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Les calendriers en image

Gérard Nicolas †

sauf mention contraire, les photos et dessins sont l’œuvre de G. Nicolas.

En redécouvrant ces images, un mot me vient: Merci!!

Merci à G.N. de ces témoignages grapillés de jour en jour; son regard perspicace, amusé souvent, détaché, étonné, émerveillé, et son crayon affuté, précis, brossant avec justesse des visages incontournables dont certains aujourd’hui ne sont plus, nous entrainent avec bonheur à leur suite dans la découverte du village et de ses habitants, dans ces années 2006 à 2008.

2006

2007

2008

Et puis après, fini, plus rien.

Mais pourquoi s’est-on arrêté en si bon chemin?

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Une jeunesse à Montillot au début du XXe siècle

Propos de Pierre Guttin recueillis par A. Buet, 2002

Arrivé à un âge avancé, l’homme, souvent seul, et contraint à une activité physique restreinte, éprouve le besoin d’occuper sa pensée . Très souvent celle-ci le ramène au temps de sa jeunesse, au temps béni de l’exubérance enfantine, dans la chaude ambiance familiale, loin des soucis de toute nature.

L’enfance

Je suis né en février 1907…Je vais donc essayer de faire une rétrospective de la vie paysanne,  telle que je l’ai vécue, et qui fut probablement la même dans de nombreux villages de France.

Petite Enfance

J’avais un frère, de 4 ans mon aîné, et un autre, plus jeune de 6 ans.

Un incident qui m’a marqué : en juin 1910, au cours d’une dispute-poursuite entre gamins, je suis tombé dans le puits de la Grand’Cour… Beaucoup de cris, puis la propriétaire du puits, la cousine Marie CHESNE-GOURLOT a réussi à me tirer de cette situation périlleuse, et il fallut, paraît-il, un certain temps pour me faire respirer normalement !

Petits paysans, dès 5 ans, nous partagions les servitudes familiales : garnir la table, mettre le couvert, apporter les provisions de toute nature, la boisson de la cave, l’eau du puits, le bois pour la cheminée.

Après 5 ans, école 5 jours entiers par semaine, catéchisme jeudi et dimanche, le temps « dit libre » occupé par des jeux bien sûr, mais aussi les leçons à apprendre le soir, la cueillette d’herbe à lapins, l’écossage des haricots, travaux présentés comme punition, car, paraît-il, nous étions quelquefois désobéissants !

Nous avions 2 écoles, chacune de 40 élèves, menant de l’apprentissage de la lecture au Certificat d’Etudes primaires (C.E.P.). Les maîtres étaient Monsieur CHARBOIS pour les garçons et Madame Charbois pour les filles.

Je me souviens de mon 2ème ou 3ème  jour d’école, en 1912, en tenue de l’époque, assis à table avec mon camarade Raymond ROUARD, commentant à voix haute le dessin que nous venions de faire sur notre ardoise, sans nous soucier de perturber la classe… Soudain, les autres murmures cessent ; nous levons la tête, et nous apercevons, dans la main du maître, la baguette de noisetier qui s’abat sur nos têtes quasi-réunies ; instinctivement, l’un se penche à droite, l’autre à gauche…Poursuivant sa course, la baguette heurte le bois de la table, et se casse, ce qui provoque un immense éclat de rire . Le maître, souriant au début, se met en colère, nous prend chacun par une oreille et nous met, l’un au coin, l’autre au cachot noir…juste le temps de voir nos copains, – les traîtres -, riant sous cape !

Avançant en âge, on conduisait  les vaches au pré ; puis vers 10 ans, on emmenait seul le cheval vers les vignes ou les champs de légumes ; là, il fallait apprendre à ne pas recevoir le pied de la bête sur le sien, cela fait très mal… ! Puis ramener à la maison les charrettes d’herbe, de foin, de céréales …les parents étant toujours là pour apprendre d’abord à « bien faire », et ensuite, « plus vite » …

Un autre événement  m’a marqué : en 1911, un important incendie provoqué par la foudre au hameau de Bouteau. Notre Compagnie de pompiers a participé activement, avec un grand va-et-vient des habitants du village. Mon père et Emile Vantenay, pompiers, ont dû être soignés d’une congestion pulmonaire, contractée après avoir absorbé une boisson froide alors qu’ils étaient en sueur…

Vie quotidienne au village

La vie au village

J’ai donc connu notre village de Montillot avec 550 habitants , une population très laborieuse, vaquant à tous travaux avec les moyens de ce temps.

Le travail dominant dans chaque bourgade était agricole ; la plus grosse exploitation dépassait de peu 20 hectares. Tous les transports de bois et céréales étaient effectués par charrettes à chevaux et bœufs. Les ânes étaient nombreux ; cet animal exigeant peu de nourriture était utilisé pour de petits travaux et le transport des personnes âgées.

On avait souvent, en plus, une carriole à deux roues, servant au transport des membres de la famille pour se rendre, soit à certains travaux des champs, soit en ville ou aux villages voisins. Mon père, ayant des chevaux possédait un « quatre roues » avec deux bancs, pour ces mêmes usages.

Les commerçants qui, tels le boulanger, avaient des marchandises à transporter, utilisaient ce genre de berline, couverte de toile cirée. ( même les médecins n’ont eu une auto dans notre région qu’en 1920 ).

Curieusement, sauf pour chargement ou déchargement, aucun véhicule ne devait stationner sur la rue, de jour comme de nuit ; garde-champêtre et cantonnier vous rappelaient à l’ordre…Pourtant, le danger était faible ! …Je me souviens, tout de suite avant guerre, d’une seule auto, une DE DION-BOUTON , une « teuf-teuf », d’un épicier de Châtel-Censoir, Mr Guérin, qui venait une fois par semaine ; nous, les gamins, l’escortions en courant !

Le machinisme ne s’est introduit progressivement dans les campagnes qu’après la guerre 14-18 ; il existait cependant des scieries et des moulins actionnés par roues et engrenages mus par eau, et des machines à vapeur pour battre le grain.

Comme au début du siècle précédent, les ménages peu aisés prenaient en nourrice des enfants de l’Assistance Publique, cela jusqu’à 12 ans environ (sortie d’école). Ensuite ils restaient souvent dans la même maison et servaient de « commis agricoles » à petit prix jusqu’au service militaire ; les plus aptes étaient embauchés comme apprentis-artisans.

La population étant trop nombreuse, un certain nombre de jeunes en âge de travailler suivaient l’exemple de leurs aînés du siècle précédent et  migraient dans la région parisienne pour des travaux agricoles saisonniers.

Ces « migrants » ont appris dans leurs pérégrinations de nouvelles  façons de travailler, notamment sur les fruits et les méthodes de vente. Ils ont ainsi commencé à greffer les arbres fruitiers, et à planter framboisiers, fraisiers, cassissiers et groseillers, qui se sont comportés à merveille dans la plaine de Montiillot, le terroir leur donnant un parfum recherché …

Ils ont aussi pris l’habitude de vendre en commun, en constituant un syndicat  qui écoulait à bon prix les produits vers des entreprises de transfioramation en gros. Ces ventes de fruits ont bien aidé à boucler les budgets des petits cultivateurs de l’époque ; elles ont cessé faute de main d’œuvre pour la cueillette pendant la guerre de 39-45.

Les distractions

Notre village avait une Compagnie de 18 sapeurs-pompiers bénévoles, avec une pompe à bras ; ils se réunissaient « pour essayage » une fois par mois. Ils se retrouvaient aussi en grande tenue le 14 Juillet ; après avoir défilé au son de clairon et tambour, et subi l’inspection du Maire, ils animaient une fête, bien suivie par l’ensemble de la population. Chacun d’eux organisait un jeu ou une tombola. Un repas, offert par la commune, leur était servi en soirée.

Un autre repas avait lieu à la Sainte-Barbe, fête des pompiers et artilleurs ; là, chacun des membres de la Compagnie payait sa quote-part.

Mais la plus importante était la fête patronale de Saint Laurent, le dimanche suivant le 10 Août.

Parents et amis sont invités dans chaque foyer ; le matin, fête religieuse ; à midi, repas avec des tas de bonnes choses ; l’après-midi, fête foraine sur la place publique, avec manège de chevaux de bois, balançoires, stands de tir, confiseries, jouets et un bal sous la tente, dont la musique anime l’ensemble de la fête. Les enfants virevoltent dans tout cela, dépensant en sucreries et babioles les offrandes des invités, ou des voisins auxquels ils avaient rendu de petits services…

Un autre fête avait lieu le 22 Janvier, pour honorer Saint Vincent , patron des vignerons, et de la Société de Secours Mutuel. Messe, repas et invités, mais pas de fête foraine. Les membres de cette Société se réunissaient : leur but était d’aider les adhérents malades et de verser une retraite à 60 ans.    (Elle a été dissoute lorsque sont apparues les Assurances sociales d’Etat).

Avant 1914, il y avait aussi une Société de Gymnastique qui fonctionnait bien. Les jeunes avaient une tenue pour les exercices, et une tenue d’apparat pour les sorties en public. Les exercices en chambre avaient lieu dans la salle actuelle du Foyer rural. Le Chef était Auguste Savelly (fils de Céleste).

Les pays voisins avaient aussi une Société de gymnastique, et même une Société de musique, comme Vézelay et Saint Père. Ces sociétés se regroupaient par arrondissement, avec un Chef, et une fête annuelle avait lieu ici ou là.

Je me souviens de l’une de ces fêtes qui eut lieu à Montillot, en 1912 ou 13, dans le pré à Célestin GUTTIN, avec participation des gymnastes de l’Avallonnais en tenue d’apparat. J’étais fasciné par leur chef, Monsieur Destutt, propriétaire du château de Blannay, déjà âgé, mais avec une grande stature ; avec dolman et casquette galonnée, on aurait dit un amiral !

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Rien ne se perd!
Mais là c’était un trio, en bas.
Dans les années 2000

J’ai retenu la belle démonstration d’une pyramide, par les jeunes de Montillot…Au quadrilatère du bas, il y avait Onésime GIRAUX et Charles PORCHERON ; au dessus, il y avait un trio, puis un duo, et tout au dessus, un jeune de 9 ou 10 ans, Gaston PORCHERON !

Il y avait aussi beaucoup de stands de toutes sortes, et des musiciens des pays voisins.

Je tenais par le doigt ma tante Charlotte, d’abord pour ne pas me perdre dans la cohue , mais aussi parce qu’elle était bonne pourvoyeuse de gadgets et sucreries !

La grande Guerre

…Dans le village…

Dans ces années d’avant 1914 ,  je n’ai pas entendu de discussions dans ma famille , ni perçu de rancœurs au sujet des grands problèmes politiques de l’époque : lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, menaces de guerre en Europe… Parents et éducateurs  prenaient garde de ne rien évoquer devant les enfants de ce qui pouvait diviser.

Puis ce fut fin juillet, premiers jours d’août 1914 …Le garde-champêtre rentre à la maison et dit au maçon Léon MOREAU, qui réparait la cheminée : « Prends ton tambour et annonce que la guerre est déclarée ; les mobilisables doivent passer de suite à la mairie retirer leur fascicule de mobilisation… »

Ma mère, se tournant vers moi, me dit : « Pierre, va le dire à ton père qui fauche du blé à la Fontaine-Guinot ! »

Connaissant ce lieu, je pars aussitôt. Croisant Auguste CARILLON, celui-ci  me voit agité et  me dit : « où vas-tu, petit ? » « La guerre est déclarée », lui dis-je …Quelques heures plus tard, je l’ai revu à la mairie, conversant avec Robert POULIN, Léon MOREAU et Florimont CHAMPY,  tous confiants et d’accord pour dire que « les Boches vont prendre une frottée, et, d’ici peu, il y aura la fête à Berlin »…

J’étais encore enfant, et ne ressentis pas la gravité de ces évènements comme une grande personne . D’autant plus que mon père ne fut mobilisé qu’en décembre 1914 et n’alla pas au front. – ayant 44 ans, 3 enfants, et passé trois ans de service militaire en Indochine -.

Cependant , il ne fut pas de jour que je n’entende parler des péripéties de cette guerre. Mes parents étaient buralistes, et les clients échangeaient tous des propos à ce sujet.

Les noms des tués, blessés ou prisonniers, nous étaient communiqués ; nous en parlions entre gamins ; le maître y consacrait certaines leçons de morale ou d’instruction civique.

