R. M. Koutlidis 2020
Sous ce titre était publié un article de l’Yonne républicaine dans les années 1960. Mais on a beau chercher aujourd’hui, bien malin celui qui trouvera encore des champs de framboisiers dans nos plaines…

Pourtant Montillot s’est doté depuis une vingtaine d’années d’un emblème associant framboises, cerises et cassis qui figure sur le site internet de la mairie, les correspondances, les enveloppes personnalisées du village.
Mais d’où vient l’attachement à ces cultures que l’on cherche en vain alentours?
La culture des petits fruits et en particulier des framboises a eu à Montillot sa période de gloire, au point qu’on peut affirmer qu’elle fait partie de notre patrimoine. C’était à Montillot une institution qui a perduré du XIXe siècle jusqu’au développement de la mécanisation des terres cultivées, qui a conduit, remembrements aidant, à la suppression progressive des haies, des arbres, des vergers et champs de framboisiers disséminés alentours.
Que de mois d’Aout passés à cueillir, ensemble, tous les deux jours, des kilos et des kilos de framboises, réparties précautionneusement en barquettes autrefois de bois, puis de carton, puis de plastique, parfois décorées d’une feuille, pesées, comptées, évaluées, pour être transportées sur les marchés, ramassées par des transporteurs, déposées chez de gros « clients » …
La framboise… Une vieille légende raconte que Zeus, enfant, fit retentir les échos de la montagne de cris furieux à rendre sourds les génies démoniaques eux-mêmes, et Ida, la fille du roi de Crête, pour le calmer, lui cueillit une framboise ; jadis, toutes les framboises étaient blanches. La nymphe, s’égratignant le sein, teignit à jamais les fruits d’un rouge éclatant, dont Zeus dès lors se régala, les grapillant à la volée en gambadant sur les pentes du mont qui porte le nom de la nymphe. Le botaniste Carl Von Linné accrédita cette histoire en baptisant au XVIIIe siècle cette exquise baie du nom de Rubus Idaeus en souvenir de Pline l’Ancien (1r siècle ap JC) qui dans son « Histoire Naturelle » la mentionne comme très abondante sur le mont Ida en Grèce.
La ronce [1] elle-même semble provenir d’Asie, plus précisément du Caucase, d’où seraient parties ses différentes ramifications. Le genre Rubus s’est établi sur tous les continents (sauf l’antarctique), sous toutes les latitudes, depuis le cercle arctique jusqu’aux tropiques, et, se dispersant, s’est diversifié (couleurs, saveur) ; il existe environ 200 espèces de framboisiers et plus d’une centaine de ronces, sans compter les nombreuses variétés créées et sélectionnées par l’homme. Ces baies ont été les premiers aliments de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, bien avant les graines et les herbes. On a retrouvé des restes de mûres dans les plus anciennes habitations humaines d’Europe. C’est une plante sauvage que les tribus du mésolithique ont su apprivoiser et cultiver.
Les framboises sont donc probablement issues des zones montagneuses d’Europe puis initialement cultivées au mont Ida en Turquie et produites dès la renaissance dans les jardins familiaux. Les amérindiens fabriquaient une pâte consistant en framboises écrasées dans du miel qui, séchée, se dégustait pendant l’hiver. La même recette, quasiment, était utilisée au moyen-âge et à la renaissance, période pendant laquelle on raffolait de confitures et pâtes de fruits.
Et c’est au Moyen-âge qu’on la baptisa Brambusia.
En tant que plante cultivée, le framboisier est cité pour la première fois par l’herboriste anglais Turner en 1548. Olivier de Serres (1539-1612), illustre agronome, conseillait la pâte de framboise, « recherchée pour son odeur agréable ». Les lettres de noblesse du framboisier ne sont vraiment acquises qu’en 1629 lorsque Parkinson dans son ouvrage « Paradisi in Sole Paradisus Terristris » consacre un chapitre entier à « The Rapis Berrie » dont il décrit deux types, rouge ou blanc. En France, La Nouvelle Maison Rustique dans son édition de 1732 décrit déjà toutes les grandes lignes d’une culture qui a relativement peu évolué depuis. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la framboise est plutôt destinée à la fabrication de boissons ou de parfums.
La culture de la framboise ne se développa en Europe et en Amérique du nord qu’au XIXe siècle. Dès lors, elle fut considérée comme un fruit de table et consommée en grande quantité. La culture de la framboise reste cantonnée dans les pays du nord de l’Europe (Russie, Angleterre, Hollande), et en France on la cultive surtout en Alsace et en Lorraine, en Bourgogne, célèbre pour ses fruits rouges (et dans la région parisienne).
A Montillot la culture de la framboise se développe en effet depuis la fin du XIXe siècle. On a vu précédemment avec Pierre GUTTIN qu’un certain nombre de jeunes en âge de travailler avaient suivi l’exemple de leurs aînés et migré dans la région parisienne pour des travaux agricoles saisonniers. Ces « migrants » avaient alors appris de nouvelles façons de travailler, notamment sur les fruits, et les méthodes de vente. Ils ont ainsi commencé à greffer les arbres fruitiers (Félix Savelli (1872-1947) était selon Jean Demay passé maître dans cet art qu’il aimait partager) et à planter framboisiers, fraisiers, cassissiers et groseillers, qui se sont comportés à merveille dans la plaine de Montillot.
La plaine (lieux-dits La Plaine de la Chally, La Canne, Les Sablons) est la zone cultivée la plus proche du village, la plus plate ; datant géologiquement de la fin de l’ère tertiaire, elle résulte de l’accumulation d’alluvions argileuses et siliceuses très anciennes mélangées à des détritus rocheux. Elle s’est avérée propre à la polyculture pratiquée jusqu’au remembrement de 1967 : blé, orge, betterave, fourrages, fruitiers de toutes sortes. [2]
Le terroir a donné à nos framboises leur parfum recherché.
Après – guerre la vie rurale reprend pied lentement. Certains sont revenus « au pays » après la perte de leurs commerces, de leurs biens, ou pour accompagner des parents vieillissants. D’autres reprennent possession d’exploitations maraîchères exploitées par les femmes pendant les années de guerre.
Et non, contrairement aux souvenirs de Pierre GUTTIN[3], l’histoire ne s’est pas arrêtée là. La vie au village se réorganise et l’habitude est prise (re-prise) de vendre en commun au nom d’un syndicat qui écoulait au meilleur prix les produits vers des entreprises de transformation en gros. Quelques documents comptables qui ont échappé au naufrage des décès, successions et ventes nous sont parvenus. Les deux plus anciens datent de 1955.
Le premier est adressé au « syndicat des fruits de Montillot » le 20 juin 1955.
Il s’agit d’un contact avec la maison L’héritier-Guyot afin d’établir une collaboration pour la fourniture de cassis et éventuellement de framboises.

