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Edmé BROTHEY, curé de Monteluot en 1600 et rebouteux renommé

A. Buet, 2002

Bulletin généalogique de l’Yonne, N°96, p.86

Au cours de la séance de la Société des Sciences de l’Yonne du 4 Mars 1951, Monsieur Henri FORESTIER, alors Directeur des Archives départementales, a fait un exposé intitulé « un guérisseur à Montillot au 17ème siècle » …dont le texte n’a pas été reproduit dans le bulletin de la S.S.Y.

On doit donc se reporter au document original, classé « 3E7-21 pièce 1 » du « Fonds GUIMARD » des Archives départementales de l’Yonne, pour en savoir plus.

Ce dossier est répertorié ainsi : « Années 1602-1603 . Procès-verbal des témoignages rendus en faveur d’Edme BROTHEY, curé de Monteluot, poursuivi à la requête des chirurgiens et barbiers d’Auxerre, pour raison des cures qu’il a faites ».

Et en effectuant patiemment la transcription des 37 pages de ce manuscrit, on peut reconstituer un épisode de la vie de ce curé, qui a précédé d’un siècle le curé COLLAS, autre personnalité marquante de notre village…Du même coup, nous ferons connaissance avec la langue française de l’époque (écriture et vocabulaire).

Les démêlés qui opposent médecins et guérisseurs ne sont pas nouveaux !

Mais , pour bien situer notre curé, il faut savoir qui étaient ces « chirurgiens et barbiers »…

Au Moyen-Age, le « corps médical » comprenait deux catégories de personnes : les médecins et les chirurgiens-barbiers.

La médecine a commencé à être enseignée en 1220 à Montpellier, en 1229 à Toulouse et en 1274 à Paris. Après 5 ou 6 ans d’études de philosophie et de sciences, vers 21 ans, on devenait « maître ès arts » et on avait accès à une faculté supérieure (droit, théologie, médecine…) . L’enseignement se faisait en latin et il fallait 10 à 20 ans pour obtenir un doctorat. Les médecins étaient considérés comme des intellectuels, des savants qui, puisant leur science dans les livres, ne pouvaient avoir une activité manuelle !…

Les barbiers ont joué un rôle important dès l’Antiquité ; ils sont représentés sur les papyrus égyptiens ; à Athènes les hommes rivalisent par la beauté de leur barbe…Dans le premier millénaire, seuls les moines et les prêtres savaient lire et écrire ; considérés comme des érudits, ils étaient appelés à soigner les malades. Or à cette époque, la majorité des maladies étaient fatales, aucune thérapeutique sérieuse n’existant. On ne savait qu’inciser les abcès et faire des saignées…Le clergé faisait donc appel aux barbiers, qui disposaient des outils nécessaires !

Au 12ème siècle, un concile interdit au clergé de retirer du sang humain : les barbiers prennent leur indépendance dans les activités de « chirurgie »…La profession de chirurgien-barbier apparaît ; elle n’est alors pas contestée par les médecins, qui font à leur tour appel à eux, car saigner un malade, comme tout autre geste manuel, eût constitué un acte déshonorant !

Leur champ d’activité s’élargit progressivement, bien au-delà de la coupe de cheveux, du rasage, des saignées et du perçage des abcès : blessures superficielles, luxations, fractures, hernies , traitement des dents, cautérisations, obstétrique …

Au milieu du 13ème siècle, Ils se constituent en corporation (guilde) pour accroître leur prestige et se dissocier des charlatans . Leur formation est assurée par plusieurs années d’apprentissage, et pour la chirurgie, au sein de collèges indépendants des facultés de médecine.

Et les barbiers qui opèrent à la Cour deviennent des personnages importants ; préposés en quelque sorte à la toilette du Roi, ils sont leurs confidents. Le bon roi saint Louis avait « son » barbier ; Olivier le Daim fut un vrai « compère » pour Louis XI ; un autre devint ministre du roi de Suède !