Les victimes furent nombreuses les premiers mois, des jeunes dans l’infanterie, plusieurs de l’assistance publique, – célibataires pour la plupart – ; et nous étions bien émus et chagrins lorsque survenait la mort du père d’un de nos camarades de classe, difficile à consoler…

Un communiqué officiel était affiché tous les jours à la vitrine du boulanger qui tenait le téléphone public (le seul au village) ; tous les lieux de batailles y furent affichés tour à tour,  Vauquoy, les Eparges, Verdun, la Somme,… le texte était toujours ambigu, l’ennemi avait toujours des pertes supérieures à celles de l’armée française… ! Je vois encore les permissionnaires, connaissant ces lieux, qui s’insurgeaient contre « ces mensonges », disaient-ils …

De temps en temps, venait en effet en permission l’un de ceux qu’on appelait les « Poilus ». je revois ainsi Emile PORCHERON (dit « Pilote ») arrivant à pied, avec casque, capote et deux musettes, grande barbe, glissant quelques mots de cette vie de tranchées, toujours sur le qui-vive, le risque de mitraille, obus ou balles, dans un trou par tous les temps…

Une autre fois, la porte de la classe s’ouvre ; sans frapper, un soldat rentre tout harnaché : « Bonjour Monsieur Charbois, me reconnaissez-vous ? » -« Ah oui, c’est donc toi, Emile ( un autre ! ), qu’est-ce que tu fais au front, quel est ton rôle ? ». Et là le soldat  commence à raconter les scènes horribles auxquelles il assiste – ou participe…- chaque jour. Vite, le maître l’arrête : « Emile, tu en as déjà trop dit, tu reviendras plus tard,…mais pas devant les enfants ! ».

Notre bon maître nous faisait parfois des cours comme s’il était stratège : je me souviens de celui sur la bataille de la Marne, mettant en évidence l’imprudence de Von KLUCK, qui engagea ses troupes en pointe sur Paris sans assurer ses arrières … 

A Montillot, nous étions loin du front, et n’avions pas le tracas des batailles, peu de passages d’autos et encore moins d’avions…Un jeudi matin de l’été 1918, d’une cour de ferme, j’entends un avion volant bas, cherchant à atterrir …C’est ce qu’il fit avec un grand bruit , peu de temps après. On se précipite dans la direction de la chute, vers le lieudit les Esserts ; l’avion, ayant heurté des peupliers, – les seuls dans le coin ! – a le devant en terre ; le pilote sort de la carlingue, aidé par quelques uns; traumatisé, le nez cassé, il est pansé par une infirmière du village. Les  gendarmes font garder l’avion par des permissionnaires, sous les ordres de mon père, sous-officier ; au bout de 2 jours, des camions sont venus récupérer l’avion.

…Dans la famille…

Après le décès de mon grand-père maternel en août 1914  à Voutenay, son épouse (66 ans) vint en octobre habiter avec nous. Après le départ de mon père, les difficultés apparurent , surtout pour les travaux des champs ; les hommes du village encore « en force », nous aidaient, lorsque leur propre travail était terminé. Nous avions des journaliers non mobilisés, jeunes de 18 ou 19 ans au plus ; et aussi des anciens « itinérants », qui se sont fixés là pour avoir gîte et couvert et nous rendaient bien service pour le fauchage et la coupe de bois.

Ma mère dut « faire face », pour assurer la nourriture de 7 personnes, et répondre aux réquisitions    ( bétail, foin, avoine…) . Elle était bien aidée par ma grand’mère, rustique et travailleuse ; en plus des travaux domestiques, celle-ci débitait le bois pour la cheminée, binait les betteraves et autres légumes . Experte dans les vignes, elle assistait d’autres cultivateurs, en échange de travaux plus durs…

Mon frère aîné André et notre cousin Gaston PORCHERON – 11 et 12 ans  – parvenaient déjà à atteler les chevaux, il est vrai très dociles ; s’aidant d’une brouette pour se rehausser et mettre le collier ; à deux, ils arrivaient à mettre la charrue au sillon…

Près de 4 ans après le début de la guerre, le gouvernement français décide de libérer plusieurs classes ; mon père , 48 ans, en profite, tout en restant sous contrôle militaire. Notre culture est reprise en main. Maman geignait bien pour boucler le budget et livrer ses « réquisitions », mais nous n’avons pas souffert de la faim…On pouvait  mettre de côté quelques quintaux de blé, le faire moudre et bluter par un meunier ne craignant pas les contrôles, et disposer ainsi de farine blanche…A cette époque, la plupart des cultivateurs cuisaient encore leur pain de ménage une fois par semaine. Grand’mère triturait la pâte, Maman se chargeait de la cuisson du pain, et de tout ce qui pouvait se faire au four, avec la viande de porc, les volailles,  mais aussi le lait, les œufs, dont nous disposions par ailleurs ! Sans oublier les légumes du jardin, pommes de terre, tomates, poireaux, salades et haricots …et ce qu’on pouvait trouver dans la campagne et les bois, les escargots, les champignons …

…enfin !…

Un jour de novembre 1918, pendant la récréation, nous voyons arriver la télégraphiste Cécile brandissant  un message. Monsieur Charbois nous réunit, nous lit l’annonce de l’Armistice et nous dit : « Mes enfants, l’école est finie pour aujourd’hui ; laissez  vos cahiers et rentrez chez vous »…

Dans le quart d’heure, suivant le degré d’intimité, tout  le monde s’embrassait ou se congratulait. Les cloches ont sonné longtemps, comme celles des pays voisins. Les bonnes bouteilles sortaient des caves …Mais les endeuillés étaient bien tristes…Et dans ce mois de novembre, la grippe espagnole sévissait et il y eut encore des morts …

Le 15 Février 2002

Adolescence

L’entre-deuxguerres, période laborieuse et paisible…

J’aimais aller à l’école , grâce aux qualités d’un bon éducateur. J’ai obtenu à 12 ans mon certificat d’études primaires (C.E.P.) avec la mention « Assez Bien ». J’étais considéré comme sérieux, puisque l’instituteur a insisté pour que je lise devant les personnalités le poème de Victor HUGO , – « ceux qui pieusement sont morts …,- à l’inauguration du monument aux Morts de la Guerre 14-18. J’étais très ému, mais j’ai récité « sans bavure »…

Quelques années après la sortie de l’Ecole, n’ayant plus l’occasion de « pratiquer », nous avions souvent des difficultés pour rédiger une lettre pour l’Administration dans les formes conventionnelles. L’instituteur et le prêtre servaient alors de « greffiers » à ceux qui ne pouvaient s’exprimer dans leurs lettres ; en général ils en étaient bien récompensés . Le sacrifice du porc avait lieu dans tous les foyers et ces évènements étant échelonnés , ils étaient assurés de recevoir tout le long de l’hiver rôti et boudin ! Par ci par là, une bouteille d’eau-de-vie en plus, que l’on présentait discrètement, « pour faire des grogs »…

J’ai reçu une éducation religieuse, et, comme Mr CHARBOIS, l’abbé DORNERT « m’avait à la bonne ». Ce prêtre avait été mobilisé, et après l’armistice il y eut une cérémonie de première communion pour une trentaine d’enfants ; là encore, c’est moi qui ai lu le message de remerciements…Curieusement, ce message avait été rédigé par l’instituteur ! Certes, la qualité de la prose y gagnait, et , si la séparation récente de l’Eglise et de l’Etat exigeait des fonctionnaires une certaine réserve, les deux hommes s’estimaient. D’ailleurs, la « morale laïque » enseignée alors à l’école était très inspirée de la morale chrétienne…Catéchisme et « roulées »

J’étais enfant de chœur, avec le catéchisme le jeudi et le vendredi. Les Vendredi et Samedi Saints , il y avait les « roulées » ; avec un panier pour les œufs, une tirelire et un crucifix, nous allions de porte en porte chanter une courte prière en latin. Tout le monde donnait, même les « païens » !

Cela nous donnait l’occasion de rentrer dans tous les foyers , et d’assister à des scènes qui, souvent, nous surprenaient.

Une fois, arrivés à l’heure du repas, nous trouvons le père , le fils et la fille, mangeant avec cuillère et fourchette une fricassée de poireaux dans une écuelle commune. D’autres, pour économiser le pétrole, s’éclairaient en allumant à la flamme de la cheminée de fines écailles de bois vrillées, fichées dans une betterave …

Une autre fois, nous allions au Moulin de Marot, le samedi midi, comme d’habitude ; 4 kilomètres, en passant par Bouteau, – sans s’y arrêter, car c’était sur la paroisse de Brosses -. Habituellement, la Marie POULIN nous faisait « dîner » ; mais cette fois, la meunière était absente pour la journée et son mari n’a pu que s’excuser…Exténués et affamés, les gamins, repassant par Bouteau y sont interpellés par la « Parisienne », à qui ils racontent leur mésaventure . « Il ne sera pas dit que j’aurai laissé jeûner des enfants du Bon Dieu, venez… », nous dit-elle. Et nous rentrons : deux ou trois galettes au poireau fument encore, gonflées, qu’on aurait dit le dos d’un crapaud…, un fumet …une odeur de pâte cuite… ! A la maison, mon frère André n’aimait pas la galette aux poireaux ; là, il l’a mangée avec appétit…Depuis ce jour mémorable, il en redemandait à ma mère, si bien que celle-ci disait : ‘la Parisienne t’a ensorcelé, ma parole ! ».

Le Curé nous partageait équitablement le produit de la quête ; le surplus des œufs allait chez une de nos mamans qui confectionnait une omelette baveuse aux fins herbes,…je ne vous dis que çà !

Ni poulet ni coq!

Diverses activités « civiques ».

A 14 ans, formé aux travaux de mon âge, entraîné et encouragé par mon frère aîné, les conseils d’un bon père, toujours conciliant, les dictons de M’man Guitte, j’aidais de mon mieux à la vie courante de ma famille paysanne.

J’ai remplacé mon frère comme sacristain et sonneur ; payé pour l’Angélus par 2 personnes charitables et le midi par la commune, dont je devenais ainsi un fonctionnaire !

Un jour malgré mes réticences, – je lui ai dit que je ne voulais pas être la risée du public -, le Maire Célestin GUTTIN m’a convaincu de devenir « appariteur – tambour », en me promettant de m’accompagner au début. Il m’a lui-même « amarré » le tambour et, sur la place publique, « vas-y ! ». Les baguettes se sont un peu emmêlées, mais ma voix a été jugée « bien timbrée » …et j’ai continué jusqu’en 1927 !

Puis le prêtre, musicien consommé, possédant une forte et belle voix , a tenu à m’apprendre le plain-chant et la musique pour remplacer Jeanne DEFERT qui se mariait (Jeanne, la sœur d’Emile, le coiffeur d’Avallon…).Je n’étais pas doué ; à l’harmonium, je n’avais pas droit à l’accompagnement, de peur des « couacs »  Il m’a prêté un petit harmonium, et, chez mes parents, je jouais les scies à la mode, « le p’tit Parisien », les chansons de Botrel …

Après la séance de catéchisme, le curé nous amusait, racontant des histoires ou faisant le guignol avec son calot de militaire (il venait d’être libéré en 1918) et sa canne comme fusil ! ( il faut savoir que notre curé était un colosse, bon vivant et qui d’hésitait pas à répondre par un bon coup de pied dans la partie charnue du bas du dos à celui qui lui manquait de respect !).

En cette période, les cérémonies liturgiques, à la St Vincent et la St Laurent, en latin et musique plain chant, étaient impressionnantes … Mon cousin Charles PORCHERON chantait le Noël d’Adams, le Credo du paysan, et même l’Ave Maria de Gounod ! Sa belle voix charmait aussi les réunions familiales ; et je me souviens d’avoir vu pleurer ma grand’mère à qui il avait dit chanter pour elle « les bonnes vieilles de chez nous ».

Un autre rôle que l’on m’a fait tenir : serveur et caviste au cours d’un beau mariage …Un mariage à Montillot…

Notre instituteur avait 4 filles ; en 1923, c’est Hélène qui se mariait, à l’église, avec un instituteur .

Il y avait des « officiels », le Maire et ses conseillers, le notaire, le Docteur ROCHE, conseiller du canton ; et tout le village sur la Place lorsque les mariés parurent sur le parvis ; le cortège des invités suivant le violon d’Alfred DEFERT, les autres allant se désaltérer dans les trois bistrots du village.

Et puis le repas des noces…

ARNOUX, – prévu comme caviste -, ayant sa crise d’asthme, Mr CHARBOIS vint demander à mon père que je le remplace « sur le pouce », alors que j’étais en train de distribuer la nourriture au bétail ! J’ai vite changé de tenue !

Il y avait parmi les invités un Mr GUEHO, qui avait été pendant des décennies valet de pied dans une grosse maison bourgeoise. En quelques minutes, il m’a enseigné la façon de placer les doigts sur la bouteille, comment verser le liquide et ensuite essuyer légèrement le goulot, les mots polis à dire, l’ordre dans lequel on devait servir…Valentine MOREAU, présente elle-aussi , m’a prodigué quelques conseils complémentaires, pour que je ne me laisse pas influencer par certains convives !

Au début, tout s’est bien passé : le gars Pierre se sentait bien dans sa personne…Mais voilà l’incident : un bouchon qui part trop vite et le Champagne qui se répand sur la robe d’une demoiselle d’honneur, …cris de dinde effarouchée…, mon Pierre rouge comme une pivoine, ne sachant que faire. Mais des braves gens , hors étiquette, sont venus à mon secours , – le champagne, ça ne tache pas ! – et j’ai repris mon service correctement jusqu’à la fin du repas.

