas mieux définis. Les mentions anciennes portent VAULX L’ASNE ou VAULANES. Ce plateau boisé appartenait au chapître de Vézelay. Le 26 Mars 1575, les abbés avaient donné à ASQUINS 400 arpens sur Vaulanes et les Fontellets, que le chapître contesta, exigeant le 16 Septembre 1586 un bornage. François de Rochefort confirma ces accords en 1635. Plus qu’à l’utilisation d’ânes dans cette vallée, on pourrait penser à une dépression de terrain, du latin « vallanus » ; mais le plateau est ici régulier. Paradoxe de ces vaux en situation dominante ! VAUX CAILLE, lui, correspond bien à une vallée.

De nombreuses références au sol, aux accidents du terrain et aux cours d’eau sont ancrées dans les toponymes.

TOUNE-CUL, ou tourne-cul : pourquoi ne pas rechercher une origine celtique à ce vocable, dans sa version de « Tor quillau » ! « Tor » signifie forte déclivité et « quillau » glissant. On dit aussi que lorsque l’on travaillait aux vignes qui s’étendaient sur les deux pentes du vallon, on se tournait le… « dos ».

LA CÔTE CAFARD : le vieil adjectif « cafard » a le sens de pénible, dangereux. Effectivement, cette côte est pentue et les chariots pouvaient se renverser.

LES BOIS DE L’AIGREMONT : de « aigre », pentu, difficile à gravir. C’est en effet une colline qui domine fortement la vallée de la Cure.

LE MONT CIBOULE : c’est une hauteur en forme de massue, ou d’oignon (du latin « caepulla »)

LA COTE DE LA CLEF : « Clef » est la corruption de « quillée », la glissade en vieux français. En hiver, les enfants du Vaudonjon utilisaient des traineaux pour dévaler cette pente très accusée.

LES CHAMPS GROLON : issu du vieux français « gueurrion », il s’agit de terrains dont certaines pierres semblent avoir été grillées.

VAUX CAILLE : du vieux français « caille » le caillou. (Il en est resté les mots caillasser, caillasse). C’est une vallée caillouteuse, sans grande fertilité.

LES BOIS DES PERRUCHES (prononcer « pruches ») : il s’agit non d’oiseaux mais de terrains très pierreux

LES MEURGERS : les meurgets sont d’énormes amoncellements de pierres. Ils ont deux origines. Il s’agit parfois de sépultures gauloises pourvues d’objets familiers : armes ou pièces d’or ou d’argent (MEURGET D’ARGENT) ; ou alors ce sont d’énormes pierres plus ou moins taillées (MEURGET DE POROT).  Les meurgets cependant proviennent le plus souvent de l’épierrement des terrains de culture (vignes) ou de l’extraction des déblais des caves.

LE PRE GOULOISON : du vieux français « goulaison » la source (verbe couler). Une source y apparaît périodiquement.

LA COME AU ROI : il s’agit de la vallée au « rouel », c’est à dire au ruisseau. Effectivement un ruisselet suit une rigole après les grandes pluies.

LES LONGUES RAIES, entre Corbier et Toune-Cul, sont encore les ruels évoqués ci-dessus. Ces terrains longs et pentus sont striés de longues rigoles.

LE PRE DE LA DAME : corruption de « la doualle » qui autrefois signifiait un fossé plein d’eau qui se vide difficilement par manque de pente (latin « doga », le fossé d’écoulement).

LE BOIS DES SOILLOTTES : ce sont de vilaines mares évoquant les gîtes fangeux des sangliers (latin « sus », le porc).

FORET DE CONFLANS : ce terme désignait autrefois le confluent de deux cours d’eau. Deux ruisseaux se rejoignaient dans cette forêt.

LES PRES DE LA MORTE : en patois une morte est une pièce d’eau stagnante qui paraît morte. En fait ce mot est la corruption du vieux français « more », la tourbière.