Au 16ème siècle, Ambroise Paré commença par couper les barbes, puis, engagé dans l’armée du maréchal de Rohan, il y effectua comme ses confrères des interventions chirurgicales . Très doué, il acquit une habileté extraordinaire et des connaisances très étendues en anatomie ; en 1545, il publia le premier traité de médecine, – sur « les plaies faites par les arquebuses »  -, …en français, car il n’avait pas appris le latin. Mais la Faculté continua à mépriser le travail manuel des chirurgiens –barbiers.

Il fallut attendre 1723 pour qu’une « Déclaration royale » consacre la séparation des 2 métiers de barbier et de chirurgien, exige de tous les « maîtres-chirurgiens » le grade de maître-ès-arts obtenu en Université, et interdise aux barbiers d’exercer la chirurgie ! Et en 1803 seulement, le chirurgien devient « docteur en médecine spécialisé en chirurgie »…

Notre curé de Monteluot , en 1600, n’appartenait à aucun échelon du corps médical de l’époque : ni barbier, ni chirurgien, ni médecin !

Soignant malgré tout de nombreux malades avec un certain succès, il est attaqué pour « exercice illégal » par la corporation des maîtres-chirurgiens d’Auxerre.

Il se rend donc chez un notaire d’Auxerre, lui raconte son histoire, et lui demande de recueillir et d’authentifier une quinzaine de témoignages de patients satisfaits de ses soins.

C’est le texte du notaire que nous avons sous les yeux…Nous sommes dans l’étude notariale  ; le curé BROTHé fait part de son problème .

Un peu plus loin, (page » notion de paléographie ») nous reproduisons les 15 premières lignes du manuscrit original (chaque page contient de 25 à 30 lignes), en les faisant suivre de la transcription ci-dessous reproduite respectant syntaxe et orthographe mais utilisant les signes littéraux actuels.

« Le vendredy troisiesme jour du moys de Janvier mil six cens troys avant midy devant nous … Daulmoy et Loup Horry notaires tabellions royaulx gardenottes hereditaires au bailliage Siège présidial et prevosté d’Aucerre soulzsignez s’est adressé vénérable et discrette personne messire Edme Brothé prestre curé de Monteluot, lequel nous a dict qu’il est travaillé et poursuivi à la requeste des lieutenant et maistres chirurgiens et barbiers de ceste ville d’Aucerre pour raison de quelques cures qu’il a faictes tant en ceste ville que autres lieux, de plusieurs dislocations, fractures dos et menbres, jalissements ( ?) de nerfs et autres infirmitez dont plusieurs personnes estoient atteinctes et détenuz malades, et parce que ce qu’il en a faict a esté à grandes instances, prières et suplications sans aucun lucre ny proffit, mais par charité et amour crestienne envers les pauvres malades… »

Après l’introduction reproduite ci-dessus, le curé ajoute qu’il s’est souvent déplacé pour se rendre chez les malades « ès lieux où il estoit mandé », « ne voulant déceler ny cacher la science de laquelle il a pleu à Dieu le dhoner », et travaillait jour et nuit sans demander aucun salaire.

En général, les patients avaient déjà consulté, sans résultat, les « chirurgiens » d’Auxerre ; ceux-ci les ont « veux, visitez et medicamentez » , (« veuz » pour « vus » ; « visitez » pour « examinés »…) puis les ont « quictez ny pouvans apporter guarison »…

Pour conforter sa défense, Brothey demande au notaire d’entendre sous serment (« oyer ») et d’interroger des malades qu’il a soignés.