On m’a alors invité à participer à la noce avec les autres jeunes invités. La sœur du marié a même essayé de m’apprendre un pas de danse !

Ma première « histoire de chasse ».

C’était en 1919 ou 1920, en avril ; j’étais parti chercher des nids, vers Guigne-Chien, Collerette et la plaine de Brosses, lieux que je connaissais bien, allant souvent après l’école, porter des escargots, ou d’autres choses, à mon oncle le curé de Brosses ou à ma tante Marie FOURNIER. A ma surprise, je vois une ligne de chasseurs, dont mon père. Perché sur un grand orme à côté d’un nid, j’observe deux chasseurs qui visaient un lièvre, ne voyant pas arriver un gros sanglier. Je hurle très fort, mais le sanglier se détourne…C’était raté ! Comme les chasseurs, de dépit, levaient les bras en l’air, je leur en annonce un autre : tiré de trop loin, il passe…On entend alors les aboiements caractéristiques d’un chien qui poursuit un autre sanglier . Sans attendre, je déguerpis par une « ligne » (allée déboisée qui sépare deux parcelles), des œufs de pie et de corbeau plein mon mouchoir ; j’arrive en haut de la « Côte », près de l’ancienne carrière, et j’entends un chien qui se rapproche, puis se tait, puis un fort hurlement, suivi de « houp, houp … » et je vois ce dont il s’agit : la grosse bête noire tient tête au chien, lequel appelle son maître…Le cœur battant, je hurle moi aussi, poussant des cris que je veux terrifiants …Puis, un « déboulé » du grand noir qui va vers son destin, …deux coups claquent, le BUSSET d’Asquins vient d’ajouter une victoire à son tableau déjà bien garni ! J’ai vite rejoint le rassemblement ; une bête très grosse est étalée…Le « tueur » s’adressant à moi : « C’est toi, petit, qui a crié de là-haut ?…Oui ! C’est toi qui as le mérite du résultat !

J’étais très fier de ce compliment devant mon père !

Un chasseur ajoute : « il mérite une part ! » ; un autre rétorque : « il est convenu qu’on ne donne qu’aux traqueurs présents au départ de la chasse ! »

J’obéis à mon père qui me dit «  Va vite rejoindre ta mère qui s’impatiente ! »

Revenu à la maison, mon père dépose sur la table sa part, …et la mienne ! « Ton oncle Rosa , et presque tous ont plaidé pour toi ! »

…Tout gamin que j’étais (« ni poulet, ni coq », comme disait l’abbé DORNERT…), j’ai apprécié ce geste égalitaire !

L’exploitation familiale…

Après la guerre, est vite apparue la nécessité d’accroître la superficie cultivable et de commencer à se « mécaniser ». Mon frère aîné avait 17 ou 18 ans quand il a suggéré à mon père de louer des terres, en plus de celles appartenant à deux oncles qui n’habitaient plus le pays.

Le cousin Jules venant de décéder en 1918, sa veuve n’ayant pas d’enfant, a bien voulu nous louer 8 ha de terres. Nous avons acheté une machine à faucher, une râteleuse et une belle jument, Sirène.

On remarquait à cette époque que les filles du village s’émancipaient, se faisaient couper les cheveux et faisaient les yeux doux, de préférence aux garçons qui cherchaient une place de fonctionnaire, d’employé de bureau, de gardien de propriété…Adieu les vaches et les culs-terreux !

Moi, ce métier me plaisait, m’avait « pris aux tripes » ; j’avais 16 ans, j’aidais mes parents, et j’avais le temps de penser à autre chose !

J’ai appris à faire le travail avec n’importe quel outil. Et au milieu d’une équipe, un bon devant, un autre bon derrière, que l’on soit jeune ou nonchalant, on est obligé de suivre ! Comme dans un attelage, on met au milieu le jeune cheval à dresser …

Travaux « sous-traités » à la tâche

Lorsque le travail sur notre exploitation nous le permettait, nous faisions par ci, par là des « journées » chez l’un ou l’autre, au taillage ou piochage des vignes, au labourage ou à l’arrachage, enfin aux battages ; l’hiver, abattage du bois pour un marchand ou un particulier, avec hache (la « cognée »), scie, passe-partout, serpe…

Je suis resté très attaché à ce travail dans les bois ; il laissait une totale indépendance ; « à la tâche », plus on travaillait, plus on gagnait…Et l’exigence d’un travail bien fait : laisser un chantier et une coupe « propres » …

A midi, nous nous retrouvions autour d’un bon feu de braises rouges préparé par l’un d’entre nous ; assis le chaudron entre les jambes, le « fricot » cuit ou réchauffé, nous mangions, qui des haricots au lard fumé, qui des harengs ou des pommes de terre cuits à la braise, du fromage de tête de cochon, du fromage maison, du vin de nos vignes, un bon café chaud, et pour finir un sucre trempé dans un quart de soldat, où avait été versé un peu de marc, ou d’eau-de-vie de prune ou de cerise !

Le soir, on rassemblait les braises rouges en les recouvrant d’une couche de cendres et on rentrait à la maison ; 2 ou 3 km à pied, la besace au dos, les sabots claquant sur le sol gelé . En soirée, les vêtements secs, un grog ou un vin chaud dans l’estomac, on avait retrouvé la forme…Avant d’aller au lit, on pouvait encore s’octroyer des châtaignes grillées – du bois du Gros Fou -, avec un verre de vin blanc de la vigne des Sablons …

En 1923, – j’avais 17 ans -, Onésime GIRAUX , avec l’accord de mon père, m’embauche en août pour un travail de terrassement au manoir appartenant à Monsieur LEHARLE . Trois autres ouvriers faisaient partie de l’équipe, GAILLARD, GUILLEMARD et Gaston PORCHERON. Onésime transportait la terre en charrette. Nous avions chacun 5 francs par mètre cube. Travail très dur sur 9 journées, du petit jour au soir à la fraîche, avec arrêt de 2 à 3 heures de l’après-midi. A la fin, chacun de nous a touché 450 francs, soit 50 francs par jour travaillé, alors qu’au bois en hiver, on ne gagnait pas plus de 12 Francs…Ce fut pour mon père un bon supplément au budget familial . J’ai été récompensé par une bonne prime, …et le contentement d’être classé « bon ouvrier ».

Les évènements familiaux…

C’est cette année-là que mon frère André est parti au Service militaire à Chalons-sur-Marne ; il est revenu en novembre 1924. Dans une lettre annonçant son retour, il nous prévenait que, ne voyant pas d’avenir dans la culture, il envisageait une place en ville ; en même temps, il me chargeait de trouver un chantier au bois pour tous les deux…

A la fenaison 1924, le cousin Jules dit à mon père : «  Charles, tu as une extinction de voix qui dure trop longtemps, va voir un médecin ! ».

Le médecin de Vézelay lui dit : « Ce n’est rien, mais consultez tout de même un spécialiste ! ». Mon père, un peu vexé, attend, et ne consulte qu’en octobre. Trop tard ! L’irréversible était engagé. Après 2 mois de souffrances, il est parti à la mi-janvier, nous laissant tous avec une immense peine…

Mon frère a dirigé l’exploitation jusqu’au 1er Octobre, et il partit rejoindre l’emploi qui lui était offert à Vierzon. Dans cette période, il a complété mon apprentissage de ce métier de cultivateur, si prenant et si complexe.

Puis la vie a repris ses droits…Cependant, les traditions exigeaient de marquer le deuil : pas d’amusement public … Je venais d’avoir 18 ans et n’étais donc pas majeur; j’ai demandé à ma mère de me cautionner pour un permis de chasse . Elle a d’abord refusé, pensant que mon travail s’en ressentirait. Puis, mon frère et mes 3 oncles étant intervenus, j’ai promis que je ne chasserais que le dimanche !

Mes compagnons de chasse étaient des amis de mon père, « gens des tranchées » qui m’ont adopté dans leur groupe. J’ai ainsi appris en parcourant champs et bois, beaucoup de choses de l’ancien temps.

En longeant ou traversant une parcelle de terre, on citait tout naturellement le propriétaire actuel, mais aussi celui d’avant, et on évoquait des anecdotes ou des farces où les uns ou les autres étaient impliqués… (Rendez-vous compte que ces « propriétaires d’avant » étaient nés au début du siècle précédent ! ) . Parmi les 4 cafés-bistrots, le favori de cette bande de jeunes était alors, – avant 14 …- celui d’Eugénie GARNIER , une des filles de la Tante Rose. Je l’ai connue, toujours contente et indulgente pour les frasques de ces « petits » !

Au printemps 1926, Auguste, mon jeune frère, qui m’aidait bien, est tombé du grenier. Rien de cassé, mais une jaunisse qui l’a rendu indisponible au moment des semailles. Ma mère a dû régler tous les frais ( pas de « Sécu » !). Et moi, j’ai pu faire front au travail…

L’entrée dans la vie d’homme

Le Service militaire.

En mai 1927, incorporation au 21ème Dragons à Lure. Le campagnard fait connaissance avec une nouvelle vie, en commun avec des jeunes d’origines et de tempéraments très différents, et l’obligation de respect d’un règlement . Aussi avec la notion de « classe » liée à l’ancienneté sous les drapeaux ; il y a les « bleus », les « piafs » et les anciens, avec des corvées différentes ; aux « bleus » les basses besognes !

Après 3 mois de classes, partie à pied, partie à cheval, je fus inscrit au peloton de brigadier , et rapidement, sans avoir de galons, j’ai eu l’expérience des responsabilités de commandement, et des sanctions appliquées pour des incartades de subordonnés…J’ai encore le souvenir cuisant d’une marche de 27 km, manteau et mousqueton sur le dos ; je suis allé au bout, alors que mes cinq compagnons ont été tour à tour ramassés par l’ambulance ! Et, bizarrerie de la vie militaire, alors que je rentrais épuisé au casernement, on m’accordait une permission de 18 jours ! J’arrivais à 11 heures du soir à Montillot, après 7 km de plus, par les Hérodats, et ma mère m’ouvrait la porte, lampe pigeon à la main ; j’ai avalé ce qu’elle m’a présenté et j’ai dormi aussitôt. Pendant cette permission, nous avons travaillé ferme avec mon frère Auguste. Emblaves faites, je suis reparti moins angoissé pour la Haute-Saône…

Après une autre punition, que je trouvais injuste, je me suis buté et j’ai voulu arrêter le peloton de brigadier. Après discussion la punition a été suspendue et j’ai été nommé brigadier, affecté au 31ème dragons à Lunéville.

Là, j’ai souvent dû défendre mes « bleus de chambrée » contre les brimades et corvées excessives ordonnées par les sous-officiers, tous des « engagés ».

Je dois une mention particulière à l’Adjudant-Chef MONTCHABLON, qui, à mon avis aurait mérité d’être officier, par son aisance avec supérieurs et subordonnés, sa connaissance des chevaux, qu’il nous a appris à aimer, à dresser, à panser et soigner. Son équipe à cheval, la nôtre, était, je vous assure, belle à voir, défilant dans un ordre parfait, hommes et chevaux en confiance…Lui, avait fait du sien un cheval de cirque, à genoux, debout, une patte, l’autre… ; le cheval comprenait, cela se voyait à ses bons yeux doux, à sa mine !

Et je suis finalement revenu à la maison un jour d’octobre 1927 ; ma mère, prévenue, avait payé mon permis de chasse, et dès le dimanche matin, je suis parti avec mon chien. Il pleuvait et j’ai passé la matinée dans une cabane, mais je me sentais tellement libre !

A nouveau en famille au village…

Avec Auguste nous avons repris les travaux saisonniers. Mon frère aîné venait nous conseiller et nous aider pendant ses congés. En hiver, je me suis mis au transport de bois pour améliorer le budget.

La vie s’écoulait ; la grand’mère aidant toujours, fâchée si on voulait la soustraire à ses menues besognes, toujours citant ses dictons et rappelant les us et coutumes…Un matin , je la relève de terre, la figure ensanglantée ; congestion cérébrale, deux jours sans connaissance, puis reprise de quelques heures, et le soir , elle s’en est allée à 83 ans où nous irons tous …C’était en …..1931.

Le village ?

Quatre ou cinq autos seulement , une cinquantaine de cultivateurs, 2 menuisiers, 2 maréchaux-ferrants, un ou 2 charrons, 3 maçons, 3 bistrots , 3 épiciers, un boulanger, un tabc-régie (ma mère), 2 écoles, avec 50 élèves ; un bal, chez DEFERT, tous les dimanches et fêtes, St Laurent, St Vincent et St Eloi. Le 1er mai, branle-bas, tout ce qui traîne est apporté en vrac sur la place publique. Chez moi, j’étais bien placé pour voir la joie ou le dépit de ceux qui venaient reprendre des objets familiers, une cocotte, un essuie-pieds, une charrue, une roue, des pots de fleur…Cette nuit-là, on ficelait un grand et jeune bouleau en haut duquel se balançait un bouquet de lilas, du beau pour les filles avenantes et sérieuses, moins beau pour les trop galantes, un bouquet d’épines pour celles qui l’étaient trop …

Il y avait alors une cinquantaine d’ânes au pays ; c’était l’auto des vieux !