CHAMP DU PORON : C’est un acte du 14 Août 1732 – trouvé dans la liasse ADY / G2547 : « Cure de Monteliot », acte rédigé par le curé de l’époque Jean-Baptiste FAULQUIER, qui nous donne l’origine du toponyme « le Poron » : 

Arpenteur juré de la maîtrise d’Auxerre le 14 février 1732…  Ci-après un extrait de cet acte : «     …et l’autre borne plantée à l’extrémité de la pièce de terre à moi curé apartenante, vis à vis et a deux pieds et demy au-dessus d’une grosse borne ronde et rouge, appelée porrond, faisant séparation de long entre moy curé et la veuve Gabriel Pourcheron, laquelle grosse borne ronde a été plantée entre moy curé et la dite veuve P.  par le Sieur Delapierre » ,

En annexe à ces toponymes à vocation géologique et géographique, on trouve une série de toponymes inspirés (sans doute récemment) de la faune et de la flore.

Montillot a un « CHAMP AU LIEVRE », bien connu des chasseurs. Et si LA GARENNE nomme une vaste zone sur Asquins, à l’ouest des Champs Gringaux, il en existe une aussi près de Tameron. Le terme désignait sous l’ancien régime des réserves (tout comme varenne).

Le terme est banal et antique à la fois, sans doute issu du germanique « warren », lieu clos, si ce n’est du bas-latin « warenna » lui-même mêlé de gaulois varenna.

LA COME CHEMENEU, LA COME GENET ont la même origine : le terme vient du vieux français « chenève, chenove » : le chanvre. Ce sont des vallées où poussait le chanvre. La culture du chanvre était très répandue au XVIIIe siècle et cette culture a laissé de nombreux toponymes. Le chanvre servait à la fabrication des liens, des cordages, des sacs. Son élaboration nécessitait un grand savoir-faire. Il a été supplanté au XIXe siècle par d’autres textiles d’origine tropicale, moins chers, comme le raphia. De même, une chènevière est une plantation de chanvre. LA CHENEVIERE A ROUGEOT : désignait une plantation de chanvre située dans une terre rouge, de nature argileuse (le rougeot). On peut aussi émettre l’hypothèse d’un nom, ou d’un surnom (« Rougeot »), la formulation « à » signifiant l’appartenance dans le parler morvandiau (au lieu du « de » conventionnel).

BEAUCHARME (sur Asquins) et LA PIECE DU CHARME (sur Brosses) pourraient faire penser, comme le suggère P. HAASE, qu’il s’agit d’une référence à un arbre remarquable ? Il semble plutôt que ces termes fassent référence au « charme » qui pourrait être la corruption du vieux mot « channe », autre nom du chanvre. Que dire alors de LA CANNE, vers Tameron ? Plus qu’une déformation de « channe », il s’agirait là de la « cagne » qui en vieux français désigne une maison misérable tout juste bonne pour un chien (« canis » : le chien).

Et la DAME JOINTE ? Si « Dame » est un adjectif signifiant mauvais, damné, « Jointe » est la corruption de « Chinte », encore un autre nom du chanvre. C’est un endroit où le chanvre était de mauvaise qualité.

LES POMMERATS, du vieux français « pommerets », lieu planté de pommiers. Le nom de la ville d’Avallon (du gaulois « aballo » ) induit le même sens.

LE BOIS DES PETITS FOUTEAUX : c’est le diminutif de « fou », l’ancien nom du hêtre (du latin « fagus »). 

LE GROS FOU, et LE BOIS DU FAYS ont la même origine.  On en rapprochera le « Faou », de Bretagne.

LES SAUCES : du vieux français « saulces », les osiers (du latin « salix », le saule).

LA COME BOTILLON : corruption de « boquillon », le petit bois.

LE BOIS DU FEUILLARD : les feuillards sont des branches garnies de feuilles sèches qui, les mauvaises années, permettaient d’alimenter les bestiaux pendant l’hiver.

LES CHAMPS GRINGAUT (proches de Vaudonjon mais dépendant d’Asquins) : corruption de « grainiots », adjectif médiéval qualifiant de bonnes récoltes de grains. Ces terrains, aujourd’hui boisés, difficiles à labourer, étaient autrefois fertiles.