La transcription des 37 pages effectuée, nous ne retiendrons ici qu’un résumé des témoignages successifs, en ne laissant pas échapper la saveur des mots et des expressions caractéristiques de l’époque…

Le premier cité, « en la maison du prieuré de St Eusèbe », s’appelle Simon REGNAULT ; il est « drappier drappant demeurant à Aucerre », « agé de xl ans ou environ ». ( « xl  » signifie 40comme les chiffres romains en majuscules « XL »). Trois ou quatre ans avant, « pour la veille du dimanche gras, il se rompit le bras senestre ensemble l’os mauplat de l’espaulle et la nuque en tombant sur la glace aux faulx bourgs St Gervais ». Il fait appel à un Maître chirurgien d’Auxerre, RAGON le Jeune, qui, – écrit le notaire au conditionnel, car il s’agit d’un récit, et non d’un fait constaté par lui-même -, « l’auroyt pensé (= pansé) et médicamenté des dictes fractures et blessures environ quinze jours » . Mais, constatant « qu’il ne se guarissoit et estoyt toujours detenu gisant sur le lict sans pouvoir s’ayder », il dit au chirurgien « qu’il ne pruit plus la peyne de le penser et médicamenter »…Et ce n’est que le « mercredy d’après la feste dePenthecoste qu’il auroyt entendu que le dict Brothé demeurant à Monteluot, distant de ceste ville d’Aucerre de huict lieues, estoyt fort expert pour la guarison de telles fractures ». Le même jour , il se fait transporter chez le curé Brothé ; celui-ci « auroit faict tel soin et cure que dans quinze jours après , le dit déclarant auroyt esté guary des dictes fractures et auroyt commancé à travailler »…Pendant son séjour il a vu plusieurs « pauvres malades et impotentz » que Brothé « nourissoyt et médicamentoyt », « pour l’honneur de Dieu » , c’est-à-dire sans les faire payer !

Il ne demanda rien non plus au drapier , et celui-ci ne lui donna rien d’autre que deux « escus qu’il bailla volontairement »

Pour conclure, le dit REGNAULT déclare qu’il se porte bien depuis ce temps-là…

ð A propos de la famille RAGON : dans les registres paroissiaux d’un autre village du Vézelien, Brosses, on trouve le 8 octobre 1678, l’acte de sépulture de Mr Pierre RAGON, 70 ans, lieutenant des chirurgiens du bailliage d’Auxerre,

en présence du curé de Brosses, fils du défunt, et de Me Guillaume COLLAS, curé de Montillot.

Ensuite vint Claudine REGNAULT, âgée de 54 ans, servante au prieuré de St Eusèbe .

« Au moys d’octobre de l’an passé, allant porter la paste (= pâte) au four, elle tomba du hault en bas de la vis (=escalier à vis) de la ditte maison , de laquelle cheutte (=chute) elle se seroyt gravement blessée, desmis ung des os de l’espine du dos et deux costes (=côtes) » .Ayant appris que le dit Brothé était justement à Auxerre, traitant la femme du « grenetier » Gaspard LEPRINCE, «  elle l’auroyt mandé et requis de la soulager », ce qu’il a fait ; « lesquels os remis en leur place », et partie sans rien payer, elle se porta bien par la suite…

Nous avons ensuite le témoignage de Dame Anne LECLERC, « femme de honete homme Messire Gaspard Leprince, grenetier pour le Roy,…et Maistre particulier sur le faict des eaues et forestz du Conté et Bailliage d’Aucerre » . Agée de 25 ou 26 ans, elle déclare que le samedi 7 septembre précédent ( 1602 ), « estant aux champs dans une cherrette venant d’un lieu à elle appartenant, proche de ceste ville d’Aucerre, le cheval qui estoyt en lymons …se seroyt mis à ruer fort rudement, desquelles ruades elle auroyt esté attaincte et offencée, en telle sorte que l’os pubis et l’os appelé l’oisquion auroyent esté rompus ». Elle précise que ce sont les chirurgiens qui lui ont appris ensuite le nom de ces os…Mais ce n’est pas tout : elle a voulu se sauver en sautant de la charrette, et celle-ci, traînée par le cheval furieux, lui est passée sur le corps, « et luy auroyt brisé l’os sacron et desmis les deux anches ( = hanches) » .

