d’après Pierre Nouvel, Maître de conférences, archéologie de la Gaule romaine, Université de Franche-Comté, université ouverte, Montbéliard, 4 avril 2013
Alésia et Alise Sainte-Reine: un site qui conserve une tradition historique importante le liant à la bataille entre César et les gaulois
I- les lieux
Alise Sainte-Reine, que les inscriptions et les textes médiévaux appellent Aliisia ou Alesia, est une agglomération antique typique du nord-est de la Gaule. Cette ville a fait l’objet, au même titre qu’une dizaine d’autres de la région (Mâlain, Mandeure, Besançon, Vertault, Autun, Bibracte etc.) d’études archéologiques intenses qui permettent :
- De préciser son parcours depuis sa création (vers 110 / 100 avant notre ère[av n-e]) jusqu’au haut Moyen-âge
- De comprendre son organisation interne et la localisation des principaux monuments qui la composent. Il s’agit bien, comme la plupart des villes antiques de cette région, d’une agglomération d’origine gauloise, en l’occurrence une ville fortifiée sur une hauteur (un « oppidum »). Cette agglomération révèle une évolution progressive des modes construction qui indique une romanisation assez rapide à partir de l’époque augustéenne, aboutie à la fin du Ier siècle av n-è. C’est donc une ville… comme les autres.

Inscription (C.I.L. XIII, 2880) trouvée en 1760 à Alise Sainte-Reine, (100 ans avant la polémique, inscription en gaulois que l’on ne pouvait alors comprendre…): Martialis, fils de Dannotalis a donné cette crypte (?) pour Ucuetis, avec (et/ou pour ) les forgerons qui façonnent [la statue d’] Ucuetis à Alisiia

Pline l’Ancien (23-79)
Histoire naturelle : « Selon une invention gauloise, le plomb blanc est appliqué à chaud sur des objets en bronze, de telle sorte qu’on peut difficilement distinguer cela de l’argent (…) ; dans l’oppidum d’Alésia, on s’est mis plus tard à appliquer également de l’argent à chaud par un procédé analogue, surtout pour les harnais des chevaux, des bêtes de somme et des attelages. »

Des sources historiques signale qu’Alise-sainte-Reine est l’oppidum où a eu lieu la bataille (oppidum qui dicitur ALESIA : mentions durant tout le Moyen Age…).
II- La localisation du site de la bataille d’Alésia
Jusqu’au milieu du XIXème siècle, la localisation de ce site ne pose aucun problème aux érudits. Mais Napoléon III, empereur des français entre 1852 et 1871 est féru d’histoire. Il veut écrire un grand ouvrage sur Jules César, son idole « Histoire de Jules César, 1865-1866 « . Pour cela, il va mettre en action les services de l’état pour repérer et fouiller les sites de la Guerre des Gaules.

C’est tout naturellement, suivant la tradition populaire, qu’il intervient à Alise sainte-Reine.
Mais il fait une grave erreur : l’exploitation politique de l’épisode d’Alésia par le second Empire.

L’intérêt du site archéologique d’Alise-sainte-Reine a conduit, en 1990, plusieurs universités (françaises et allemandes) à développer un nouveau programme commun d’étude:
- Reprise de l’étude du mobilier trouvé lors des fouilles anciennes.
- Etudes des données nouvelles offertes par la prospection.
- Mise en œuvre de fouilles de vérification à grande échelle.
- Publication.
Ce programme, mené à bien par Michel Reddé et Siegmar Von Schnurbein, s’est étendu sur les années 1991 à 1997.

Orientations bibliographiques :
- Reddé, Michel, dir. ; von Schnurbein, Siegmar, dir. – Alésia : fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du Mont-Auxois (1991-1997). Paris : Diffusion de Boccard, 2001. (Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; 22).
- Reddé (Michel) – Alésia, l’archéologie face à l’imaginaire, hauts-lieux de l’histoire, Errance, Paris, 2003, 209 pages.
- Reddé (Michel) Von Shnurbein (Siegmar) – Alésia et la bataille du Teutoburg, un parallèle critique des sources, Thorbecke, 2008, Institut historique allemand, Paris (Beihefte der Francia, band 66), 345 pages.
- Goudineau (Christian) – Par Toutatis ! Que reste-t-il de la Gaule ? Paris, Le Seuil, 2002.
- Goudineau (Christian) – L’année terrible, L’archéologue, hors série n°1, 1998.
- Goudineau (Christian) – Le dossier Vercingétorix, Paris, Actes Sud/Errance, 2001.

