L’article ci-dessous a été publié en tant que compte rendu de sortie dans le Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs (référence bibliographique : P. Collin. 1998. Les pelouses à Orchidées de la région de Vézelay (Yonne). Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs. 86 : 13-17).
P. Collin était à l’époque Attaché d’enseignement et de recherche au Laboratoire de Sciences Végétales de l’Université de Franche-Comté. Il est aujourd’hui directeur du Conservatoire Régional d’ Espace Naturel de Franche-Comté qui a pour mission de gérer les milieux naturels les plus remarquables de Franche-Comté.
Cet article fait suite à une sortie organisée par la S.H. N. D. au mois de mai 1992. Les endroits visités étaient situés dans la vallée de la Cure et à proximité de Vézelay où l’on peut observer quelques formations végétales de type mésoxérophile à xérophile sur les versant ensoleillés de la vallée et des collines environnantes. Ces milieux recèlent de nombreuses espèces peu communes et en particulier des Orchidées.
Géographie et géologie
Les deux pelouses sont situées sur les plateaux de basse Bourgogne : l’une dans la vallée de la Cure avec une orientation sud-est sur la commune de Montillot ; l’autre d’orientation sud-ouest à proximité de Vézelay .

Dans chaque cas l’altitude est peu élevée et de l’ordre de 200 à 300 m. La pente de ces deux stations est forte, de 30 à 40 %, surtout à Montillot. La région est bordée au sud par le morvan granitique. A l’ouest et au nord-ouest l’auréole infracrétacée de la Puisaye délimite le plateau calcaire de basse bourgogne. A l’est et au nord-est s’étend la cuesta oxfordienne et la montagne chatillonnaise. La roche mère des deux stations étudiées est constituée par un calcaire appartenant au Bathonien inférieur.
Aperçu climatique

La vallée de la Cure est caractérisée, à cet endroit, par de faibles précipitations qui sont de l’ordre de 600 à 700 mm par an et par une température moyenne annuelle de 10°C. La zone peut être qualifiée de thermophile et les sécheresses estivales sont fréquentes (Royer, 1972a). Les données concernant le climat de la station de Vézelay ne sont pas accessibles par l’analyse de la bibliographie.
Pédologie (nota: étude des sols)
Les sols observés sur la station de Montillot et, dans une moindre mesure à Vézelay, rendent compte de la nature carbonatée de la roche mère et de leur position topographique. Schématiquement, deux types de sol sont distingués : les rendzines et les sols bruns calcaires. Les sols situés en position sommitale ou la roche affleure sont peu épais car une partie des éléments fins est entraînée en contrebas. Les sols des sommets sont donc rajeunis en permanence, ceci a pour conséquence une faible épaisseur et une grande richesse en carbonate. D’une manière générale, la distribution des rendzines reste liée aux affleurements de roches calcaires tendres. Les potentialités de ce type de sol sont conditionnées par l’alimentation en eau. Dans les cas les plus favorables une forêt thermophile peu s’établir.
Lorsque l’épaisseur du sol augmente on observe une décarbonatation de l’horizon de surface et il en résulte un sol plus évolué de type brun calcaire. A Vézelay, en bas de pente, la présence d’un calcaire plus ou moins marneux induit des modifications de la végétation avec l’apparition par exemple de Blackstonia perfoliata et Listera ovata (Poinsot, 1972) qui sont des espèces classiques des sols marneux.
Végétation

D’après Royer (1972a), la flore de la Bourgogne appartient au domaine médioeuropéen. Toutefois des nuances sont observées suivant les districts étudiés. Celui de Basse-Bourgogne dans lequel se trouve les deux pelouses est caractérisé par un appauvrissement relatif en espèces médioeuropéennes, par la disparition des espèces submontagnardes (Aconitum pyramidale, Ribes alpinum, Carex montana etc…)