Revenue dans sa maison, elle fait venir deux chirurghiens d’Auxerre, « Me Jehan RAGON l’esné et Me Jehan RAGON le Jeune » ; ils ordonnent « une medecyne,…deux suppositoires, …des clistaires », sans le moindre effet : « tout ce qu’elle mangeoit resortoyt de son corps ». Les chirurgiens disaient qu’elle n’avait plus qu’un jour à vivre ; son mari étant absent, ce sont ses parents qui décident de faire appel à Brothé. En la voyant celui-ci se rend compte du danger, mais notre brave curé de Monteluot fut très gêné et « feit grande difficulté de mestre à elle la main » …dans la région pubienne ! Supplié par tous les proches, il se décide enfin, et «  trouve qu’elle auroyt le dict os sacron brisé et enfoncé, lequel os bouchoit le conduit en nature »; il lui fallut plusieurs séances pour tout remettre en place, mais la patiente se sentit bien remise, et elle « croy sertainement que sans l’ayde de Dieu et du dit Brothé », elle n’en serait pas là !

Le curé ne lui a demandé aucun « saillaire » ,… « et se seroyt contanté de ce qu’elle luy auroyt volu donner »… « et plus n’a dict »… « et a signé » …

Suit un témoignage reçu en la maison de Messire Simon Brouard: «  honeste homme Pierre Nigot, marchant demeurant à Aucerre aagé de soixante-quatre ans, après serment par luy faict et enquis comme les dits cy-dessus declarans », « a dict que trois ans y a ou envyron », sa fille Edmée NIGOT, âgée de 14 ans, « estant en sa maison, seroyt tombée de dessus une eschelle, de laquelle cheutte elle se desmit la joincture du coulde du bras droict ». Les deux chirurgiens RAGON ont été appelés, «  la veirent et la visitèrent ». Après avoir été « pensée (= pansée) et médicamentée » par eux « par l’espace de troys moys et demy sans partir du lict » , on se rend compte «  qu’elle ne venoyt à guarison » …Les chirurgiens renoncent et disent à « l’ayeulle de la dicte fille »… « qu’elle ne pouroit à l’advenir s’ayder (= se servir) de son bras ny le porter plus hault que la ceinture »… C’est le Sieur de Moly, qui conseille à l’aîeule d’aller à Monteluot : le curé Brothé a remis en place la jointure du coude, après quoi la jeune Edmée pouvait «  s’ayder de son bras, le mettant librement sur sa tête » . Le père a seulement payé la nourriture de sa fille, et le curé n’a rien demandé d’autre…

Edme BROCQUET, maître taillandier à Auxerre, âgé de 49 ( xlix ) ans, aux vendanges dernières, « a porté sur ses espaulles une tyne ( = un baquet ) plaine de vin, en se baissant pour la vuyder, se seroyt desmis l’espaulle ». Il a souffert pendant 15 jours et a appris que le curé de Monteluot était en ville, et qu’il « estoyt fort expérimenté en tels accidents ». Celui-ci constate que « c’estoyt le palleron de l’espaulle qui s’estoit disjoinct dans le bras », et lui remet « les dits os desmis en leur lieu ». Le patient déclare que « depuis n’en a senty douleur », et qu’à son bienfaiteur il fit « present d’une petite serpette » … « et plus n’a dict et a signé »…

Pierre LESAGE, « couroyeur demeurant à Aucerre, aagé de 53 ans », … « deux ans y a, seroyt tombé en la cave de sa maison delaquelle cheutte il se seroyt froissé le corps ». Il a consulté Edme Laurent , lieutenant des maîtres chirurgiens , « qui l’auroyt visité, pensé et médicamenté par l’espace de deux moys », et sur son avis, il en appelle à Me Nicolas Bazière, docteur en « medecyne demeurant en ceste ville ». les praticiens le déclarent «  guary des dictes fractures », et pourtant «  il ne pouvoit respirer ny travailler comme il faisoyt auparavant ». Deux mois plus tard, toujours «  gisant malade » , il a la visite du Sieur de Moly, qui lui conseille de se « transporter par devers le curé de Monteluot ». Celui-ci «  trouva que le dict déclarant avoyt deux costes disjoinctes et rompues , lesquelles il remeit en leur lieu sans aucune incision »… En remerciement , le patient « luy auroyt baillé ung escu combien qu’il en méritast six fois autant »…