Les témoins de la présence des auxiliaires germaniques mentionnés par César , mais aussi les témoins de la présence de légionnaires italiques, et quelques arguments épigraphiques qui indiquent que cette bataille fut menée par des troupes de l’armée césarienne …
Ce qui a conduit l’ensemble des archéologues français et étrangers à considérer que tout concoure pour voir dans ces vestiges de bataille, datés du milieu du Ier siècle avant notre ère, autour d’une ville gauloise qui s’appelle Alesia, ceux décrits par César dans la guerre des Gaules.
III- Ce consensus est cependant l’objet d’une polémique passionnée dans le grand public
Les origines de la polémique :
- Différent politique à la suite de l’effondrement de la France lors de la guerre franco-allemande de 1870-1871.
- Développement des recherches locales et des sociétés savantes : elles veulent valoriser leur patrimoine local.
- Développement des micronationalismes (folklore et régionalisme).
- Vieille opposition culturelle entre Bourgogne et Franche-Comté.
De multiples sites concurrents sont inventés en Franche-Comté et ailleurs, en s’appuyant sur deux arguments :
- La toponymie (Alaise dans le Jura, Alès dans le Gard, …)
- Sur les descriptions géographiques imprécises de César, en particulier sur une discussion du texte mentionnant le passage des troupes « in finibus lingonensis » (aux confins ou à travers le territoire des Lingons en direction des ou chez les Séquanes). = polémique sur les textes car les données archéologiques ne sont pas maîtrisées par les antagonistes
- De même, pour les descriptions topographiques de César sensées ne pas correspondre aux environs d’Alise-Sainte-Reine.
… Pline… IIème siècle de n-e … Constance de Lyon …Vème siècle… Héric d’Auxerre… IXème siècle… Les érudits de la Renaissance… XVIème siècle… Des travaux archéologiques napoléoniens de premier ordre livrant le plan de fortifications d’époque césarienne…
… Ces découvertes auraient dû pourtant confirmer la localisation traditionnelle…
Le résultat fut totalement inverse. La plus grave erreur fut l’exploitation politique de l’épisode d’Alésia par le second Empire.
Depuis les années 1860, une polémique s’est développée, remettant en cause la localisation traditionnelle et jusque là consensuelle de la bataille d’Alésia. Se fondant sur des arguments tour à tour historique, géographiques, philologiques et irrationnels, toponymiques ou politiques, plus d’une vingtaine de sites concurrents ont été proposés…Une multitude de concurrents apparaissent, soutenus par des érudits locaux ou par des collectivités locales… Elles disparaissent ou apparaissent au gré des personnalités qui les défendent.
IV- Que César ait le dernier mot!
De Bello Gallico Ouvrage paru à Rome dès 50 av. n.-è. a 7 chapitres. Ce livre a été écrit au Mont Beuvray, durant l’hiver 52-51 av. n.-è. par César lui-même (sauf le dernier chapitre écrit en 52 par son second Hirtius) Son auteur a plusieurs buts :
- Magnifier l’action du général auprès de ses concitoyens.
- Faire entériner l’importance des moyens confiés à César : « l’ennemi était vraiment dangereux… »
- Valider la longueur de la conquête et des pertes subies : « le pays est riche et peuplé d’amis de Rome seulement si César s’en occupe »
- Répondre aux attendus des romains : valoriser leur civilisation et leur armée face aux « barbares » gaulois. Par conséquent :
- Les descriptions sont souvent déficientes car elles s’adressent à des lecteurs qui ignorent la topographie, les mœurs et la géopolitique locale.
- Les positionnement topographiques sont souvent vagues car César ne fait pas œuvre de géographe mais de reporter et de propagandiste.

Juin -52 : bataille de Gergovie. Défaite de César qui fuit en direction du nord
Il cherche à rallier les légions de Labienus qui remontent la Seine et l’Yonne, en reprenant au passage les bagages laissées à Sens (Agedincum) A cette date, César à perdu la partie. Il cherche à sauver ses armées et ses bagages en retraitant en direction de la province par la vallée de la Saône, à travers le territoire des Lingons, un des seuls peuples à lui être resté fidèle Vercingetorix tente de lui couper la retraite pour remporter une victoire complète… et rentable.
Vercingétorix, sûr de la faiblesse de César, cherche à détruire ses armées avant qu’il n’atteigne la Provincia. Il lance toute sa cavalerie alors que César remonte la vallée de l’Armançon (sud-ouest du territoire lingon) Il est défait et doit se réfugier non loin de là, dans un oppidum mineur : ALESIA Nous sommes dans les premiers jours d’août 52 av. JC
Dès les premiers jours, César impressionne ses ennemis en dévoilant ses capacités poliorcétiques… Mais en septembre, une armée levée dans les Gaules vient au secours de Vercingétorix. César est pris en tenaille.
Mise en place du dispositif tactique (d’après la description de César) :
- Installation des camps (CASTRA) + CASTELLA
- Lignes provisoires protection, puis :
- Construction de la ligne d’investissement = CONTREVALLATION
- Construction de la ligne arrière (/ armée de secours) = CIRCONVALLATION
Et des descriptions topographiques qui sont destinées à un public romain :
Une colline avec une ville…
Deux rivières et une plaine…
Des collines autour…
Vers le nord, une colline…
….mais cette configuration correspond à bien des lieux dans le centre est de la Gaule!
C’est de la conjonction de ces écrits, et des découvertes faites localement, que naissent les preuves, et l’on peut penser que la conviction des chercheurs archéologues, bâties sur des recherches multidisciplinaires et multinationales est au delà de tout débat politique, partisan, folklorique régionaliste … ou financier.
Une réponse sur « Alésia: un site qui n’est plus contesté »
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