On y trouve une grande richesse en plantes subméditerranéennes (Inula hirta, Inula montana (ci-contre), Hyssopus officinalis, Artemisia camphorata etc.). Il faut noter également l’apparition de quelques espèces subatlantiques comme Festuca gallica et Polystichum setiferum (Royer, 1972a).
Ces deux pelouses sont remarquables par la diversité des espèces qui s’y développent. Les orchidées sont très présentes dans chacune des stations étudiées avec dix neuf espèces à Vézelay et seize à Montillot (tableau1). Ces plantes exercent un attrait important sur le naturaliste et elles constituent un élément essentiel des pelouses sèches. Une forêt composée presque exclusivement de Chêne pubescent, de Cornouiller mâle et d’Alisier blanc constitue le milieu naturel qui est en contact avec les pelouses.


Dans ces deux stations l’Orchidée dominante est l’Orchis homme pendu suivie de près par l’Orchis mâle, l’Orchis pourpre et l’Orchis militaire.
Les Ophrys sont moins nombreux mais la plupart des espèces sont présentes : on peut observer l’Ophrys araignée, l’Ophrys bourdon, l’Ophrys abeille et l’Ophrys mouche. L’Ophrys bécasse serait à rechercher puisqu’un individu en très mauvais état à été observé en 1990.
Toutes ces espèces préfèrent le plein soleil, tandis que d’autres semblent chercher l’ombre ou du moins la fraîcheur tels le Céphalanthère rouge et l’Orchis à deux feuilles que l’on trouve en bordure de la forêt où l’ombre est la plus importante.
A la fin du mois de mai et au début du mois de juin la pelouse de Montillot est envahis par l’Orchis moustique, c’est la dernière Orchidée à fleurir car le Spiranthe d’automne n’y a jamais été observé.



Comme il possède très peu de chlorophylle, il est très dépendant du champignon symbiotique avec lequel il se développe, ce qui explique en partie son irrégularité. Le limodore à feuille avortée est une curieuse orchidée plutôt forestière. L’espèce est protégée en Bourgogne.

L’Orchis singe s’hybride avec l’Orchis militaire, ce qui cause parfois quelque embarras pour la détermination de l’espèce. Le sens de progression de la floraison est un critère de reconnaissance utile : chez l’Orchis singe elle se fait du haut vers le bas (Landwehr, 1983).
Pour en terminer avec les orchidées, des individus albinos de l’Orchis mâle, de l’Orchis brûlé et de l’Orchis pyramidal ont été observés sur les deux pelouses.
Parmi les autres plantes, à coté des espèces banales comme le Genévrier, la Germandrée petit-chêne, le Cornouiller mâle et le Brome dressé, on notera la Garance des teinturiers, la Phalangère à fleur de lys, le Géranium sanguin, l’Anémone pulsatille et l’Hélianthème des Appenins. Certaines plantes comme le Muscari à toupet et l’Ail à tête ronde nous rappellent l’origine viticole de ces terrains. A Montillot, quelques pieds de vigne sont encore visibles. Toutes ces plantes, bien que relativement communes contribuent à caractériser ce remarquable milieu qui mérite une protection et un suivi scientifique. D’autres plantes méritent une mention particulière : il s’agit des espèces à affinité méditerranéennes telles que l’Inule de montagne et l’Orobanche de la germandrée. La station d’Inule de montagne située sur la commune de Montillot semble nouvelle puisqu’elle n’a pas été citée par J. M. Royer (1971 ; 1972 a et b). D’autres espèces à affinité méditerranéenne ont été observées en Basse Bourgogne à proximité du site de Montillot (Royer, 1970) : il s’agit par exemple, du liseron cantabrique (Convolvulus cantabricus) et de la Renoncule graminée (Ranunculus gramineus).



Faune
En ce qui concerne l’avifaune, on note la présence de l’Engoulevent d’Europe, du Hibou petit duc et du Circaète jean-le-blanc qui est ici à la limite nord de son aire de répartition.
Parmi les reptiles le Lézard vert est très abondant à Montillot mais n’a pas été vu à Vézelay.