Nicolas SELLYER est maître charpentier à Auxerre, âgé de 63 ans environ ; il y a 12 ans, « eslevant une gallerie de son estat de charpentier ès la maison de Me Guillaume Dupuys, chanoyne demeurant à Aucerre, seroyt rompu ung aiz ( =ais : planche de bois) soulz ses piedz » … « il seroyt cheut et tombé sur ung duallage de cave de holteur de quinze pieds » et « se rompit la joincture de la main gauche ». Le chirurgien Ragon lui met un cataplasme sur la main. Mais « voyant le dict déclarant qu’il ne s’advéroit pas guari et qu’il en enduroit beaucoup de douleurs », il suivit le conseil de Me Edme Bargède, conseiller du Roy au Bailliage , qui «  luy bailla advis de s’adresser au dict curé de Monteluot ». Celui-ci « l’ayant veu et visité luy auroyt remis la dicte joincture desmise ». « et ne luy bailla le dict déclarant aucune chose » bien que le curé l’ait reçu, soigné, couché une nuit «  et luy feit bonne chère »…

Michel COTTEREAU, 35 ans, marchand à Auxerre, raconte qu’à l’époque des dernières vendanges , «  il appareut qu’une sienne petite fille aagée de deux ans, estoyt offencée au corps aiant une grosse bosse sur le col qui luy faisoyt baisser la teste ». Ayant appris la présence d’Edme Brothé chez Me Gaspard Leprince, le déclarant le prie de venir voir sa fille : notre curé « auroyt tellement travaillé de ses mains qu’il auroyt remis la dicte espaulle disjoinctée en son lieu sans aucune fracture ny incision », et il ne voulut accepter que15 sols !

« Vénérable et discrette personne Messire Estienne MARTIN prestre curé de Goix les St Bris prez Aucerre » , âgé de 42 ans, raconte que 3 ans auparavant, en mars, « luy estant à genoux en l’église de St Bris, se relevant et aiant le pied endormy, seroyt tombé sur le pavé de la dicte église et se seroyt rompu les deux soucilles ( ?) de la jambe senestre et les os esclattez, tellement que sa jambe estoyt en grande difformité et seroyt evanouy ès la place ». Jehan Gouverneur, le chirurgien de St Bris lui met un « premier appareil », et fait appel à Jehan Ragon le Jeune. Tous deux lui ordonnent de garder le lit six semaines «  sans se lever ny manier sa jambe ». Ce délai expiré, l’appareil est enlevé ; la jambe est déclarée guérie, mais il faut patienter encore 3 semaines. Ragon revient alors et constate qu’il n’y a pas d’amélioration, dit qu’il ne peut rien faire de plus et ne reviendra pas ! Le chirurgien de St Bris continue ses médicaments, mais sans plus d’effet ; le pauvre curé ne se soutient qu’avec deux « potances » . Il exige un examen complémentaire de Ragon l’aîné et de Me Nicolas Bazière, docteur en médecine. Ils sont tous d’accord pour affirmer « qu’avec le temps il se porteroyt bien » . Au bout de 3 semaines encore, « congnoissant qu’il ne se portoit mieux qu’auparavant » , et ayant entendu parler du curé de Monteluot, il le fait prier « de le venir veoir ».Brothé le fait « transporter ès sa maison de Monteluot », et «  par son soin, cure et diligence, l’auroit tellement traicté et pensé par l’espace d’ung moys, qu’il l’auroyt rendu guary, marchant seulement avec un petit baston ». Lasuite du témoignage est édifiante : « durant lequel moys qu’il fut èz la maison du dict Brothé, il y a veu environ soixante ou quatrevingtz pauvres gens malades et impotens, les ungs des bras, les aultres des jambes ou du corps » et Brothé « nourissoyt et iraictoyt la pluspart pour l’honneur de Dieu »…