En 1933, Maman est avisée de l’arrivée prochaine dans la maison voisine des cousines CAMBUZAT , – descendantes des CARILLON – ; elles demandaient que nous leur réservions comme d’habitude lait, beurre et fromage…Elles étaient cette fois accompagnées d’une jeune fille, originaire de Longueil-Ste Marie, un village de la Somme…J’ai bien connu ce village au mois de novembre suivant, …car j’y ai épousé Renée ! Une fille l’année suivante, un garçon en 1938 …Mais là, c’est notre histoire, à nous !

Quant à l’Histoire , – avec un grand H – , elle se rappelait à nous : des nuages noirs s’amoncelaient sur l’Europe …

Pierre Guttin est décédé le 3 décembre 2004 à 92 ans à la maison de retraite de Chatel-Censoir.

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1768: Les Habitants du Vaudonjon veulent une chapelle

A. Buet, 2004

Cette requête , adressée à l’Evêque d’AUTUN, est conservée aux Archives de Saône-et-Loire, dans la liasse « Cases des cures – Asquins », sous la cote 2G 85 .

Chapitre 1

Le texte en est parfaitement lisible et clair, rédigé en termes choisis par le curé d’Asquins.

 En voici quelques passages…

«  A Monseigneur l’illustrissime et Reverendissime Evêque d’Autun

Monseigneur

Supplient humblement les Curé, syndic et habitans du Vaudongeon, paroisse d’Asquin sous Vezelay disans qu’ils désirent depuis longtems de faire construire dans leur hameau une chapelle dont le besoin leur paroit evident pour les raisons qu’ils vont avoir l’honneur de detailler à votre grandeur.

        1°)- les habitans dudit lieu composant quarante deux ménages et se trouvant éloignés de l’église du chef-lieu de trois grands quarts de lieues, il arrive souvent que la distance des lieux, les mauvais tems ou les mauvais chemins empêchent un bon nombre d’entre eux de se rendre à la prière pour les offices, surtout de l’aprez midi. Or au moien d’une chapelle ils repareroient cette omission en s’assemblant le soir des dimanches et fêtes dans laditte chapelle pour y faire une prière et une lecture commune, ce qui contribueroit a fructifier parmi eux le St Jour  (?) et ne seroit pas d’un petit secours pour les entretenir dans l’esprit de piété qui ne s’éteint que trop aisément lorsqu’on manque aux exercices communs de religion.

        2°)- il resultera de la construction de ladite chapelle que le St viatique et les aitres sacremens seront administrés avec plus de facilité et de décence aux malades, puisque le curé ne sera plus obligé de transporter de l’église paroissiale le St viatique dans le hameau …mais il pourra dire la messe dans laditte chapelle, et y consacrer les hosties nécessaires pour communier les moribons.

        3°)- cette chapelle sera encore d’un grand secours pour les infirmes et les vieillards…

        4°)- comme il n’est pas possible que les petits enfans de ce hameau puissent se rendre à la paroisse pour y assister aux instructions familières, et qu’il est néanmoins de la dernière importance d’instruire la jeunesse dès les plus tendres années ; le sieur curé pourra facilement en venat dire de tems en tems la messe …rassembler les petits enfans et les instruire de ce qu’il estnécessaire qu’ils sachent.

…Lesquelles raisons etant très solides et ayant vivement touché les habitans du dit Vaudongeon, ils vous font la presente requête à ce qu’il plaise à votre Grandeur de commettre Monsieur l’Archipretre ou tel autre prêtre qu’elle jugera à propos pour se rendre audit lieu du Vaudongeon et constater la distance de l’église paroissiale et les raisons d’ériger la chapelle dont est question, entendre toutes parties interressées …pour a vüe du procès-verbal qui sera donné du tout, être par votre grandeur ordonné ce qu’il appartiendra et les suppliants offriront leurs vœux au Seigneur pour la prospérité de votre grandeur.

Suivent les signatures :

–          B. GROGNOT, Curé d’Asquin ; Nicolas MARCELOT ; E. et J.FEBVRE ; C. GUILLOUT

–          Aubin GUILLOUT ; H. COLLAS ; M. PERREAU ; Lazare DEGOIT ; C. GUILLOUX

–          G. LUCI ; C. MERCIER ; C. GUIMARD ; J. FEVRE ; Edme GAILLOT – G. et C. Le MOUX.

La Géographie des lieux:

Vaux-Donjon le Haut en 1817
Extrait de photo aérienne IGN- 2003

Chapitre 2

On trouve ensuite, dans la même liasse, le rapport de l’expertise demandée par l’Evêché:

«  L’an mile sept cent soixante et huit, le douze de juillet, nous Hubert Chalumeau, curé de St Pierre et archiprêtre de Vézelay, en conséquence d’une commission a nous adressée par Mr l’abbé Fremont, vicaire général d’Autun en datte du premier du present mois, sur une requeste présentée a Monseigneur l’Evêque d’Autun par le Sr Curé d’Asquin et les habitans de Vaudongeon ses paroissiens, expositive que, ayant des deniers provenants des bois communaux du dit Vaudongeon, ils desireroient, si Sa grandeur vouloit leur  permettre, edifier une chapelle dans ce hameau qui leurs seroit d’une grande utilité pour les y détaillées.

Nous nous sommes exprès transporté au dit Vaudongeon pour examiner la chose, et entendre les parties ; ou nous avons trouvé le Sr Curé et les habitans assemblés comparants par Nicolas MARCELOT,  sindic ; Edme FEVRE ; Edme GUILLOUX ; Claude GUILLOUX, laboureur ; Anthoine MERCIER ; Claude GUILLOUX, tixier ; Aubin GUILLOUX ; Edme GAILLOT père ; Edme GAILLOT fils ; Guillaume LEMOUX ; Claude LEMOUX ; Hubert COLAS ; François COLAS ; Jean FEVRE, laboureur ; Jean FEVRE, maître d’ecole ; Lazare de GOIX ; Pierre et Etienne GUIMARD ; François LEMOUX ; Nicolas COLAS ; Claude FEVRE ; Jean MAILLOT ; Jacques MELIME ; Simon POULIN ; Jean BIDAULT ; Germain et Edme COLAS ; Jean MERCIER et Nicolas MERCIER, qui composent la melieure et la plus saine partie des habitans du lieu.

Lesquels nous ont représenté que vuë la distance de là à l’église paroissiale et la difficulté du chemin ….etc etc

….Le Sr Curé nous a exposé surtout dequel avantage seroit cette chapelle, soit pour administrer les malades ….soit pour communier à Pâques ceux qui pour cause d’infirmité ne peuvent se rendre à la paroisse, soit enfin pour instruire la jeunesse…

Toutes ces raisons nous ont paru vrayes, solides et bien fondées  ….ce qui nous fait juger qu’il est très a propos de construire ladite chapelle et qu’elle le soit bientôt.

Rien d’ailleurs ne s’y oppose. Il y a un fond suffisant pour l’édifier, et la mettre dans l’état de decence convenable. Les dits habitans de Vaudongeon offrent et sacrifient pour son entretien un fond de terre qui leur apartient, et qui suffira, et au dela pour la réparer et l’orner selon l’exigence. L’emplacement qu’on luy destine et que nous avons visité est très propice à cette construction ; il est dans la partie supérieure du village, sur un sol bien exposé, sain, isolé, et que nous avons reconnu, et certifions véritable ainsi que tout ce que dessus ; en témoignage de quoy nous avons signé le present verbal, fait et arresté les jour et an que de l’autre part ».

                                                                  Signé : Chalumeau.  

Des recherches complémentaires devraient permettre de trouver le document annonçant l’accord de l’Evêque d’Autun.

La chapelle a donc été construite, vraisemblablement vers 1770.

On ne peut que rapprocher cette date de celle du 2 Novembre 1789, où l’Assemblée Constituante a « nationalisé » les biens ecclésiastiques.

On sait – voir dans cette même rubrique « Histoire » l’article intitulé « 1789-1790 ; la Révolution à Montillot ; vente des biens nationaux » – , qu’après l’inventaire effectué le 1er septembre 1790, la procédure a été plus lente pour la chapelle du Vaudonjon que pour l’église de Montillot.

Peut-être est-ce lié à la réforme administrative de l’Etat. Vaudonjon, comme les Hérodats, appartenait à la paroisse d’Asquins sous l’Ancien Régime, et son rattachement à Montillot a suivi la nouvelle définition des cantons et des communes  (le nom « Yonne » a été choisi pour le département en février 1790).

L’estimation des biens de la cure de Montillot a été faite en juin 1791, et celle de la chapelle de Vaudonjon en juin 1799.

L’adjudication définitive des biens de la cure et de la Fabrique de Montillot s’est échelonnée de 1791 à 1796. Celle de la Chapelle du Vaudonjon a été conclue le 6 thermidor An VII (24 juillet 1799) :

« adjugé à Denis Colas, cultivateur, demeurant à Montillot, pour 595 francs…lequel a déclaré que ladite adjudication est tant pour lui que pour Antoine Mercier, Edme Mercier, Claude Fèvre fils de Joseph,, cultivateurs demeurant au Veaudonjon, et Edme Boy, propriétaire demeurant à Vermenton »…

On constate donc que la chapelle de Vaudonjon, si ardemment souhaitée par les habitants de ce hameau, n’a été un lieu de culte qu’une vingtaine d’années.

Pierre Guttin  a entendu dire qu’il y aurait eu une école vers 1800 dans cette chapelle. Le nombre de foyers le justifiait certainement. Du temps de son enfance (début du 20ème siècle), une quarantaine d’élèves venaient à pied à l’école de Montillot ( un tiers étaient de l’Assistance Publique – DASS de l’époque – ).

Chapitre 3: les propriétaires successifs de la « Chapelle du Vaudonjon »

1)- Etat des lieux en 1817

Le premier cadastre officiel, dit de « Napoléon » a été établi pour Montillot en 1817. On peut le consulter aux archives départementales de l’Yonne (ADY) ainsi que les matrices qui lui sont liées.

L’acte d’adjudication définitive du 24 juillet 1799 désignait avec précision le bien national concerné : «  une pièce de terre chaume garnie de 80 pieds de noyers, de contenance d’un hectare, 65 ares, 88 centiares ( 3 arpents 25 perches), au milieu de laquelle est un bâtiment, cy devant chapelle, ladite pièce de terre traversée par le chemin de Vaudonjon à Montilliot et située sur ladite commune de Montilliot, tenant du levant au chemin de Vaudonjon à la métairie du Sieur Regardin, du midy audit chemin et à la jonction de celui de Vaudonjon à Montilliot, au couchant au même chemin…, et du Nord en pointe à la jonction du dit chemin… » 

Comme prévu dans ce même acte, ce bien était attribué en fait à un groupe d’agriculteurs du Vaudonjon. On ne s’étonnera donc pas de constater sur le cadastre de 1817 un découpage en parcelles de la terre entourant la chapelle (cotes en rouge sur le plan joint page 6, établi à partir du cadastre de l’époque).

Les matrices (réf. ADY – 3P3/266) nous fournissent l’affectation des « lots » :

On trouve une surface totale affectée aux 4 propriétaires désignés de 1ha 58a 80ca pour 1ha 65a 88ca indiqués dans l’acte de vente ; la différence provient vraisemblablement des surfaces réservées aux chemins d’accès.

La partie conservée par Denis COLAS  a la forme d’un rectangle  de 30 m sur 78 m, comprenant au sud la chapelle et un jardin. Elle est toute proche de son habitation (cote 1819).

Sur une photographie aérienne effectuée en 2003  (extrait reproduit plus haut), on peut facilement situer l’ancien domaine de la chapelle  (contour tracé en rouge).

2)- Successeurs de Denis COLAS

Denis COLAS a eu 4 enfants :

–          Michelle, qui a épousé un marchand de bois de Châtel-Censoir, Jean-Baptiste TISSIER, est décédée avant 1840. Son fils Basile Denis TISSIER s’est installé au Vaudonjon.

–          Françoise a épousé Pierre DEFERT, taillandier à Montillot.

–          Laurent  s’est installé à Blannay.

–          Jeanne a épousé Jean Poulin, meunier à Marot puis au Gué-pavé.