L’Ascalaphe est sans doute l’insecte le plus caractéristique et le plus spectaculaire de ce milieu avec le Grand machaon et la Mante religieuse.
Les Orthoptères et les hyménoptères sont également très nombreux, surtout en fin d’été.
Une étude exhaustive de la faune serait bien évidement souhaitable.

Menaces
Plusieurs carrières ont été ouvertes à proximité de la station de Montillot dans lesquelles on extrait un matériaux calcaire très fragmenté. L’éventuelle extension de ces carrières serait préoccupante pour la pérennité de la station.
Ces deux milieux correspondent à d’anciennes vignes d’où la présence de quelques ceps dans ces stations. L’action de l’homme a donc marqué le paysage à une époque récente et a ainsi favorisé l’installation de nombreuses espèces. Les orchidées seraient sans doute très rares dans ces milieux si l’homme n’était pas intervenu sur ces sites. De ce fait ces stations sont fragiles et le retour à l’état de forêt ou de fruticée semble inévitable. En particulier la plantation du Pin noir suite à l’arrachage des vignes est une réelle menace pour le milieu car cette espèce colonise rapidement le terrain et y étouffe la végétation. D’un point de vue sylvicole, lorsque le sol s’y prête, les bouquets de sorbiers domestiques sont préférables aux plantations de pins.
La pratique « sauvage » du motocross a été observée sur les deux sites avec à chaque fois des conséquences désastreuses sur la végétation. La surveillance régulière, plusieurs fois par an, des deux pelouses est donc nécessaire.