LES ROMPIS : ce terme désigne un ensemble d’arbres cassés (du latin rumpare).

Au-delà du fond de Porot, près des Hérodats, le flanc de la colline pourrait avoir été détruit par des intempéries ? Ce terme désigne aussi des cassures de terrains produisant des ruptures de pentes.

LA VALLEE BOULANGER : « Boulanger » est la corruption du patois « poumachée », nom local de la mâche sauvage, la « poumâche ».

LA COMME BOMBARDE (sur Asquins) : la bombarde est une fleur plus connue sous le nom de Julienne.

LES VAUX DE L’ABREUVOIR (sur Asquins) : Corruption de « beurjouée », nom patois de la bruyère.

LE BOIS DE L’OPPIN : c’est le nom local de l’aubépine.

LE BOIS DES BOULATS : pour « poulas » nom local des coquelicots.

LA VALLEE JEAN DEFERT : amusante transformation de « genêtière » (lieu planté de genêts) qu’au hasard d’une réfection cadastrale un habitant du pays a transformé en son nom et prénom ; il était probablement propriétaire de ces terrains.

L’histoire a aussi marqué de son sceau le parcellaire.

 La présence possible de remparts, qui expliqueraient le chemin de « ronde » qui circonscrit le village, pourrait expliquer LA PORTE (DE LA CHALLY).

Mais une autre origine à ce toponyme est défendue par G. Ducros : il s’agirait plutôt de l’Apport de la Challie : Au moyen-âge, l’apport est l’actuel champ de foire où exposent maquignons et commerçants. La challie est le fossé d’écoulement des eaux.

LE CHAMP DES EGLISES en amont du gué pavé se trouve sur le site du village disparu de Vergigny (sans doute rayé de la carte au XIIIe siècle). Les églises d’Asquins et de Blannay, ainsi qu’une église St Amâtre dont on peut penser que c’est celle d’Auxerre, y possédaient des terres. Les chemins antiques et médiévaux traversaient ce site.

De l’autre côté de la route actuelle longeant la Cure, des vignes disparues vers 1900 occupaient un revers dit « CHAMP DES CERCUEILS ». Cette appellation date sans doute du XVIe siècle ; les cercueils en question étaient en réalité des « sarqueux » ou sarcophages, fouillés dès 1610 par Erard de Rochefort qui crût y découvrir une ancienne léproserie. Martin reprit les fouilles en 1780 (récupérant au passage des monnaies du temps de Henri IV, sans doute perdues par les fouilleurs de 1610). 

Il fallut attendre les trouvailles de Mr de L’ENFERNA, maire de Montillot en 1850, puis les fouilles systématiques de l’Abbé Parat en 1905 pour identifier un cimetière de basse antiquité et des temps mérovingiens, avec plusieurs centaines de fosses.

LE CHAMP DE LA FOURCHE : la fourche était autrefois le nom de la potence où l’on pendait les condamnés. On lui donnait aussi le nom d‘ « arbre sec ».

LE POIRIER DE LA JUSTICE : il évoque la rigueur des juges et les pendaisons.

Evocation des constructions  

LA CALABERGE : corruption de la « cagne aux bergeats ». Les bergeats sont les troupeaux de moutons. La calaberge est donc une vieille bergerie, perdue entre Bouteau et les champs Gringaux.

LE BOIS DE MAL APRIS : désigne c’est une maison forestière en mauvais état (pour « abri »).

Les MAGNES sont un terme très utilisé dans la région et représentent des maisons ruinées (du bas latin « mahennari », abattre, mutiler.) BOIS DES MAGNES ; MAGNES VAUTHAIRES

L’adjectif « vathaires » correspond au vieux verbe « vaster », c’est-à-dire dévaster, ruiner.  Il est fait allusion ici à des maisons endommagées par des guerres ou des catastrophes naturelles.

De même, la MELOTTE est une déformation de magnottes : les petites ruines.

FARGES (hameau de Brosses) et LA FARGEOTTE sont deux noms provenant du latin « fabrica » : la forge. De nombreuses fonderies existèrent sur le plateau dès l’époque gallo-romaine, utilisant le minerai de fer sous-jacent.