Cette maison fondée en 1845 est renommée pour sa liqueur de cassis et existe toujours.
Aucun document ne permet de documenter cette collaboration. On note cependant que la culture du cassis s’est ensuite intensifiée.
Le second document est daté du 7 juillet émanant du mandataire « DE LESTABLE », aux Halles centrales de Paris.

Il avait accompagné un bordereau de vente d’un premier envoi. Sans doute de bigarreaux ou de framboises puisqu’il est question au verso d’un deuxième envoi très attendu de cassis, en grandes quantité.
S’il existait déjà avant-guerre, ce syndicat des fruits était donc toujours très actif 30 ans plus tard.
Qui étaient les membres de ce syndicat et comment fonctionnait-il ?
Quelques notes éparses, hâtivement relevées sur un gros bloc de correspondance, certaines paraphées par l’entreprise DELFINO (fruits et primeurs, 23 rue du Docteur- Haulin 75017 Paris 17e) se succèdent tous les deux ou trois jours en juillet 1956 ; l’année suivante, 11 livraisons entre le 30 juin et le 28 aout.

Il s’agit de framboises.
Elles étaient comptabilisées en « billots » et bien que ce terme ne soit plus vraiment utilisé comme unité de volume, il est très probable qu’il s’agissait de « cageots », si l’on en croit le dictionnaire en ligne « savoir.fr. », (car la définition n’est pas simple à retrouver !!) Les vendeurs ne sont notés que par leur initiale.

Cette fois, l’entreprise Delphino est domiciliée 94 rue St Honoré à Paris 1r.
Entre temps divers courriers nous apprennent que Mr Delfino père est décédé, et que son fils a repris l’entreprise. Il n’y a plus de « billots », ni de « cageots », mais des « baquets » pour le « vrac » et des « cartons ».
Sur ce dernier document sont répertoriés des maraîchers qui, membres du syndicat, exploitaient et vendaient ensemble une grande partie de leur production. On y retrouve, ce 9 juillet-là, Pierre Guttin, Roger Mathé, Pierre Danguy, Georges Laurin, Marcelin Sautereau, Marcelin Mailleau, Gabriel Savelly, Roger Millereau, Rémi Trier, Roger Trier et Charles Savelly.
La plus grosse quantité de framboises est produite par Charles Savelly.
Ils étaient parfois plus nombreux, comme en témoigne cette livraison datée de 1960 :

On y trouve G. Morizot, G. Seurre, P. Ventenay, H. Mouchoux, Petit, G. Laurin, M. Laurin, et M. Laurin, Leplat, Beauchot, Daiguemorte, Eter, Guilloux, Champy, Defert, soit plus de 20 maraîchers, du village ou ses hameaux, s’associant selon leurs cueillettes, avec 10 à 20 récoltants par jour.
Des documents plus récents, datés de l’été 1962 répertorie les ventes en fonction de la production et des producteurs.