Denis de DROUARD, écuyer, seigneur de Curly, âgé de 50 ans, raconte que, trois ans auparavant, faisant abattre un vieux bâtiment à Bleigny, «  fortuitement le dict bastiment seroyt tombé et tué le charpentier qui l’abbatoyt et le dict déclarant accablé soulz plusieurs pièces de boys, qui luy auraient rompu le corps et le bras ». Les chirurgiens d’Auxerre le soignent quinze jours ; les plaies guérissent, mais le bras, l’épaule et les côtes ne sont pas réparés. Il se fait donc conduire « ès lieux de St Mars et Vauchassy proche Troyes » auprès de personnes censées capables de le guérir. Mais aucune amélioration n’étant obtenue, il « se seroyt retirez ez sa maison attendant plustost la mort que la vye ». Allant à Auxerre pour faire son testament, il entend parler du curé Brothé…Il se fait transporter à Monteluot, où il est soigné pendant un mois. Lui aussi a constaté la présence d’autres personnes impotentes : « il auroyt veu que le dict Brothé auroyt pensé treize personnes de plusieurs dislocations et fractures d’os, sans qu’il ayt veu demander aucun sallaire, et croyt qu’il en pensoit beaucoup pour l’honneur de Dieu ». Pour son propre cas, « le dict Brothé ne luy a demandé aucune chose, aussy ne luy a il rien donné » !« Honeste homme et sage » 

Me Estienne SOTHYNEAU, raconte que , 7 ans auparavant, sa petite fille de 4 ans , à la suite d’une chute, avait une hanche « mesmise », de sorte qu’elle « clochoit et marchoit avec grande difficulté » . Ayant eu connaissance des capacités de Brothé, il l’a envoyée à Monteluot « neuf sepmaines enthières avec une sienne nourice » . A son retour, « elle avoit le mouvement de ladicte hanche beaucoup plus libre qu’auparavant et sans aucune douleur sy bien qu’elle marchait aisément et sans clodication ». Bien qu’il ne fut pas présent, il pense que c’est la conséquence du traitement de Brothé. Il signale que celui-ci ne lui a demandé aucune rétribution, aussi bien pour la cure que pour la nourriture de la fillette et de sa nourrice…

Jehan LAURENT l’aîné, marchand âgé de 68 ans «  a dict que 14 ans y a ou envyron, s’en allant le soir à la garde, seroyt fortuitement tombé par terre, duquel accident il se desmit l’os de l’espaulle droicte ». Il fait venir chez lui une femme que l’on appelait « la Fauvelette » ; comme elle n’a pas réussi à le soulager, il appelle Me Ragon, lequel le soigne quinze jours, sans qu’il puisse se servir de son bras. Sur avis du conseiller Bargède, il fait venir Brothé, qui lui dit que « le dict os estoyt hors de sa boiste », et ne veut travailler qu’en présence du Lieutenant des maîtres chirurgiens de la ville, Me Edme Laurent. Il installe une échelle dans la maison, place le bras blessé sur un bâton avec des serviettes, une « escabelle » sous les pieds, retirée ensuite, pour que le patient reste suspendu « par dessoulz les bras » ; Brothé tire alors sur le bras offencé pour luy remettre en son lieu le dict os ». Et le déclarant « se seroyt toujourz bien porté de depuis ». Aucun prix ne lui fut demandé ; il aurait donné «  ce que bon lui auroyt semblé »…

Jehan LEFEBVRE, laboureur à St Georges, âgé de 53 ans, à la St Jacques en juillet précédent «seroyt tombé de dessus ung prunyer à cause de laquelle cheutte il se mesmit la noix d’une hanche et offencea fort en telle sorte qu’il ne pouvoit marcher qu’avec potences ». Il a consulté successivement deux guérisseurs qu’on lui a recommandés , mais sans résultat. Ayant ensuite appris que le curé de Monteluot était de passage à Auxerre chez le grainetier Leprince, il « se feit conduire en une cherrette en ceste dicte ville ». Brothé «  l’aiant visité trouva laditte noix de la hanche gauche desmise de sa place »,… « luy remit en son lieu », et « le conforta y mettent la main avec cataplasmes sans incision ny fracture, en telle sorte qu’il en est bien guary, et ne luy donna aucune chose parce qu’il ne luy demanda rien » !  Il lui a néanmoins fait entendrequ’il était pauvre et chargé d’enfants…