Après la mort de Denis COLAS, en octobre 1847, ses biens, – bâtiments, terres et jardins – ont été partagés entre les 4 branches. Les matrices cadastrales désignent les parcelles ainsi réparties  sous les   cotes 1432p, 1433p, 1434p et 1435p pour les proches de la chapelle . On trouve donc des propriétaires indivis de ces petites parts à Blannay – Jean MORINAT qui a hérité par exemple en 1873 de 3,16a du lot 1432 –  et à Givry  – Virgile COLAS, qui , en 1852, a eu  0,25a du lot 1434…

Mais petit à petit, un regroupement s’effectue vers les familles qui se sont fixées au Vaudonjon.

Eugène TISSIER,  fils de Denis Basile et petit-fils de Michelle Colas-Tissier, par étapes successives, en 1864,1888,1897 et 1898, avait « récupéré » en 1910, la chapelle et la moitié du jardin .

Après son décès en 1912 , son fils Flavien Victor enregistre parmi ses biens propres en 1914 les lots entiers 1432 à 1435.

En 1936, il transmet à Lucien Victor TISSIER, l’un de ses 10 enfants, la chapelle et la terre proche (lot 1433), en en conservant l’usufruit jusqu’à son décès en janvier 1943.

Madame Veuve Lucien TISSIER les vendra en juin 1963 à Mr Jean Baptiste LAUNAY.

La chapelle de Vaudonjon, désaffectée 25 ans seulement après sa mise en service, est donc restée ensuite dans la même famille de 1799 à 1963, soit 164 ans…

Le tableau généalogique ci-joint montre la filiation directe COLAS-TISSIER des propriétaires successifs…

Chapelle du Vaudonjon . Propriétaires successifs COLAS-TISSIER:

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Huit boeufs et une vache dans un bois taillis…

De la « justice de Malfontaine au Palais de Justice de Paris

Monteliot-Brosse 1767-1768

A. Buet † 2001, publié dans la revue des Sociétés généalogiques bourguignonnes « Nos Ancêtres et nous », N°86- 3e trimestre

Les Faits

Le 18 juin 1767, le troupeau des frères BERTHOUX, laboureurs demeurant en BOUTEAU, paroisse de BROSSE, aurait été surpris dans un bois par des gardes, en train de paître les jeunes pousses …

Dès la semaine suivante, la propriétaire de ce bois, châtelaine de MONTELLIOT, village du Vézélien voisin de BROSSE, fait convoquer les contrevenants devant le juge local par l’huissier Jean PARANT. 

La première audience a lieu le 26 Juin; nous en trouvons le récit dans un extrait des Registres de la « Justice et Seigneurie de Malfontaine, Fontenille, les Forests, Bouteau et dependants », l’infraction ayant eu lieu dans le finage de Malfontaine, paroisse de BROSSE. Les participants sont convoqués  « au lieu acoutumé à rendre la justice au dit Malfontaine ».

François Vincent BAUDOT, avocat en Parlement, est le juge « en cette party pour la vacance de la place de Bailly et Lieutenant ».

Il a « pris et commis pour greffier Louis GUILLOU, praticien à Vézelay », après avoir « pris et receu le serment requis et necessaire pour l’exercice de la fonction dans la presente cause, et pour tout ce qui sen suivrat » (l’orthographe de notre greffier n’est pas parfaite, mais nous la respecterons…).

Précisons les parties présentes à cette audience.

– la « demanderesse » est damoiselle Edmée Françoise de La BORDE, « fille majeure demeurant à Montelliot ». Pour mémoire, née en 1738, elle était la fille de Bon de La BORDE et Marie Louise de SAVELLY; ses parents étant décédés, elle avait hérité du fief du Fay, c’est à dire essentiellement de maisons d’habitation et de champs au lieudit Toucheboeuf, mais aussi de terres et de bois dispersés sur la paroisse de Montelliot et les paroisses voisines. Elle devait se marier en 1771 avec Nicolas MULLOT de VILLENOT.

Elle est représentée à l’audience par Me Edme RAMEAU, avocat au Parlement, qui remplace lui-même Me Philibert André TREMEAU, procureur, qui avait signé les convocations.

– des « deffendeurs » Edme et Claude BERTOUX, laboureurs « en Bouteau », seul Edme est présent, assisté de leur avocat Me Gabriel COLON.

Ce sont eux qui sont d’abord interrogés sur le chef d’accusation.

Edme BERTOUX reconnaît qu’il est bien passé dans le bois ce jour là, mais il explique, par la voix de son avocat, qu’il ne pouvait faire autrement…

Le greffier note :  » il a passé le 18 du présent mois au finage de Malfontaine, dans une pièce de bois taillis d’environ un arpans et demi, appartenant à la Demoiselle de La Borde, appellé la petite Forets, avec ces beuf au nombre de huit et une vache en revenant des champs attendu que le chemain voisin du dit bois n est point pratiquable par la ruine aucasionné par les eaux et par les charitte qui passe cy devant, le quel chemain n ayant point été retably par la demoiselle de La Borde », et il prétend que « de temps immemorial les voitures et autre besteau ont passé par le dit bois, qu’il n’y a eu aucun domages fait par ces dit besteau dans le dit bois a garde faite ».

Quant à la partie adverse, la propriétaire, représentée par Me RAMEAU, soutient que le troupeau a été volontairement amené dans ce bois; l’avocat affirme que « le chemain qui raigne le long du bois en question est pratiquable et suffisant pour faire passer voiture et besteau sans etre forcé de se retirer dans la piece de bois appartenant à la dite damoiselle de La Borde », et soutient que « les dommages faits par les huit beuf et la vache des dit Bertoux l’a été a garde faitte ».

Les parties présentant des faits contradictoires, le juge décide : « la partie de Me RAMEAU sera tenue de prouver par devant nous somerement le vendredy prochain 3 juillet que les dits BERTOUX ont fait domages a garde faitte » … sauf à la partie de Me COLON la preuve du contraire ». « Les parties seront tenu de convenier a l’instant d’expert qui sera par nous nommé d’office ».

Le choix se porte, par Me COLON, sur Me Edme DEFERT (51 ans), notaire à Montelliot,et par Me RAMEAU, sur Me Joseph CONDREU (61 ans), marchand à Vézelay.

L’Exposé des Témoignages

Le 3 Juillet 1767 est une journée chargée pour le juge ; à 7h du matin, toujours « au lieu accoutumé a rendre la justice au bailliage de Malfontaine », les deux experts prêtent serment de « bien fidellement proceder a la visite des lieux dont il s’agit et faire leur rapport par devant Me BAUDOT, conformément à la sentence du 26 juin ».

Ils partent donc pour examiner les bois et reviendront devant le juge en fin d’après-midi.

Le même jour, à « 11 heures avant midy », étaient convoqués les deux témoins cités par la propriétaire, tous les deux « gardes de bois », l’un Edme GUILLEMARD (56 ans), demeurant à Montilliot, l’autre Edme BRISDOUX (35 ans), du Bois d’Arcy; les frères BERTOUX, bien qu’assignés, ne sont pas venus et pas représentés.

 Les deux gardes déclarent,- note le greffier -, « n estre parant allie serviteur ny domestique tant de la dite demoiselle demanderesse que des deffendeurs ». Ils déposent alors « annimement », que « le jour de la Feste Dieu dix huit du mois de juin dernier, venant de faire leur tourné ordinaire dans les bois dont la garde leur ay confié, ils arriverent environ 9h du matin auprès de la piece de bois taillis agé de deux ans, appartenant a laditte demoiselle, appelée La petite Forets, tenant d’un long au grand chemin allant de Montiliot en Mareau, d’autre long au Demoiselle de Belleville, d’un bout a plusieurs terres labourables et d’autre bout a Madame de Malfontaine. Ils virent le nommé Claude BERTOUX, … qui etet du mellieu de la ditte piece de bois debous et appuié sur son baton qui regardet et gardet ses beuf a luy appartenant aincy qu a son frere, au nombre de huit beuf et une vache les quel ils virent dispercé, broutant et mangeans le dit bois taillis au meillieu de la piece dont est question … que le dit Claude BERTOUX ayant vu les depossant fut tout surpris et ce mis en devoir de faire sortir les dits bestiau de la ditte piece de bois, en priant les depossant de n en rien dire de son delit, qu a suitte il prire leurs route pour assister a la messe de Montelliot et qu en meme temps le dit Claude Bertoux lessat ces besteau dans le dit bois pour courir apres eux pour reiterer sa prier de n en rien dire de son delit… »

Témoignage accablant pour nos deux laboureurs …; faits confirmés par le rapport des deux experts qui, à 4 heures de l’après-midi, se retrouvent devant le juge BAUDOT.

Ils racontent leur visite et le greffier GUILLOU écrit : « ils ont tenu le chemain qui raigne le long de la ditte piece de bois taillis, que les dit Bertoux ont soutenu … estre impratiquable, et qu ils ont reconnu unanimement bon et tres pratiquable, qu ensuitte ils ont parcouru la ditte piece de bois dans toutes ses party ou ils ont reconnu trente trous au pied de chaines ayant chacun poussé plusieurs gest dont la moitié des uns et le quart des autres ont été mangé et brouté et qu il leur a apparu que ce domage a été causse par des beuf ou vache ayant trouve plusieurs tas descremant de ses sortes de besteau; ils ont en outre reconnu six trous au pied de charme dont les gest ont été presque en totalité rongé et brouté » …; ils estiment tout ce domage la somme de quinze livres …

L’indemnité de déplacement des experts est réglée aussitôt; « ayant requis taxé nous l’avons fait scavoir au sieur COUDREAU attendu son transport de Vézelay la somme de cent sols et au sieur DEFERT trois livres ».

Le 13 juillet, Me RAMEAU, avocat de la plaignante, écrit au Bailly de Malfontaine pour demander l’application de l’amende de 15 livres proposée par les experts.

En conséquence, le 28 Août, s’ouvre l’audience à Malfontaine, après deux reports (14 et 21 août).

Les frères BERTHOUX sont absents. le juge entérine la proposition des experts : les « deffendeurs et deffaillants » sont condamnés « a payer a la demoiselle demanderesse la somme de quinze livres pour le montant des domages interests estimée par le susdit rapport », et « en noutre au depens taxé sur les piece a soixante seize livres deux sols neuf deniers ».

Le 10 octobre seulement, l’huissier remet une copie  de la sentence aux BERTOUX, en les sommant de payer l’amende prévue. Ils refusent. L’huissier leur déclare « qu’ils y seront necessairement contraints par les voyes de droit ».

Nouvel évènement : le 13 octobre, Jacques CONDREU, « premier huissier audiencier au Grenier a sel de Vézelay », remet à Edmée de La Borde, par « sa servante domestique ainsy qu’elle m’a dit etre » – écrit-il -, une assignation « a comparoir » à huitaine « devant Messieurs    les Officiers du bailliage et Siège Presidial d’Auxerre au Pallais Royal de la ditte ville », « pour avoir acte de l appel qu’ils interjettent de la sentence » du 28 Aout pour « nullité de forme ».

Le 16 décembre 1767, lettre de Me De VERCY à Me GIRARD, avocat à Auxerre, lui demandant de se charger de la cause de la demoiselle de La Borde. Il lui joint, pour son information, un dossier des procédures précédentes. (il semble que ce soit ce dossier, retourné à la fin de l’affaire, qui soit resté dans les archives du Château de Montillot).

Mais nous cherchons en vain la trace d’une action juridique au niveau du Bailly d’Auxerre.

Les Documents d’Archives

I: Extraits des archives du château de Montillot:

Réf.1)-   26-06-1767 : Justice de Malfontaine. Première audience.

Réf.2)-   01-07-1767 : Lettre de l’avocat RAMEAU au Bailly de Vézelay.

Réf.3)-       id.        :                  id.                   au Bailly de Montelliot

Réf.4)-    id.    :  Exploit de l’huissier PARANT citant à comparaître le 3 Juillet les frères BERTHOUX et les deux experts.

Réf.5)-       id         : même citation pour les deux « gardes bois » témoins.

Réf.6)-    03-07-1767  : compte-rendu d’audience (en 3 parties)

Réf.7)-   13-07-1767  : lettre de l’avocat RAMEAU au Bailly de Malfontaine

Réf.8)-   28-08-1767  : Sentence du juge de Malfontaine (ci-joint réf. ARCH9609)

Réf.9)-   10-10-1767  : Remise de la copie du jugement par l’huissier PARANT.

Réf.10)- 13-10-1767  : Exploit de l’huissier CONDREU, citant à comparaître Edmée de La Borde au Bailliage d’Auxerre.

Réf.11)- 16-12-1767  : Lettre de Me DE VERCY à Me GIRARD, avocat à Auxerre.

Réf.12)- 21-12-1767  : Présentation de Me GIRARD au Présidial d’Auxerre.

Réf.13)- 21-12-1767  : Avis de Me GIRARD à Me DESCHAMPS.

Réf.14)- 15-10-1768  : Sentences des Maîtrises des Eaux et Forests de Paris et d’ Auxerre.(ci-joint réf.ARCH9607)

Autres sources : – registres paroissiaux de BROSSES (1641-1792)

II: Affaire De La BORDE vs BERTHOUX.: Sentence du Juge de Malfontaine – 28 Août 1767. 