BOUTEAU (hameau de Brosses également) se rapproche de Buteau/Butot…, nom également patronymique, et aurait une origine scandinave (Xe siècle) (de Buo, terrain, et Topt, baraque) : il désignerait un terrain sur lequel une baraque a été ou doit être construite (comme Butot en Caux). Mais si en Normandie on comprend bien l’origine scandinave du nom, en Bourgogne elle est déjà plus hasardeuse. Faut-il alors s’attarder à la racine « Butor », amertume, tristesse ?

LA CROIX DE LA SAINT-JEAN : ce serait la corruption de l’ « assoigement », vieux français désignant la consolation ! Cette croix serait celle de la consolation, le lieu où l’on recherche la douceur du recueillement.

Les activités agricoles

LE BOIS DE L’ESSERTIE : L’essertié est un terrain défriché et mis en culture (latin « exarta »). Le village d’Essert, près de Vermenton, a la même origine.

LES ESSENCES : corruption du vieux mot « aisances » qui étaient des terrains paroissiaux laissés à la disposition des paysans pauvres.

LES PRES MONSIEUR : il s’agirait là du vieil adjectif « meseleu » , du latin «   misellum » : misérable. C’étaient des prés fangeux et de mauvaise qualité. Depuis cette époque, le drainage puis le chaulage ont amélioré la qualité de certains terrains.

PLAN DE FOLLE : proviendrait du vieux français « la plante foïée ». Au moyen-âge, une plante est une plantation de jeunes vignes, et parfois une pépinière de pieds de vigne. Au Vaudonjon, on a ainsi deux lieux dits : « la Plante » et « les Plants ». L’adjectif « Foïée » vient du latin populaire « fullare », maltraiter, abandonner, fouler. Il s’agirait donc d’un clos de vigne mal entretenu, et qui donne de mauvais produits.

Et la COTE TOURNELLE ? Comme La Tournelle d’Asquins, ce nom mystérieux pourrait avoir son origine dans la racine « tor /tur/turra », pré-latin : il en existe plusieurs dans la région (Theuriat, Thereau, Thurot) qui toutes sont des éminences, des sommets arrondis ; sur ses pentes, c’est un vignoble de qualité, et le patois garde l’adjectif « étournellé » pour signifier pris de boisson (Meunier, 1977).

Et bien d’autres encore : le Bois Taché, Les Criaux, Letrier, Les Entes, Les Gouleteries, et Rochignard, Corbier… qui sont là pour témoigner qu’un tel exposé est toujours partiel. La recherche toponymique est une aventure toujours en évolution et faite de bonnes fortunes : instinct, graphies décodées à la lumière des patois, traditions orales, rapprochements fructueux. Ce sont souvent des conjectures qui sont fournies, plus que des certitudes. Peu de ces étymologies sont définitives, et tout apport pour les affiner, les confirmer ou les remettre en question sont les bienvenues.

BIBLIOGRAPHIE

  • Roger BRUNET, 2016 : « Trésor du terroir : les noms de lieux de la France », CNRS EDITIONS, Paris, 616pp.
  • Pierre HAASE, 2001 : « Sur les Chemins du terroir ; noms de lieux à Asquins ; Esquisse d’une recherche de microtoponymie », monographie.
  • Gérard TAVERDET : 1975-1984 : Atlas linguistique et ethnographique de Bourgogne, Ed CNRS, CRDP Dijon, 4 volumes. 
  • Gérard TAVERDET : 1996 : Les Noms de Lieux de l’Yonne, Dijon, CRDP 1983 ; nouvelle édition revue, Dijon, ABDO.



[1] Roger BRUNET, 2016

[2] Pierre HAASE 2001

[3] Gérard TAVERDET, 1983 : Atlas linguistique de Bourgogne, Ed CNRS, CRDP Dijon.

[4] Ce document, daté du 26-03-2002 a été reproduit précédemment dans le site internet de Montillot créé en 2000 (montillot89)