Nicolas MONOT est un vigneron demeurant à Nangy-sous-bois, 50 ans ; « luy et sa femme estans a travailler aux vignes pour des habitans de ceste ville d’Aucerre », leur fils de 13-14 ans et leur fille de 4 ans attendaient sur le pont de l’Yonne . « Fortuitement, seroyt tombé sur son dict fils ung quartier de pierre des courtines et gardefoux du dict pont, duquel coup il auroyt eu la main droicte rompue et brisée ». C’est l’hôtesse de « l’Escu de France », pour qui le déclarant travaillait habituellement, qui a emmené l’enfant chez le chirurgien Edme Laurent ; celui-ci étant absent, c’est son serviteur qui «  auroyt couzu deux ou troys poincts sur la dicte main et pensé et médicamenté icelle ». Le lendemain Nicolas retourne avec son fils chez le chirurgien ; il ne trouve que sa femme et son serviteur à qui il demande les soins nécessaires.. La femme « luy auroyt faict response que ledict déclarant estoyt pauvre, le congnoissoyt bien, et n’avoit moien de faire guérir son enfant, et qu’il eust à le mener à l’hospital de la Magdelaine, où on le traicteroyt pour l’honneur de Dieu, cause qu’il se retira plorant avec son dit fils ». C’est en revenant à sa maison qu’il rencontra Edme Brocquet, taillandier, qui lui conseilla d’ « aller vers le prestre de Monteluot soulz Vézelay » , ce qu’il fit . Le curé lui dit que son enfant «  avoyt la main cassée et brisée et qu’il auroyt besoin d’y remédier promptement, ce qu’il auroyt faict et vacqué à penser et médicamenterson dict fils par l’espace de dix-sept jours durant lesquels son dict fils auroyt esté ez la maison du dict curé ». Quand il revient le chercher , il constate que l’enfant se sert bien de sa main ; le curé lui « baille une emplastre pour mettre dessus » et ne demande rien à son père pour paiement des soins et de la pension des 17 jours ! Celui-ci lui remet seulement un « goujat » ( une gouge ?) « que luy auroyt baillé le taillandier »…

Blaise FOURRELET, 55 ans est vigneron à Quesne ; il témoigne devant les notaires le mardi 18 février 1603 : le 3 janvier précédent, jour de la St Sébastien, il est tombé sur la glace, et s’est « desmis la joincture du bras gauche »…et «  en enduroit de grandes douleurs ». Pendant 15 jours Messire Edme Laurent le soigne,…sans résultat. Il est allé consulter le curé Brothé, qui « l’auroyt veu et visité et remis les os du dict bras en leur lieu, et depuis s’est bien porté »…

Que dire de ces 15 témoignages ?

D’abord que notre curé possédait un savoir-faire indéniable . Acquis comment ?

Probablement comme les autres rebouteux de nos campagnes : par tradition familiale, transmise depuis la « nuit des temps » !

Nous n’avons pas là des procès-verbaux marqués de rigueur scientifique ; mais tous ces témoins ne croient pas au miracle ; seuls l’habileté et l’instinct conduisaient les gestes qui les remettaient sur pied …et « les os en leur lieu » !

Bien sûr, les praticiens « officiels », – chirurgiens et médecins -, sont ridiculisés . Mais Molière nous confirmera cette situation quelques dizaines d’années plus tard, en raillant ces Diafoirus dont la suffisance n’avait d’égale que l’ignorance , et en faisant énoncer au bachelier – candidat – médecin, dans un latin « macaronique » , la recette de base pour les soins : « clysterium donare, postea seignare, ensuitta purgare » !