A tous ceux qui ces presentes / Lettres verront François Vincent / BAUDOT avocat en parlement / fesant fonction de Juge pour la / vacance de la place de bailly / et Lieutenant de cette Justice / de malfontaine et dependance / Salut savoir faisons                                 

 qu’entre damoiselle Edmée / Françoise de Laborde filles majeur / demeurant a Montelliot demanderesse / aux fins de lexploit de Parant / huissier du vingt deux Juin dernier / controllé a Vézelay le vingt / quatre du dit mois et encore /// aux fins de la Requete affins / denterrinement de Rapport / d experts rédigé par devant nous / le trois Juillet dernier La ditte Requete / et ordonnance au bas dicelle / en datte du treze du dit mois de / Juillet dernier signiffie le meme / jour comparante par maître / Edme Rameau son avocat.

 Contre Edme et Claude BERTHOUX / frere Laboureur demeurants / en Boutaux paroisse de Brosse / deffendeurs par maître Gabriel / Coulon leurs avocat.///

A lapelle de la Cause / a oui le dit maitre Rameau / avocat de la ditte damoiselle / demanderesse sans que les dits / Berthoux aye comparu en personne / pour eux quoy que comme a ce / jourdhuy a notre audience par / acte de Parant du vingt quatre / du present mois veu l exploit / et la requete de conclusions sus / datté l enquete sommaire fait par / devant nous le trois  Juillet dernier / ensemble le sus dit Rapport d espert / du meme jour le tous signiffie /// ayant egard a la preuve / resultant de la ditte enquette / nous avons enterrine et enterrinons / le sus dit Rapport d’experts en / consequance nous avons condamné / les dits deffendeurs et deffaillants / a payer a la demoiselle demanderesse / / la somme de quinze livres pour / le montant des domages Interests / estimée par le susdit Rapport / et pour le caussé y porte Les / condamnons en noutre au depens / taxé sur les piece a soixante / seize Livres deux sols neuf deniers /// ce qui sera exécuté au principal / nonopstant opposition ou appellation / quelconque et sans y prejudicier / conformant a l ordonnance non / compris le cous des presentes sy / levées sont ce fut fait et donné / en Jugement par nous François / Vincent Baudot avocat en parlement / fesant fonction de juge pour la / place de bailly et Lieutenant de cette Justice de Malfontaine / et dependance au Lieu a coutume / a rendre la Justice au dit / Malfontaine assiste de Louis / Guillou praticien commis greffier /// duquel nous avons pris et receu / le serment requis necessaire pour / lexecution de la fonction / du vendredy vingt huit aoust / mil sept cent soixante sept /

Sy mandons au premier / sergent de ce baillage ou autre / huissier ou sergent sur ce / requis de mettre les presentes / a deu et entierre execution / Selon leur forme et teneur / de ce faire faire ordonnons / pouvoir Signé sur le Registre / Baudot Juge avec paraphe

                                                                                                       Guillou     

Receu pour la presente expedition papier compris vingt quatre sols

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Histoire du curé Guillaume Collas, Chapitre 3

L’affaire du banc de l’église de Monteliot.

Dieudonné de La Borde contre le curé Guillaume Collas

1698-1701

A. Buet †

Journal Le Paissiau, N° 29, Décembre 98.

Conservatoire de la Nature Paul-Bert, 5Bd Vauban, 89000 Auxerre. 

Resp.: Dominique Charlot

Les Protagonistes

L’affaire commence en 1698.

Chaque dimanche, la famille de La BORDE, de petite noblesse rurale, dirigée par Dieudonné de La BORDE (51 ans), assiste à la messe dans l’église Saint LAURENT de MONTELIOT.

Il y a là Elizabeth de Burdelot (46 ans), – issue de la famille voisine des « seigneurs » de Brosses, Fontenille et Malfontaine , épouse de Dieudonné depuis 1674 -, Germaine de la BORDE (50 ans), soeur de celui-ci, célibataire, et les enfants mineurs : 2 filles, Françoise (23 ans) et Magdeleine (7 ans); 2 garçons Simon (17 ans) et Bon (5 ans).

Depuis environ soixante ans, la famille De La BORDE fréquente cette église.

On sait en effet (d’après l’exploitation d’actes notariés de l’époque) qu’en juin 1639, Jacques de LONGUEVILLE, époux de Barbe de La BORDE, a acheté une maison et des terres dans le faubourg de TOUCHEBOEUF. C’est ensuite Bon de La BORDE qui acquiert cette propriété et y habite de 1648 à sa mort en 1662; puis sa veuve Antoinette de BEAULIEU et son fils Dieudonné deviennent propriétaires.

Depuis ce temps, une habitude est prise : en tant que seule famille noble du village, les de La BORDE disposent d’un banc dans le choeur même de l’église. Et ceci, – un document de l’époque le rappelle -, quoy que Dieudonné ne soit Seigneur du lieu ny fondateur de laditte église ».

Pourquoi les relations se détériorent-elles en 1698, alors que le curé Guillaume COLLAS lui-même est à Monteliot depuis plus de 20 ans?

Certains motifs transparaissent peu à peu de l’examen des documents, parfaitement conservés depuis  bientôt trois siècles dans les archives du « château » de Montillot.

Le curé COLLAS, se référant à des ordonnances de l’Evêque d’AUTUN concernant les places dans l’église, ainsi qu’à un document « statuts et discipline ecclésiatique », a commencé, écrit-il à son évêque (réf.4), par « honestement remontrer au Sieur de la BORDE et à la damoiselle sa femme que le choeur de son église était fort petit et ne permettait pas d’y souffrir des bancs et des sièges ».

Cette remarque pouvait être justifiée : Bon de LABORDE, père de Dieudonné, n’avait que 2 enfants, donc 4 personnes venaient à la messe; Dieudonné a 4 enfants et sa sœur l’accompagne, donc 7 personnes doivent se serrer dans le chœur …

En conclusion, le curé leur demande de reculer leur banc hors du choeur.

Attachés à leur privilège, les de LABORDE refusent.

Les incidents commencent; le prêtre lance des avertissements du haut de sa chaire devant l’ensemble des fidèles …

Puis un jour, aidé d’habitants du village, solidaires de leur curé, et en particulier de « fabriciens » – ceux qui assurent pour la communauté la gestion de la nef -, le Sieur COLLAS retire le banc du chœur et le place à l’entrée, un peu en arrière.

Indignés, les de LABORDE se réinstallent dans le chœur ; ils « continuent avec indécence de se placer sur le pied du sanctuaire » écrit encore le curé COLLAS, qui parle de violences, de scandale, d’injures … Il lui arrive de quitter le grand autel et d’aller célébrer la messe à un autel latéral. Il interdit aux de LABORDE (autre privilège) le service de l’eau et du pain bénits et confie ce rôle au lieutenant du bailliage…

Les Plaintes

Dès 1698 donc, il a écrit à l’évêque d’AUTUN pour se plaindre. Celui-ci, à deux reprises, en août 1698 et avril 1700 a fait ordonner par ses grands vicaires une enquête auprès des plaignants.

De son côté, en février 1700, Dieudonné de LABORDE adresse une requête au Chapître de Vézelay, dont le doyen et les chanoines étaient les vrais « seigneurs de Monteliot » ( ceux qui levaient les impôts…). Il leur rappelle (réf.1) que sa famille possède à Monteliot « considérables domaines sujets à vostre dîme », qu’ils ont « un ban a l’entrée du chœur duquel ils ont toujours joui paisiblement » et dans lequel les chanoines prennent « place comme seigneurs » lorsqu’il leur plaît « assister au Service de ladite église ». Il les prie de « luy conserver ledit ban dans sa place ordinaire et de faire deffence a toute personne de la paroisse de l’y troubler a l’avenir ».

En réponse, les chanoines « assemblés capitulaires a l’issue de leur grand’messe » le 17 Février 1700, « consentent et accordent » que ce banc « demeure et soit permanent à l’entrée du chœur de l’église paroissiale » et que Dieudonné de LABORDE « continue d’en jouir tranquillement à l’avenir avec sa famille »; ils enjoignent à leur « lieutenant local de céder au Sieur de LABORDE les honneurs de l’eglize ».

Il faut bien noter que le Chapitre de Vézelay, bien que composé de prêtres, représente le pouvoir séculier, dépendant du bailliage d’Auxerre et de la Généralité de PARIS. L’Abbaye, de par sa charte de fondation au 9ème siècle par Girart de Roussillon, dépendait directement de l’Eglise de Rome. Bien qu’appartenant géographiquement à leurs diocèse et comté, elle était en réalité indépendante de l’évêque d’AUTUN, aussi bien que du Comte de Nevers. De plus, elle a été sécularisée en 1538 par le pape PAUL III, et cela a été confirmé par Louis XIV en 1653.

Le 22 Avril 1700, sur ordonnance de l’Evêché d’AUTUN, Mr Léonard PINOT, curé de PRECY le SEC et archiprêtre de Vézelay, se rend à Monteliot pour interroger les plaignants.

A la suite de son rapport, « Gabriel par la permission divine Evêque d’AUTUN, Comte de SAULIEU, Président né et perpétuel des estats de la province de Bourgogne », rend une première sentence le 7 Mai 1700. Le texte de cette sentence (réf.2) présente pour nous un double intérêt:

– étant très circonstancié, il fournit des motifs plus précis de l’attitude du curé COLLAS

– il apporte une solution de compromis qui aurait pu être acceptable par les deux parties.

Sur les motifs, on trouve:

– « les usurpations que prétend faire le SIEUR DE LABORDE dans le choeur »

– mais aussi : ‘l’incommodité et la notable indécence résultant de ce que la dame de LABORDE et les demoiselles ses filles et autres personnes du sexe qui les accompagnent sont placées vis à vis du pulpitre et partant ne peut ledit Sieur curé porter ses yeux du costé du pulpitre sur lequel les livres de chant sont placés sans que sa veue tombe sur lesdites personnes du sexe « .

La solution proposée

Sur la solution proposée : la famille de LABORDE sera partagée en deux groupes; les hommes restent dans le choeur leur banc étant déplacé vers le mur « du coté de l’évangille »; les femmes un peu en arrière dans la nef, sur un autre banc, « pour ne causer ni indécence ni incommodité ».

Le 26 Mai, le Sieur DEBARD, archidiacre d’AVALLON et chanoine de l’eglise d’AUTUN, vient à Monteliot et ordonne (réf.7) au « Sieur COLLAS de tenir la main a l’exécution de la susdite ordonnance de Mgr l’Evêque d’AUTUN » et « luy fait deffence de souffrir qu’aucune femme se place dans le choeur pendant le Service divin ».

Mais la paix n’est nullement rétablie.

Le curé COLLAS affirme que la famille de LABORDE méprise « les avis et remontrances »; qu’ils continuent tous à s’installer dans le choeur « au préjudice même des réglements faits par les supérieurs ecclésiastiques », causant de ce fait « indécences et scandale » en l’église. Des procès verbaux établis par Jehan DEFERT, lieutenant au bailliage, et par le notaire FERRAND, constatent « l’empechement aporté a l’exécution des ordonnances ».

Quant à Dieudonné de LABORDE, il écrit (réf.3) que l’ordonnance de l’Evesque « ne feut point au goust » du curé, et qu’il cherche à « desgoutter son épouse et ses filles » afin de leur faire prendre une place autre que celle prévue; de sorte, dit-il, que « quatre demoiselles qui est mon espouse et nos deux filles et une mienne soeur n’avaient que deux pieds au carré pour leur siège ». Il arriva même que le curé COLLAS ayant fait enterrer un corps à l’endroit réservé aux dames DELABORDE, laissa la tombe non recouverte, avec la terre « de l auteur du genout » pendant plus de quinze jours. En conclusion, le curé ferait « tout pour chagriner le suppliant » et, dit-il, nous sommes comme des « brebis esgarez ne sachant ou prendre place ».

Dans un esprit de conciliation, – ou bien sous la contrainte? -, Dieudonné signe un acte sous seing privé le 21 Juillet 1700 par lequel il reconnaît que l’ordonnance de l’évêque d’AUTUN lui a bien été notifiée et il promet d' »y obeir a l’avenir très fidèlement »; dans un autre procès verbal de visite du Sieur PINOT à Monteliot, le 28 Juillet, il « désavoue une plainte donnée soubs son nom contre ledit sieur COLLAS et se rétracte des injures qu’il pourrait avoir proférées contre luy » (réf.7). C’est une imprudence qui desservira sa cause…

Des procès verbaux établis en janvier et mars 1701 par le Sieur GROSSOT, Lieutenant au bailliage (son prédécesseur Jehan DEFERT est décédé en août 1700), font encore état de la « contravention réitérée par les dits Sieur de LABORDE, sa femme et leurs filles aux dites ordonnances et des indécences commises et scandale par eux causé en ladite église ».