La disparition des haies enfin provoque un remaniement profond de la flore et de la faune, tel le Gazé (ci-dessus), encore assez commun dans les pelouses mais en déclin partout ailleurs.
Liste alphabétique des espèces présentes sur les deux sites.
La présence sur la pelouse de Vézelay est notée par V tandis que les espèces de Montillot sont notées M. L’inventaire est loin d’être complet et il est par exemple tout a fait possible que des espèces notées M se trouvent en V et inversement, en outre de nombreuses découvertes sont possibles.
Nom français | nom latin | lieu |
Acéras homme pendu | Aceras anthropophorum | MV |
Alisier blanc | Sorbus aria | MV |
Anémone pulsatille | Pulsatilla vulgaris | MV |
Anthyllide vulnéraire | Anthyllis vulneraria | M |
Arabette des collines | Arabis collina | M |
Asperule à l’esquinancie | Asperula cynanchica | V |
Avoine élévée | Arrhenatherum elatius | M |
Bardanette | Lappula squarrosa | M |
Brize intermédiaire | Briza media | MV |
Brome érigé | Bromus erectus | MV |
Brome mou | Bromus mollis | MV |
Céphalantère blanche | Cephalanthera damasonium | MV |
Céphalantère rouge | Cephalanthera rubra | MV |
Cerisier de Sainte Lucie | Prunus mahaleb | M |
Chêne pubescent | Quercus pubescens | MV |
Chlora perfolié | Blackstonia perfoliata | V |
Compagnon blanc | Melandrium album | M |
Cornouiller mâle | Cornus mas | M |
Cornouiller sanguin | Cornus sanguinea | MV |
Dompte venin | Vincetoxicum hirundinaria | MV |
Eperviére piloselle | Hieracium pilosella | MV |
Fétuque sp | Festuca sp | M |
Fumana couché | Fumana procumbens | MV |
Gaillet mou | Galium mollugo | M |
Garance des teinturiers | Rubia tinctorum | MV |
Genêt des teinturiers | Genista tinctorum | V |
Genêt sagitté | Chamaespartium sagittale | M |
Genêt poilu | Genista pilosa | M |
Genévrier commun | Juniperus communis | MV |
Géranium sanguin | Geranium sanguineum | M |
Germandrée des montagnes | Teucrium montanum | V |
Germandrée petit chêne | Teucrium chamaedrys | MV |
Gesse à large feuille | Lathyrus latifolius | M |
Gesse aphylle | Lathyrus aphaca | M |
Globulaire vulgaire | Globularia punctata | MV |
Hélianthème des Apennins | Helianthemum appeninum | M |
Hélianthème des chiens | Helianthemum caninum | MV |
Hélianthème jaune | Helianthemum nummularium | MV |
Hellébore fétide | Helleborus foetidus | MV |
Hippocrépis à toupet | Hippocrepis comosa | MV |
Inule des montagnes | Inula montana | M |
Knautie des champs | Knautia arvensis | MV |
Laîche de haller | Carex hallerana | MV |
Laser à feuille large | Laserpitium latifolium | M |
Limodore à feuilles avortées | Limodorum abortivum | MV |
Lin à feuilles menues | Linum tenuifolium | MV |
Lin purgatif | Linum catharticum | M |
Listère à feuilles ovales | Listera ovata | V |
Lotier corniculé | Lotus corniculatus | MV |
Muscari à toupet | Muscari comosum | MV |
Myosotis des champs | Myosotis arvensis | M |
Ophrys abeille | Ophrys apifera | MV |
Ophrys araignée | Ophrys sphegodes ssp. sphegodes | MV |
Ophrys frelon | Ophrys fuciflora | MV |
Ophrys litigieux | Ophrys sphegodes ssp. litigiosa | MV |
Ophrys mouche | Ophrys muscifera | MV |
Orchis à deux feuilles | Platanthera bifolia | MV |
Orchis bouc | Himantoglossum hircinum | MV |
Orchis bouffon | Orchis morio | MV |
Orchis brûlé | Orchis ustulata | V |
Orchis mâle | Orchis mascula | MV |
Orchis militaire | Orchis militaris | MV |
Orchis moucheron | Gymnadenia conopsea | MV |
Orchis pourpre | Orchis purpurea | MV |
Orchis pyramidal | Anacamptis pyramidalis | MV |
Orchis singe | Orchis simia | M |
Orobanche de la gérmandrée | Orobanche teucrium | M |
Orobanche giroflée | Orobanche caryophyllacea | M |
Orpin blanc | Sedum album | MV |
Panicaut champêtre | Eryngium campestre | MV |
Petite coronille | Coronilla minima | V |
Petite pimprenelle | Sanguisorba minor | M |
Phalangère à fleur de lys | Anthericum liliago | M |
Pin noir | Pinus nigra | MV |
Poirier sauvage | Pyrus communis | M |
Polygala commun | Polygala vulgaris | MV |
Potentille rampante | Potentilla reptens | M |
Réséda jaune | Reseda lutea | MV |
Sarriette des champs | Acinos arvensis | V |
Sauge des prés | Salvia pratensis | M |
Sceau de Salomon multiflore | Polygonatum multiflorum | MV |
Sceau de Salomon odorant | Polygonatum odoratum | MV |
Serpolet à feuilles étroites | Thymus serpyllum | MV |
Silene enflé | Silene vulgaris | M |
Troène | Ligustrum vulgare | MV |
Viorne mancienne | Viburnum lantana | MV |
Bibliographie:
- Landdwehr J. 1983. Les orchidées sauvages de France et d’europe. Tome 1. Lausanne. 287 p.
- Landdwehr J. 1983. Les orchidées sauvages de France et d’europe. Tome 2. Lausanne. 585 p.
- Poinsot H. 1972. Flore de Bourgogne. Dijon, 401 p.
- Royer J. M. 1971. Reconnaissance phytosociologique en basse-Bourgogne : I. La vallée de la Cure de Givry à Arcy (Yonne). L’Eduen. 57. 28-32.
- Royer J. M. 1972a. Essai de synthèse sur les groupements végétaux de pelouses, éboulis et rochers de Bourgogne et Champagne méridionale. Extrait du fascicule 13. An. Sci. Univ. Besançon. série 3. 316p.
- Royer J. M. 1972b. Reconnaissance phytosociologique en basse-Bourgogne : II. A propos des inules de la vallée de la cure. L’Eduen. 62. 19-21.