On apprend ainsi que tous n’avaient pas les mêmes cultures.
Seul Gabriel Savelly œuvrait sur les trois fronts. Parmi eux, deux vendaient framboises et cassis ; trois framboises et bigarreaux ; quatre bigarreaux et cassis ; treize seulement du cassis, un seulement des framboises et un seulement des bigarreaux. La production de framboises à cette date avait été assurée par Maillaux, Guttin, Seurre, Savelly G., Morizot, et Trier R. Ces trois derniers assuraient aussi la production de cassis, avec Danguy, Ventenay, Mouchoux, Moreau, Laurin Georges, Laurin Mary et Laurin Marcel, Leplat, Beauchet, Sautereau, Daiguemorte, Savelly G., Landa, Trier R., Eter, Guilloux, Champy. Enfin, la production de bigarreaux était assurée par Maillaux, Guttin, Savelly G., Danguy, Ventenay, Mouchoux et Petit.

Cette exploitation en commun permettant la vente en gros, a perduré jusqu’au milieu des années 60, environ, et n’a sans doute pas résisté longtemps au premier remembrement (1967).
L’âge avançant, l’exploitation qui n’était pas reprise par de plus jeunes et la mécanisation des cultures ont sonné le glas de ce travail en commun. Bien sûr certains ont continué, bon an mal an, avec la vente sur les marchés d’Avallon et Auxerre ou même à quelques clients privilégiés. Un article de l’Yonne républicaine, datant du début des années 70 rappelle l’attachement du village à cette culture.
L’exode rural, vers des villes plus aptes à proposer des emplois à des jeunes fuyant un mode de vie qu’ils ne recherchaient pas, à des diplômés ne trouvant pas leur place loin des villes, l’industrialisation des campagnes, les remembrements successifs (en 1967, en 2002) sont venus à bout de ces parcelles de cultures maraîchères et fruitières morcelant nos plaines et qui ne sont plus que des souvenirs.

Alors… peut-être préfère-t-on avoir le souvenir de …cela:

plutôt que d’avoir vu apparaître et se multiplier … cela:

« Nos » framboises, cultivées en plein champ, en terre légère et fraiche, furent produites en quantité suffisante pour être non seulement vendues au détail sur tous les marchés environnants, mais aussi collectées et livrées en commun par un syndicat créé dans les années 20 à des entreprises de transformation en gros. Les distillateurs de Dijon la recherchaient, un restaurant gastronomique proche proposait une « feuillantine aux framboises de Montillot » …
Le souvenir que l’on en garde est assez précieux pour en avoir fait le symbole du village, et pour que le désir de reprendre cette culture soit exprimée, envisagée même, si l’on en croit le rapport de la CCAVM datant de mars 2020, où figure dans les projets la « remise en place de la culture des petits fruits rouges ».
Quoi qu’il en soit, souhaitons que les rêves d’un renouveau de ces cultures puissent voir le jour. Si tant est que cette culture méticuleuse séduise encore quelques adeptes.
Perspectives!!

[1] Le framboisier appartient à la famille des ronces (rubus). Le terme « Ronce » vient du latin classique « Rumex » qui signifie « Dard ». Selon les botanistes, le terme désigne soit l’ensemble des Rubus, soit uniquement ceux dont les fruits tombent avec leur réceptacle. C’est d’ailleurs là l’une des principales différences entre la framboise et la ronce, la première seule perdant son réceptacle à la cueillette.
[2] Elle contraste avec la pente qui s’amorce sur le flanc des collines menant vers Rochignard et Les Hérodats, composé de calcaires et de marnes, exposés au Sud-Est, et propice à la culture de la vigne. De nombreuses parcelles de quelques ares chacune, couvraient la pente jusqu’à la lisière des forêts, entre la vallée boulanger et la route des Hérodats, puis, par Les Osiers, les terres à vignes rejoignaient Vaudonjon et ses côtats (Montillot comptait 60Ha de vignes à la fin du 19e siècle, et les vignerons de profession étaient concentrés au Vaudonjon).
[3] « les ventes ont cessé faute de main d’œuvre pour la cueillette après la guerre de 39-45. »