Le curé COLLAS avait donc un « bon dossier » à présenter à l’évêque d’AUTUN dans sa requête du 5 Mai 1701 (réf.4) adressée à « Monsieur GIRAUST, docteur en Téologie, chanoine de l’église Notre Dame de MOULINS et officiale de Mgr l’évêque d’AUTUN pour la généralité de PARIS », pour lui demander d’assigner devant lui « les dits Sr de LABORDE, femme, fils et filles » et de les condamner à ‘reparer les scandales qu’ils ont causé et causent ».

Dans sa propre requête, Dieudonné de LABORDE ne peut que se présenter comme persécuté; il demande à l’évêque d’exiger du curé COLLAS le respect de la sentence du 7 Mai…

Ce n’est qu’en novembre qu’il adresse une autre requête au Lieutenant général du bailliage d’AUXERRE (réf.5), en adoptant une nouvelle tactique. Après avoir exposé les événements, manifestation de « l’ennimosité » que le curé « tesmoigne contre luy en toute rencontre », il dit considérer que la conservation du banc est un fait de « maintenue et garde possessoire« , qui relève de la justice séculière et royale seulement.

Il demande donc que la décision des chanoines de Vézelay, seigneurs incontestés de Monteliot, prise le 17 février 1700, soit confirmée par les juges royaux.

Il est trop tard : les deux institutions, la religieuse et la séculière, vont rendre leurs jugements presque simultanément.

Les Jugements

Le 9 Décembre 1701Pierre Paul COIGNET de la THUILLERIE, chevalier, comte de Courson, seigneur de Mouffy, Migé, Mericeq, Lerezé, Fleury et autres lieux, Bailly et gouverneur d’Auxerre, donne raison à Dieudonné de LABORDE, fait « deffence au dit Sieur COLLAS et tous autres » de « continuer leurs poursuites en ladite officialité de Moulins » à peine de 50 livres d’amende »… »nonobstant oppositions ou appellations quelconques » (réf.6)

Le 17 décembre, c’est le juge Gabriel GIRAULT, prestre docteur en théologie et official de Mgr illustrissime et reverendissime Evesque d’AUTUN, qui officie à Moulins; le curé Guillaume COLLAS est assisté de Guillaume DEFERT, « procureur de la Communauté des habitans et fondé de leur procuration expresse pour les poursuites de la présente instance » et de « Claude GROSSOT, fabricien de la dite église ». Il plaide, assisté de Maître Jean CONTAT, alors que la famille de LABORDE est absente et non représentée.

Se basant sur le fait qu’il s’agit de « discipline ecclésiastique » et que le Sieur de LABORDE « a approuvé et s’est soumis a l’exécution » de la sentence du 7 Mai 1700, il condamne le dit Sieur, la ditte dame BOURDELOT, son épouse, leur fils et filles contrevenans », « pour réparer le scandale par eux causé dont la preuve résulte des dits procès verbaux », à « soixante livres d’aumône applicables aux réparations de la dite église de Monteliot » et leur fait « deffence de rescidiver »; plus les depens à payer « liquidés a la somme de 133 livres 10 sols ». La sentence sera exécutée nonobstant opposition ou appellation quelconque » (réf.7).

EPILOGUE

Il en résulte que 2 jugements coexistent … Quelle en fut l’exacte application? Nous l’ignorons.

Une dernière pièce du dossier apporte seule un élément de réponse; il s’agit d’une quittance établie par le notaire GROSSOT en mai 1724 (réf.8).

 Les deux antagonistes sont morts; le curé COLLAS en novembre 1715, Dieudonné de LABORDE en février 1724.

Ce dimanche 14 Mai 1724, devant l’église sont assemblés les habitants convoqués au prône de la messe par le curé Jean Baptiste Philibert FAULQUIERJean DEFERT, « marchand blastier », « procureur fabricien », entouré d’autres membres de la « fabrique », Lazare ROUSSEAU, Edme BOISSEAU, Pierre DROIN, reconnaît avoir reçu de Simon de LABORDE, fils de Dieudonné, une somme de 80 livres « en espèces d’or et d’argent ayant de present cours suivant les edits et déclarations du Roy »; cette somme correspond à une dette de Dieudonné que lui avait rappelé Me Léonard PINOT, prestre curé de Précy le Secq le 24 Juillet 1719.

Devant la même assemblée, Jean DEFERT donne quittance à Simon de LABORDE d’une somme de 60 livres due à la fabrique depuis la sentence de l’Officialité de Moulins du 17 Décembre 1701…Il semble donc que le jugement ecclésiastique ait prévalu …

 Nous avons ainsi pu raconter l’histoire du différend DELABORDE vs COLLAS dans sa phase aigüe, de 1698 à 1701.

Mais nous ignorons « l’avant » et « l’après » de cet épisode.

Plusieurs questions restent posées :

1)- Avons- nous touché du doigt les vraies raisons de l’hostilité entre les deux parties? Pourquoi les relations se seraient-elles brutalement détériorées en 1698, la population prenant parti pour le curé?

2)- Les deux jugements de décembre 1701 se contredisent. L’un des deux pouvait-il, juridiquement, prévaloir sur l’autre?

Nous savons seulement que le recouvrement des amendes décrétées par l’évêché d’AUTUN s’est poursuivi jusqu’à 1724.    

Mais qui pourra nous dire comment étaient placés les bancs pour la messe de Noël 1701? …

Commentaires de monsieur le chanoine Jacques Leviste (Février 1996), Conservateur du Trésor de la cathédrale de Sens

En principe, le chœur de l’église est réservé au clergé et à ceux qui remplissent des fonctions liturgiques, revêtus d’un costume approprié.

Le règlement  édité en 1738 par Mgr de CAYLUSévêque d’AUXERRE, indique que le choeur de l’église est réservé au clergé et aux officiers de la seigneurie ainsi qu’aux notables, mais à l’exclusion des « filles et des femmes », qui ne peuvent remplir aucune de ces fonctions.

D’après la description qu’en donne le Répertoire archéologique de l’Yonne, le choeur de l’église de Montillot est très petit : 5m30 de large ! De plus il ne faut jamais oublier que sous l’Ancien Régime, le chœur est à la charge du seigneur principal « haut justicier ». C’est lui qui en assure, s’il y a lieu, la construction, l’entretien et les restaurations. C’est ce qui explique que dans la plupart de nos églises, le choeur est différent de la nef, souvent d’une architecture plus recherchée et plus soignée. la nef est la plupart du temps plus modeste et plus simple.

Seul , le seigneur haut justicier ou principal a droit à un banc dans le chœur pour lui et sa famille, donc sa femme et ses filles. Ce banc peut occuper un côté de l’entrée du chœur, mais il ne s’agit pas des stalles qui peuvent se faire face.

C’est là que ce seigneur reçoit les honneurs liturgiques : on lui présente l’eau bénite, on va l’encenser après le clergé, on lui porte la patène du « baiser de  paix », il marche le premier dans les processions, en tête des fidèles…Il est souvent le « patron » de l’église, parce que descendant des lointains fondateurs, c’est à dire qu’il peut proposer un ecclésiatique de son choix pour la cure. C’est tout un ensemble de droits, d’honneurs et de frais qui lui reviennent ou lui incombent.

La « Coutume » d’Auxerre, qui est le « Code Napoléon » de l’époque, a prévu tout cela dans le moindre détail.

Ce seigneur a droit de sépulture dans le chœur avec sa famille à l’exclusion de tout autre, sauf le clergé.

Les autres seigneurs, propriétaires d’un fief sur la paroisse, n’ont que des droits accordés par la coutume. Certains ont pu faire bâtir une chapelle annexe à leur usage, ou ont obtenu un banc plus distingué, mais en dehors du chœur.

Si la seigneurie se trouve partagée entre deux familles héritières, c’est au gouvernement du bailliage à en règler les modalités et les droits.

Revenons au cas de Montillot…

Le seigneur principal et « haut justicier » en est l’abbaye de Vézelay devenue un « Chapitre de chanoines ». Ce sont eux qui ont les charges, l’entretien et les privilèges.

Les De la BORDE n’ont aucun droit dans le chœur de l’église et leurs devanciers n’ont pas fait bâtir de chapelle annexe à leur usage. Les choses se compliquent puisqu’il semble que les chanoines de Vézelay leur ont laissé prendre des habitudes dans le chœur, au point que les honneurs liturgiques leur sont rendus.

Le curé de Montillot trouve que c’est exagéré, et la présence des demoiselles, à côté de lui, quand il est avec ses chantres au lutrin, le gêne. Elles ne sont pas à leurs places; si elles occupent un banc seigneurial, elles le font indûment. Si elles sont dans le choeur, mêlées aux officiers de la seigneurie, – notaire, bailli, lieutenant, syndic, procureur …- , elles désobéissent aux règlements épiscopaux.

Je crois que le curé est dans son droit en voulant mettre de l’ordre et faire respecter les règlements, tant civils que religieux. L’évêque d’Autun le soutient. La décision du comte de COURSON, au bailliage d’Auxerre, me semble bien imprudente, et exagérée.

Cela n’a rien à voir avec l’accession des femmes au sacerdoce; il s’agit là d’un problème de théologie catholique, et de tradition purement ecclésiastique. Quand le « seigneur haut justicier » était une femme, la veuve du seigneur ou son héritière, personne ne songeait à lui contester sa place dans le banc seigneurial du chœur, ni les honneurs liturgiques qui lui étaient dus, ni la prière pour sa personne, nommée, au « prône de la messe ».

…Il faudrait demander, s’il en est encore temps, où les derniers châtelains se tenaient à l’église de Montillot.

Les Archives

DOSSIER de l’AFFAIRE COLLAS – DELABORDE.

                                             1698-1701.

                    (Extrait des archives du « château » de Montillot)

         —————————————————————————

Réf.1)- 17-02-1700 : requête DELABORDE au Chapitre de Vézelay.

Réf.2)-  7-05-1700 : sentence de l’évêque d’AUTUN.

Réf.3)-  (non daté) : requête DELABORDE à l’évêque d’AUTUN.

Réf.4)- 05-05-1701: requête du curé COLLAS à l’évêque d’AUTUN.

Réf.5)-  Nov. 1701: requête DELABORDE au Bailliage d’AUXERRE.

Réf.6)- 09-12-1701: jugement rendu par le Bailly d’AUXERRE.

Réf.7)- 17-12-1701: jugement rendu par l’évêché d’AUTUN, Officialité de MOULINS.

Réf.8)- 14-05-1724: quittance des sommes dues par Simon DELABORDE à l’église de Monteliot. 

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Histoire(s) de l’Abbé collas (1672…)

Chapitre 1: 27 Janvier 1672 – Un nouveau curé est nommé à MONTELIOT

On trouve ce document aux Archives de l’Yonne, dans le dossier « Abbaie de Vezelai – Cure de Monteliot » , sous la cote H 1976 . Il s’agit du compte-rendu de la nomination du curé COLLAS par le Chapitre de Vézelay. Le texte original en latin a été traduit par Mr Gilles Boutte, bénévole du groupe « Entraide Francegenweb ».

« A l’illustrissime et révérendissime seigneur Abbé de l’insigne église de la Bienheureuse Marie Magdeleine de Vézelay, en aucun diocèse, et en l’absence de sa personne , au vicaire général du doyenné canonique et au chapitre de la dite église, Salut avec tous honneurs et  révérence dûs. La présentation ou droit patronal à l’église paroissiale Saint Laurent de Montillot, dépendant de votre pouvoir et territoire, en cas de vacance de celle-ci, nous appartenant à nous (…) de notre dit Chapitre, la collation ou provision et toute autre disposition vous appartenant de toute antiquité pour raison de votre dignité abbatiale, la dite église paroissiale étant pour lors libre et vacante par suite du décès de messire Lazare Gourlet, dernier possesseur en paix de la dite église, nous vous proposons notre bien-aimé messire Guillaume Colas, prêtre éduen, suffisamment capable et idoine pour obtenir, gérer et gouverner la dite église paroissiale Saint Laurent de Monteliot, en requérant et demandant de recevoir et admettre notre candidat, le dit Guillaume Colas, et notre présentation, et de vouloir et juger digne de faire et expédier , ou de faire faire et faire expédier les lettres de collation et de provision à notre dit candidat, notre droit et tout autre étant toujours sauf.

En foi de quoi nous aurons soin que les présentes lettres, soussignées de notre main, soient signées par Messire Claude Berthion , chanoine et secrétaire de ce Chapitre, et soient munies du sceau de notre Chapitre. Fait à Vézelay, au lieu habituel pour la réunion conventuelle des chanoines en la susdite église de la Bienheureuse Marie Madeleine de Vézelay , l’an du Seigneur mil six cent soixante-douze et le vingt-sept janvier. 