Plusieurs questions se posent :

– de quelles ressources disposait le curé, lui permettant d’héberger certains patients plusieurs semaines ?

– où habitait-il dans le village ?

– quelle fut la décision des juges ?

Pas de réponse aujourd’hui : nous fouillerons encore les archives…

Mais de ces récits si simples, si éloignés de tout souci littéraire, il nous reste une série d’images, saisissantes de réalisme, de la vie quotidienne dans notre région, …il y a 400 ans !  Nous imaginons facilement :

…le drapier qui, « la veille du dimanche gras », tombé sur la glace dans le quartier St Gervais, doit rester plusieurs semaines « gisant sur son lit ».

…la servante du prieuré de St Eusèbe, qui tombe de l’escalier à vis en allant « porter la paste au four ».

…la jeune femme du grainetier, dont le cheval s’emballe , la charrette lui passant sur le corps et lui écrasant le bas-ventre, son retour à Auxerre, – probablement dans la même charrette -, et l’embarras du brave curé devant la blessure !.

…la petite Edmée, tombée d’une échelle et le coude démis, obligée de rester 3 mois au lit .

…le taillandier-vendangeur qui, portant sur le dos une « tine » pleine de vin, se penche pour la verser et se déboîte l’épaule ; comme paiement, il donne au curé une serpette de vendange.

…le charpentier qui, dans la maison du chanoine, tombe d’un échafaudage.

…le curé de St Bris, qui a prié si longtemps à genoux qu’il est ankylosé et que ses jambes cèdent quand il veut se relever.

…le Sire de Curly, hobereau avare, qui, soigné et hébergé pendant un mois, ne donne rien au curé, sous prétexte qu’il ne lui a rien demandé !

…le laboureur de St Georges, qui tombe d’un prunier et se déboîte la hanche.

…le vigneron de Nangy, chassé par la femme du chirurgien parce qu’il est trop pauvre, et qui s’en va en pleurant, tenant son fils par la main…

Et surtout cet extraordinaire défilé – plusieurs dizaines pouvaient être présents simultanément d’après un témoin -, de tous ces éclopés ( comment ne pas évoquer, comme H.Forestier, la série des « gueux » de Jacques CALLOT, graveur et peintre de cette même époque ?), qui, les uns en charrette, les autres sur leurs béquilles, se dirigeaient vers ce village des confins du Morvan, Monteluot sous Vézelay, pour consulter ce brave curé, dont nous imaginons la robuste silhouette et l’attitude débonnaire…

Si par hasard, dans un « terrier » (cadastre de l’époque), nous retrouvions la trace de sa maison, ne serait-il pas juste qu’au coin de sa rue, une plaque du 21ème siècle rappelle aux passants «  Edme BROTHEY, curé de MONTELUOT (15..-16..), rebouteux renommé et homme de bien » ?…

Bibliographie

– Archives départementales de l’Yonne (A.D.Y.) : 3 E 7 – 21.

– «  Lire le français d’hier. Manuel de paléographie moderne (15ème au 18ème siècle) » de Gabriel Audisio et Isabelle Bonnot-Rambaud – Armand Colin – 1994.

– «  Pour lire l’ancien français », de Claude Thomasset et Karin Ueltschi – Nathan Université – 1994

– « Mémento de Paléographie généalogique » de Pierre-Valéry Archassal ; chez Brocéliande, 7bis rue César Franck, 75015 Paris.

– « Dictionnaire des vieux métiers » de Paul Reymond, chez Brocéliande.

– Revue « La France pittoresque » – Rubrique « métiers d’hier et d’aujourd’hui ».

– « La littérature médicale française hier et aujourd’hui », par le Professeur Yves Bouvrain – « L’espace culturel » / Bibliothèque du ministère des Affaires étrangères.

ANNEXES

L’article ci-dessus a été récemment publié dans le bulletin généalogique de l’Yonne, en fin 2002, avec ce complément, établi par Robert Timon, authentifiant les évènements relatés. 

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