( Signatures : P. Anthoine ; R. Gault ; P. Ragon ; Trineau ; Berthion, chanoine secrétaire )

Commentaires : on a ici le texte de présentation à l’Abbé de Vézelay du candidat à la cure de Monteliot par un groupe de chanoines de son Chapitre ( autrement dit son « Conseil d’Administration »).

Il s’agissait de succéder au prêtre Lazare GOURLET, décédé récemment.

Guillaume COLLAS est dit « prêtre éduen », ce qui signifie qu’il appartient au diocèse d’Autun ( pour mémoire, les Eduens étaient un peuple Gaulois dont le territoire avait pour capitale Bibracte (Mont Beuvrey) et était approximativement limité par les villes actuelles de Moulins, Nevers, Mâcon, Beaune et Avallon)..

Par d’autres documents, nous savons qu’il était né à Corbigny et qu’il avait environ 28 ans.

C’est le curé COLLAS  qui a tenu les registres paroissiaux de notre village, les plus anciens conservés jusqu’à nos jours  (actuellement aux Archives départementales de l’Yonne). Le 9 Avril 1672, il avait baptisé 2 jumeaux, Edme et Jacques COUTURIER, nés à Tameron.

Chapitre 2: L’église de Monteliot et son curé sont inspectés  

Sous l’Ancien Régime, les évêchés faisaient inspecter les églises chaque année pour s’assurer de leur bon entretien.

Dans le diocèse d’Autun, l’Archiprêtre de Vézelay  demandait un rapport à chaque curé de son secteur, allait  lui-même visiter chaque paroisse et fournissait ensuite par écrit ses propres impressions.

On trouve un certain nombre de ces documents dans les liasses 2G11 et 2G12, de « l’Archidiaconé d’Avallon- Archiprêtré de Vézelay » déposées aux Archives Départementales de Saône-et-Loire, à Mâcon. Ils  présentent une description de notre église au 17ème siècle.

a) – Voici d’abord un rapport rédigé par le curé COLLAS  vers 1680. (Archives départementales de Saône-et-Loire – Cote 2G12)

Estat de la parroisse de l’Eglise de St Laurent de Monteliot Diocese d’Autun : Premieremens l’Eglise est dediée au bienheureux SaintLaurend martir et  la dedicace se Sollennise le 6 MayMessieurs du chapitre de Vézelay sont presentateurs de laCure comme patrons.Il y a dans la dicte Eglise trois autels Scavoir le grand autelL’autel de la Ste Vierge, et l’autre de Ste Brigide.Le grand autel est orné d’un tabernacle garny d’images, a cottéd’Iceluy il y a deux images de pierre, l’un de la Ste Viergedu costé de l’Epoi.g.., et du costé de l’Evangile celuy de StLaurend, et dans le tabernacle il y a un ciboire, une custodeEt un soleil d’argent.Il y a un calice et une patene d’argent.Il y a quatre chandeliers d’estain et trois chandeleiers de cuivre.Il y a cinq chasubles neufves, desquels il y en a deux dedamas caffard, l’une blanche et l’autre rouge, une violette,une verte et une noire de Camelot garnies toutes de leurestole manipulé  voile vols et bourres de couleur auxchasubles.Il y a deux devant d’autel, l’un blanc de damas caffard, l’autre Rouge de camelot, et deux chapes, l’une rouge de damasCaffard neufve et l’autre de Camelot de mesme couleur.Il y a deux croix de cuivre et deux lampes de cuivre.L’autel de Ste Brigide est orné de deux images de pierre, l’unDe Ste Brigide et l’autre de St Antoine avec un couvre table .L’autel de la Ste Vierge est orné d’un vieil tabernacle etD’un grand tableau de la dicte Vierge.Le Chœur de l’église est voulté. La neffe ne l’est pas.Il y a deux cloches dans le clocher de la dicte église.Il y a douze nappes d’autel, quatre aubes, quatre corporauxFaict  purificatoires, et quatre surplis tels quels ….Le cimetière est attenant à l’église, fermé  et une croix de boisau milieu.Le curé est Guillaume Collas, prestre de ce diocèse, natif deCorbigny, âgé de trente cinq ans et dix mois.Il y a deux cent quarante cinq communians

Commentaires :

–          la « dédicace » était la fête patronale, passée depuis lors du 6 mai au 10 Août …

–          le cimetière était alors à côté de l’église, sur le flanc sud ; seuls les nobles et les notables étaient inhumés à l’intérieur.

–          Le « corporal » est le linge béni sur lequel l’oficiant pose le calice et les fragments d’hostie.

–          Il y avait 2 cloches ; ceci nous rappelle que l’une d’elles avait été mise en place en 1648, sous le ministère du curé Denis DELAPLACE. Nous le savons par l’inscrption gravée sur cette cloche ; le texte ci-après est archivé au Ministère de la Culture :

Chapitre 2 (suite): L’Eglise de Montillot et son curé sont inspectés

b) – Voici   un autre rapport rédigé par le curé COLLAS en août 1692.

Monteliot

Je mapelle  Guillaume Collas âgé de quarante

Huict ans, natif de Corbigny, diocèze

 d’Autun, curé du dict Monteliot depuis vingt

et an ou environ. Il y a deux cents

quarante communians. Le revenu est

de la portion congrue par composition

faicte a l’aimable faicte avec Messieurs

du Chapitre de Vézelay qui possèdent les

dixmes de bled et revenus de la dite paroisse

et d’où ils tirent près de six cent

livres. L’Eglise parroissialle est dédiée à

St Laurent. Messieurs du Chapitre sont les

présentateurs de ladicte cure, du Presidial

d’Auxerre, du Parlement et de l’Intendance

de Paris. On y faict exactement le cathéchisme

suivant l’Ordonnance . Il y a une chapelle

ruinée que l’on appelle vulgairement

le prioré et qui a onze bichets et demy

de bled, moityé froment et avoine, de rente

au raport des anciens, possédée par Messieurs

du Chapitre de Vézelay. Le surplus n’est point

du faict de la dite cure . Faict ce vingt

huictième aoust mil six cent quatre vingt douze 

                                 G.Collas                                  Curé de Monteliot

Commentaires   

–          240 communiants :  ceci marque une  importante fréquentation de la messe dominicale ; rappelons que , d’après le recensement de Vauban, il y avait en 1696, 363 habitants à Monteliot, dont 66 hommes et 83 femmes veufs ou mariés, 40 filles de plus de 12 ans et et 47 garçons de plus de 14 ans, 14 valets et servantes…

–          Portion congrue : il s’agit de la pension annuelle que touche le prêtre , un « salaire minimum » tout juste suffisant pour vivre ( du latin « congruens » = juste, convenable…). La dîme est un impôt en nature exigé par l’Eglise pour assurer l’entretien des prêtres desservants ; elle pèse surtout sur les produits de la terre ( prélevée dans le champ, sitôt la récolte terminée), et de l’élevage. Elle ne représente pas forcément le 1/10 des récoltes , mais le 1/12, le 1/15 ou le 1/20éme, selon les paroisses et les périodes. L’organisme qui perçoit les dimes est le « décimateur ». C’est rarement le prêtre de la paroisse, mais l’institution qui le « patronne » . Ici, c’est l’abbaye de Vézelay qui « reverse » aux curés de la « poté » – dont Monteliot – une partie du produit de la dîme.

Le pouvoir royal a toujours assuré un rôle « régulateur » : des édits successifs ont fixé la portion congrue en 1571 à 120 livres, en 1632 à 200, en 1686 à 300. En mai 1768 , le montant est indexé sur le prix du blé, et fixé à « 27 septiers mesure de Paris » soit alors 500 livres…

Le curé COLLAS parle d’un accord « a l’aimable » avec le Chapitre de Vézelay…Mais nous verrons qu’il n’a pas hésité à engager une procédure contre le dit Chapitre pour toucher son dû !

Plus tard, Voltaire nous a dit sa pitié à l’égard de ces petits prêtres de campagne …et son peu d’indulgence envers les dignitaires ecclésiatiques de l’époque . Dans son « Dictionnaire philosophique », on lit :

…..«  Je plains encore davantage le curé à portion congrue, a qui des moines, nommés gros décimateurs, osent donner un salaire de quarante ducats pour aller faire, pendant toute l’année, à deux ou trois milles de sa maison, le jour, la nuit, au soleil, à la pluie, dans les neiges, au milieu des glaces, les fonctions les plus désagréables, et souvent les plus inutiles. Cependant l’abbé, gros décimateur, boit son vin de Volnay, de Beaune, de Chambertin, de Sillery, mange ses perdrix et ses faisans, dort sur le duvet avec sa voisine, et fait bâtir un palais. La disproportion est trop grande. ». 

–          Le « prioré » , chapelle ruinée 

Le curé COLLAS ne précise pas . Il écrit simplement : … « il y a une chapelle » ! 

On pourrait supposer (cf Pierre GUTTIN) qu’il s’agit du bâtiment à toit incliné, accolé au chœur côté Sud, utilisé maintenant comme sacristie. La structure des murs, la nature du dallage montrent que sa construction date de la même époque que le chœur et la base du clocher.

On y accède depuis le chœur par une porte en bois massif ; 30 ou 40 personnes pouvaient y tenir debout pour des messes basses ou diverses dévotions. Une porte, aujourd’hui murée donnait à l’arrière du Chœur vers le presbytère, maintenant maison de maître, qu’on appelle « le Prieuré ». Une fenêtre, côté Sud, donnait sur le passage reliant le cimetière au presbytère. Côté Ouest, une porte à 2 battants donne sur le cimetière. Le Chapitre de Vézelay propriétaire de cette chapelle ne paraissait pas s’intéresser à son entretien et la laissait tomber en ruines… !  

Même en des temps plus récents l’entretien du toit a souvent laissé à désirer, faute de moyens…

 (Ci-dessus le plan actuel de l’église et des maisons proches).

Chapitre 2 (suite et fin): L’église de Monteliot et son curé sont inspectés 

Ci-après , la transcription de deux rapports  du curé de Saisy, archiprêtre de Vézelay,   après inspection de l’église de Monteliot.

Commentaires   

« Fabrique et fabriciens » : sous l’Ancien Régime, l’entretien des églises paroissiales était partagé entre les « décimateurs principaux » et les habitants du village ; aux premiers le chœur, aux autres la nef.

Les habitants désignaient donc un « conseil de fabrique »  pour administrer les biens et revenus résultant de donations diverses, et organiser les travaux d’entretien.

A l’origine, le mot « fabrique » était lié à la construction même de l’église ; il en a recouvert ensuite l’entretien . Les membres de ce Conseil étaient les « fabriciens ».

A Montillot, il semble que cette organisation ait fonctionné jusqu’au début du 20ème siècle. En Alsace-Lorraine, elle subsiste de par la législation concordataire (aujourd’hui, les Conseils de fabrique de cette région ont fréquemment  un site Internet pour faire appel aux généreux donateurs… !).

Le premier texte ci-dessus nous rapporte que les « inspecteurs » ont rencontré avec le curé COLLAS quelques « fabriciens ». Nous connaissons par les registres paroissiaux les 2 frères TRIOU ( ou TRIJOU, nom alors assez fréquent dans la région lié aux plus anciennes familles. Pierre était cordonnier,  mari de Claudine PERNOT ; beau-frère de Jean PERNOT, « praticien » (procureur judiciaire) et beau-père d’Edme POURCHERON ; François, époux de Léonarde BARBUT, était le beau-père de Jacque CARILLON. Nés entre 1620 et 1625 , ils sont décédés en mars et avril 1694.

Le deuxième texte rapporte la rencontre des inspecteurs avec Dieudonné de la Borde, dit « escuyer fabricien », qui joue le rôle de comptable de la fabrique. Il représente une famille de la petite noblesse locale, sans prérogatives seigneuriales sur le village , bien que s’étant attribué le titre de « seigneur du Feys et de la Borde » ( fiefs sans consistance réelle puisque le Feys est notre « Fège » actuel et la Borde est une ferme fortifiée dans les bois d’Asquins). Son père Bon de la Borde a  acheté en 1648 la propriété de Toucheboeuf, ancienne maison d’un laboureur, aménagée progressivement et devenue dans la tradition locale le « Château de Montillot ». Lui-même, né en 1647, s’est marié en 1674 à Brosses avec Elisabeth de Burdelot, fille d’Olivier, « seigneur de Fontenille et Malfontaine ».

Il existe d’autres rapports d’inspection ; tous louent le bon entretien de l’église par le curé et les fabriciens, « cette église paroit être en très bon état, bien pourvue de tout »…

En 1695, il est signalé : « point de sage-femme dans la paroisse »…et « il faut décharger De la Borde de sa charge de fabricien ( il le demande ) ; il devra remettre la somme de 20 livres 14 sols ».

Peut-être des différents étaient–ils déjà apparus entre Dieudonné d’une part, le curé COLLAS et les habitants d’autre part si l’on en croit « l’affaire du banc de l’église », qui suit…